Philippe Maystadt

Emploi et climat, d’une pierre, deux coups

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

Depuis la récession économique et la montée du chômage, la priorité de tous les gouvernements est bien entendu l’emploi ; c’est pleinement justifié et légitime. Mais, dans le même temps, comme si c’était incompatible, la lutte contre le changement climatique, dont les conséquences dramatiques se rapprochent pourtant dangereusement, est reléguée au second plan.

D’abord, l’emploi ; pour le climat, on verra plus tard ! Et si c’était une profonde erreur de vouloir mener ces combats successivement et pas simultanément ? Et si la basse consommation d’énergie et l’emploi étaient un même combat ? Et si améliorer l’efficacité énergétique dans les écoles, les hôpitaux et les autres bâtiments publics permettait de faire d’une pierre, deux coups ?

Les bâtiments représentent 40 % de la consommation d’énergie en Europe. La part des bâtiments publics (à l’exclusion des logements sociaux) est estimée à environ 10 % de la superficie bâtie et bien davantage en volume chauffé. Il y a là un énorme potentiel d’économies d’énergie encore peu exploité. Un programme de rénovation énergétique de ces bâtiments contribuerait simultanément aux deux objectifs : d’une part, une réduction des émissions de gaz à effet de serre (la consommation d’énergie pour le chauffage des bâtiments publics est pour 70 % à base de produits fossiles) ; d’autre part, un impact fort sur la création d’emplois. Les experts du think-tank The Shift Project estiment en effet que par million investi, on crée quinze emplois par an ; un programme de 300 milliards pourrait donc générer quelque 450 000 emplois si le programme s’étale sur dix ans.

Le Contrat de performance énergétique (CPE) est un outil bien adapté pour une telle politique. L’opérateur privé s’engage sur une performance énergétique et doit compenser financièrement si celle-ci n’est pas atteinte. La réduction des coûts de fonctionnement est ainsi garantie pour les pouvoirs publics. Plusieurs pays ont déjà réalisé des opérations basées sur des CPE. L’adoption d’un modèle européen de CPE réduirait les frais de structuration, surtout si une expertise technique, financière et juridique était mise à disposition des pouvoirs publics par la Commission européenne.

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Le programme pourrait être financé par les banques. Toutefois, il est peu probable que les banques gardent dans leur bilan des créances pouvant avoir des maturités de trente ans. Il faut donc envisager des possibilités de titrisation de ces créances sous forme de green bonds qui pourraient être acquis par des investisseurs institutionnels à la recherche de produits d’excellente qualité et de long terme.

La difficulté est de financer un tel programme sans entraîner un effet comptable négatif sur les finances publiques des Etats membres. Le gouvernement wallon vient d’en faire l’amer constat : au moment où de nombreux économistes et même le FMI recommandent une relance des investissements publics en Europe, les nouvelles règles de comptabilité publique appliquées par Eurostat tendent au contraire à les décourager, notamment en intégrant dans le déficit annuel la totalité du coût d’un investissement même s’il est amorti sur plusieurs années. Serait-il possible qu’Eurostat reconnaisse le caractère très spécifique des projets d’efficacité énergétique qui génèrent des économies budgétaires certaines, ce qui est sans équivalent pour la plupart des autres investissements publics ? La nouvelle Commission devrait exiger d’Eurostat de revoir ses règles afin de faciliter la mise en oeuvre d’une de ses priorités.

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