Nicolas De Decker

Elio Di Rupo, une certaine idée de l’éternité

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

De ces sagesses orientales dont notre gris Occident est si friand s’étirent d’autres conceptions du temps, de la vie, de la matière et de ses manifestations. Elles peignent désormais nos ternes psychismes de psalmodies colorées, de susceptibles mais protectrices divinités dont on ne peut prononcer le nom, ou d’une âme éternelle qui se love, au fil des millénaires, dans d’innombrables corps périssables.

Elles irriguent même, aujourd’hui, à la fois le plus réel du rationnel et le plus rationnel du réel des phénomènes de l’Esprit occidental : la social-démocratie, jusque dans son expression la plus aboutie, la plus tangible, pour tout dire la plus parfaite : la social-démocratie wallonne.

Mais son éternel président, Elio Di Rupo, infuse ces sagesses de là-bas dans son bouillon dialectique d’ici, thèse- antithèse-synthèse.

Son nom à lui, il se dit. Il s’écrit, se chante, se psalmodie même. Il est Elio Di Rupo. Mais les pratiquants et les croyants qui n’ignorent pas son âge s’interdisent d’évoquer Elio Di Rupo, 66 ans, et un clergé vétilleux proscrit aux pratiquants et croyants la connaissance sensible de ces 66 années de vie. Ainsi d’une brochure, distribuée ces jours-ci dans toutes les boîtes de l’arrondissement de Charleroi-Thuin. Elle présente les 62 candidats socialistes aux trois scrutins, législatif, régional et européen. Un seul d’entre eux ne mentionne pas son âge, qui figure sous le nom et à côté de la photo des 61 autres. Un sur 62, celui qui a 66 ans, le plus vieux, Elio Di Rupo, celui dont le nom doit être chanté mais dont l’âge ne peut être prononcé. Celui qui n’est pas fini dans le temps. Celui qui ne mourra jamais.

Car son corps et son âme à lui renversent toutes les métempsychoses asiatiques. C’est l’un qui ne se meut pas, et l’autre qui bouge, l’un qui est éternel et l’autre qui est mortel. Le corps porte ces immarcescibles attributs, son athlétique sveltesse, le blanc de son sourire, le noir de ses cheveux, le rouge de son noeud papillon.

Le corps d’Elio Di Rupo est éternel.

Mais il a contenu, au fil de son éternité, des âmes dont le souffle a pris puis s’est éteint.

Il y a eu plusieurs Elio Di Rupo dans le corps d’Elio Di Rupo.

Son athlétique sveltesse a renfermé dans les années 1990 l’esprit d’un modernisateur à attaché-case, qui voulait libérer la social-démocratie wallonne de ses chaînes ouvriéristes. Puis le modernisateur s’est tu.

Son sourire blanc s’est alors animé au début des années 2000 de l’entrain d’un progressiste en baskets, qui disait de sa sociale-démocratie francophone qu’elle était PS and Love. Puis le progressiste s’est endormi.

Ses cheveux noirs ont ensuite coiffé, après 2010, la conscience d’un patriote à pin’s noir-jaune-rouge, qui éleva la social- démocratie wallonne en rempart de l’unité du royaume. Puis le patriote est parti.

Son noeud papillon rouge a enfin ceint depuis 2014 l’âme d’un socialiste à poing fermé, qui voulait faire de la social-démocratie wallonne le modèle d’une gauche qui s’affirme.

Ainsi d’Elio Di Rupo, dont les âmes passent toujours et dont le corps semble rester à jamais.

Mais aujourd’hui, en mai 2019, les siens attendent qu’il parte.

Et aujourd’hui, en mai 2019, les autres refusent de le voir arriver.

Il n’a pas conscience de sa propre finitude.

Les siens et les autres finiront bientôt par la lui signifier.

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