" Si le rêve du centre sportif de haut niveau pouvait enfin se concrétiser, ce serait évidemment très bénéfique pour améliorer nos performances." © getty images

En fait-on assez pour les sportifs de haut niveau? (débat)

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

En Wallonie et à Bruxelles, une question de moyens mais aussi de management.

Serge Mathonet (AISF): « Si on veut plus d’athlètes de haut niveau, il faut inévitablement plus de moyens »

La Belgique francophone en fait-elle assez pour le sport de haut niveau? Pour Serge Mathonet, le directeur de l’ Association interfédérale du sport francophone (AISF) et de l’ Association des établissements sportifs (AES), le manque structurel de moyens contraint trop souvent les fédérations à un bricolage incompatible avec de plus grandes ambitions.

Les moyens octroyés pour le sport, que ce soit de haut niveau ou à destination du grand public, sont-ils suffisants en Belgique francophone?

Malgré quelques améliorations ces dernières années, il y a toujours un déficit d’investissement dans le sport de la part des pouvoirs publics. Il y a deux ans, l’administration du sport de la Fédération Wallonie-Bruxelles avait estimé qu’il manquait six millions d’euros afin d’être au moins au niveau de la Flandre en ce qui concerne les plans-programmes pour le sport de haut niveau, sachant que le budget actuel est de dix millions. A cela s’ajoute un financement de sept millions pour les fédérations, qui ne s’adresse pas uniquement au sport de haut niveau.

Qu’en est-il en ce qui concerne les infrastructures?

On le sait, la lasagne institutionnelle belge fait que ce sont les Régions qui sont compétentes sur ce volet. En Wallonie, le budget est tout de même conséquent, de l’ordre de 50 millions annuellement. Des efforts sont donc consentis, en sachant que ces moyens ne sont presque pas destinés à des infrastructures de haut niveau. A côté de cela, il y a les dix-sept centres Adeps de la Fédération Wallonie-Bruxelles, où sont parfois logées des installations de haut niveau. Malgré ces efforts, les moyens ne sont pas suffisants à l’heure actuelle. Les piscines sont un exemple de cette problématique, tant pour le sport de haut niveau que pour l’apprentissage de la natation. Il y a clairement un manque d’infrastructures, d’autant qu’elles sont rapidement saturées. Si le rêve du centre sportif de haut niveau pouvait enfin se concrétiser, ce serait évidemment très bénéfique pour améliorer nos performances.

On est de bons bricoleurs, et c’est grâce à cela que l’on obtient de belles performances sportives. Mais on est arrivé au bout de ce que le bricolage peut apporter.

Par le passé, les subventions liées aux infrastructures ont souvent été assimilées à du saupoudrage. Les montants qui leur sont destinés vous semblent-ils désormais adéquatement octroyés?

Aujourd’hui, on a non seulement une vision plus claire du maillage territorial de nos infrastructures sportives, mais aussi de nos disciplines. Les décisions sont, je pense, prises de manière objective. Les zones où l’on manque particulièrement de certaines installations sont clairement identifiées. Le système des « petits amis » que l’on pouvait imaginer n’existe plus. Je ne vois donc plus de critiques à émettre à ce niveau.

Le soutien aux sportifs de haut niveau passe aussi par l’accompagnement des fédérations. Leur professionnalisation est-elle suffisante à cet égard?

Rappelons qu’une fédération est une asbl, dont les membres, à savoir des clubs amateurs, nomment les représentants du conseil d’administration. Ces administrateurs vont devoir s’occuper à la fois du sport pour tous et du sport de haut niveau. Or, ils n’ont effectivement pas toujours les compétences pour l’accompagnement du haut niveau. On ne peut pas aller contre le fonctionnement démocratique de la nomination des administrateurs. En revanche, s’il y a des choses à améliorer dans la gouvernance des fédérations, ce serait de donner le mandat et l’autonomie nécessaires à des personnes qualifiées pour accompagner les athlètes vers le haut niveau. Mais on en revient inévitablement à la question des moyens. Une petite fédération, comme celle de la lutte olympique par exemple, ne compte pas un seul salarié. En outre, même les présidents de grosses fédérations ne touchent pas un euro pour leur mandat. Nous avons récemment analysé le modèle économique du sport amateur. Il faut savoir que les revenus d’un club reposent, pour 40%, sur la cafétéria. Si on ajoute les sponsors, les revenus de tombolas, de soirées diverses, on arrive à 80%. Il s’agit donc d’un modèle économique fragile, où l’on doit trouver des solutions à la MacGyver pour parvenir à l’équilibre. En Wallonie et à Bruxelles, le soutien financier des pouvoirs publics dans les clubs représente en moyenne 7% de leurs revenus. En France, il est d’environ 25 à 30%.

Serge Mathonet (AISF et AES).
Serge Mathonet (AISF et AES).© DR

Pensez-vous qu’il existe une marge de manoeuvre pour que la Fédération Wallonie-Bruxelles consacre, à l’avenir, un budget plus important au sport?

Les montants qu’elle dédie actuellement au sport représentent 0,5% de son budget total. L’ AISF plaide pour que cette part passe à 1%. J’ai conscience qu’il n’est pas facile de doubler un budget, singulièrement pour un niveau de pouvoir particulièrement désargenté. Cela étant, c’est une question de choix politique. Je ne dis pas qu’il faut dépenser moins pour la culture. Mais si des moyens supplémentaires peuvent être dégagés, il me semble que le rattrapage doit être fait en faveur du sport, car ce chiffre de 0,5% est incroyablement faible.

Les financements octroyés aux différentes fédérations sportives sont-ils répartis de manière équilibrée compte tenu de leur taille?

Le forfait de sept millions d’euros dédié aux fédérations est en train d’être revu. Jusqu’ici, il y a des écarts qui peuvent être importants. Certaines perçoivent, par tête de pipe, trois à quatre fois plus d’argent que d’autres. Ces inégalités de subventions se sont constituées au fil des décrets et des ministres. Le décret sorti en 2019, qui doit encore être mis à exécution via un arrêté du gouvernement de la FWB, doit rendre les choses plus équitables. Mais comme la tarte sera divisée autrement, il y aura des gagnants et des perdants. Cela risque de mettre à mal le fonctionnement de certaines fédérations.

Dispose-t-on, à l’heure actuelle, des ressources humaines suffisantes pour accompagner nos sportifs de haut niveau?

Si on se compare à nos voisins, on a clairement un déficit de personnes formées et professionnelles. Beaucoup d’entraîneurs sont des pensionnés, qui accompagnent des athlètes parce qu’ils ont le temps pour le faire sans être rémunérés. Ce que font ces personnes est formidable. Mais ce n’est pas normal que l’on doive compter à ce point sur le bénévolat pour le haut niveau. Même en recourant aux aides APE, aux contrats ACS ou au fonds Maribel (NDLR: qui permet de faire baisser le coût salarial pour l’employeur), on n’a pas assez de personnel. On est de bons bricoleurs, et c’est grâce à cela que l’on obtient malgré tout de belles performances sportives. Mais on est arrivé au bout de ce que le bricolage peut apporter. Si on veut plus d’athlètes de haut niveau, il faut inévitablement plus de moyens, tout en travaillant sur notre culture du sport, très peu mise en avant chez nous.

Marc Francaux (UCLouvain): « Il manque une couche managériale dans beaucoup de fédérations »

Pour Marc Francaux, professeur à la Faculté des sciences de la motricité de l’UCLouvain, la professionnalisation des fédérations est cruciale pour accroître la pratique du sport de haut niveau en Belgique francophone. Plus encore qu’une question d’argent.

Quel regard portez-vous sur le financement du sport en Belgique francophone?

Il faut être de bon compte, des progrès ont été faits ces dernières années. Il y a d’importants programmes d’investissements. En athlétisme par exemple, on a vu fleurir une série d’infrastructures indoor. En revanche, il y a encore un gros déficit en matière de piscines. Beaucoup ont été construites dans les années 1970 et nécessitent aujourd’hui des rénovations en profondeur. Un Plan piscine est en route, mais il aurait fallu le mettre en place un peu plus tôt. Cela pose la question du nécessaire monitoring de la disponibilité et du renouvellement de nos infrastructures. Il conviendrait aussi de les utiliser de manière plus rationnelle.

Certaines structures ne fonctionnent plus comme elles le devraient, faute de renouvellement des administrateurs.

C’est-à-dire?

Il y a parfois un manque de partage. On pourrait notamment s’attendre à ce que les écoles mettent leurs infrastructures sportives à disposition d’un public plus large et qu’inversement, les installations communales leur soient plus facilement accessibles si elles n’en disposent pas.

En matière de financement, il est courant d’opposer le sport de haut niveau au sport pour tous. Cette scission a-t-elle du sens?

Pas vraiment, car c’est un continuum. Beaucoup de personnes engagées dans le sport de haut niveau ont d’abord pratiqué leur discipline de manière récréative. Des études démontrent d’ailleurs, essentiellement chez les jeunes, un lien entre les politiques de sport pour tous et la probabilité d’avoir un plus grand nombre d’athlètes de haut niveau. La corrélation n’ est toutefois pas parfaite. Dans certains pays de l’Est, par exemple, on constate des performances de très haut niveau dans des disciplines peu prisées du grand public.

Le financement du sport en Fédération Wallonie-Bruxelles est régulièrement jugé déficitaire en comparaison avec la Flandre. Partagez-vous ce constat?

La Flandre est tout de même une région particulièrement privilégiée en Europe. Quand on voit nos résultats et nos médailles ces dernières années, on n’a pas à rougir des performances de nos sportifs du côté francophone. Par ailleurs, si la question des moyens est importante, il faut surtout avoir pensé à les utiliser de manière optimale.

En fait-on assez pour les sportifs de haut niveau? (débat)
© DR

Que manque-t-il, selon vous, pour améliorer les résultats sportifs de haut niveau en Belgique francophone?

Principalement la professionnalisation des fédérations. Si certaines tentent de le faire, elles ne le font pas au même rythme. Les nombreux bénévoles qui y sont administrateurs doivent accepter qu’ils ne peuvent plus tout contrôler. Or, c’est souvent un problème.

Il y aurait donc une forme de conservatisme dans le chef de plusieurs fédérations?

Absolument, tout comme il existe aussi un problème de représentativité, que ce soit d’ âge ou de genre. De mon point de vue, c’est le défi principal en Belgique francophone, plus important encore que les questions d’argent. Beaucoup de fédérations sont encore gérées de manière extrêmement amateur et mettent peu de choses en place pour favoriser l’émergence de sportifs de haut niveau. Chez nous, il faut reconnaître que certaines de ces structures ne fonctionnent plus comme elles le devraient, faute de renouvellement des administrateurs. Il manque souvent une couche managériale. Je suis sidéré d’entendre à quel point des présidents de fédération s’occupent souvent de détails qu’ils ne devraient pas avoir à gérer, alors qu’ils sont là pour faire de la stratégie. A l’inverse, les fédérations de hockey et handisport ont, elles, admirablement réussi à se professionnaliser ces dernières années. C’est ce genre d’exemples qu’il faut suivre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire