Efficace, le registre des lobbies ? Le bilan un an après son lancement
Un an après son lancement, le registre des lobbies de la Chambre, qui a connu quelques retards à l’allumage, se remplit petit à petit : 85 lobbies y sont enregistrés. Bilan satisfaisant pour autant ? Et inspirant les Régions ?
Lobbyiste n’est pas un vilain mot. Les représentants d’intérêts qui cherchent à orienter les décisions politiques ont toute leur légitimité. Les lois peuvent avoir des conséquences sur un secteur professionnel, une région, un environnement, certaines catégories de la population… Il est normal de vouloir faire pression sur ceux qui préparent et adoptent les lois. Les lobbies, qui représentent des entreprises, des milieux d’affaires mais aussi des ONG, font partie du décor démocratique. Mais ces dernières décennies, ils se sont fortement professionnalisés et multipliés.
Or, jusqu’à récemment (sauf pour le Parlement européen), cette activité n’était guère réglementée en vue de la rendre plus transparente. Ce qui avait été dénoncé, en 2017, par la commission fédérale de déontologie. Ensuite, le groupe de travail » renouveau politique « , mis en place dans la foulée de plusieurs scandales, avait recommandé de créer un registre des lobbies. Ce qui fut finalement fait en juillet 2018 : la Chambre avait alors inséré un nouvel article 163 ter dans son règlement, stipulant que toute personne représentant un intérêt (consultants, cabinets d’avocats, associations professionnelles, ONG, universités, Eglises, autorités locales, etc.) » est tenue » de s’enregistrer en signant le registre.
Mais, pour des raisons techniques, celui-ci n’a été mis en place et les inscriptions n’ont été ouvertes qu’en février dernier. Cet été, on comptait seulement 43 lobbies déclarés dans le registre. Dans la dernière mise à jour, le 7 octobre, ils sont 85. On n’y trouve, toutefois, aucune chambre de commerce, seulement trois banques et personne du secteur pétrolier. Satisfaisant ? » C’est un bon début, mais il est vrai que l’inscription n’est obligatoire qu’en théorie « , reconnaît Katrien Coessens, du service Citoyenneté de la Chambre, qui gère ce registre. Cette obligation n’est effectivement assortie d’aucune sanction en cas de non-respect. » Le règlement pourrait être modifié à l’avenir, mais c’est à la Commission du règlement et de la réforme du travail parlementaire d’en décider « , souligne-t-elle.
Qui vient voir qui ?
Par ailleurs, ce registre ne permet pas de savoir quel lobbyiste vient voir quel représentant de la Chambre dans le cadre de quel travail parlementaire. Pourtant, ici encore, la commission de déontologie avait recommandé, durant l’été 2018, que » tous les membres du Parlement accompagnent leurs propositions législatives d’une liste de groupes d’influence avec lesquels ils ont été en contact « . Récemment, dans son rapport 2019 sur la Belgique, le Greco (Groupe d’Etats contre la corruption) a également déploré qu’il ne soit pas possible de savoir quels élus chaque lobbyiste rencontrait.
Il est vrai que l’inscription n’est obligatoire qu’en théorie.
A priori, cela ne semble pas techniquement compliqué, vu que chaque visiteur doit s’enregistrer à l’entrée de la Chambre en indiquant quel parlementaire il rencontre. » Sauf qu’on peut aussi venir au Parlement pour assister à une séance d’une commission sans désigner de parlementaire, nuance Katrien Coessens. De toute façon, un registre de rencontres entre lobbyistes et élus n’est pas prévu par le règlement. » Mais ce dernier peut, ici aussi, évoluer si la Chambre le décide. Et elle pourrait y être encouragée par l’avancée enregistrée, en janvier dernier, par le Parlement européen en matière de transparence. Désormais, les députés rapporteurs ou présidents de commission doivent » publier en ligne toutes les réunions prévues avec des représentants d’intérêts « , comme cela doit déjà se faire au niveau de la Commission UE.
Michel préfère la discrétion
Et le gouvernement fédéral ? Le lobbying y est plus important qu’à la Chambre. Mais, ici, aucune avancée. Il y a un an, à la suite de l’instauration du registre des lobbies du Parlement, Hendrik Vuye et Veerle Wouters (ex-NVA) constataient, avec justesse, que la majeure partie de la législation adoptée par les députés émanait du gouvernement. Le duo avait dès lors déposé une proposition de loi visant à ce que tout projet de loi – provenant donc d’un cabinet ministériel – mentionne, dans l’exposé de ses motifs, les personnes ayant participé à l’élaboration du projet ainsi que leur qualité, sous peine d’irrecevabilité. Une belle mais vaine initiative.
Le 19 septembre dernier, l’association Transparencia.be, qui n’en est pas à une bravade près, a demandé au Premier ministre la liste des représentants d’intérêts que son cabinet a rencontrés en 2018 et 2019. Excepté un accusé de réception, Charles Michel n’a pas (encore) répondu. Contacté par Le Vif/L’Express , son porte-parole nous a renvoyé à ses réponses au Parlement : le Premier y explique qu’un tel registre serait compliqué à mettre sur pied car les cabinets ministériels reçoivent de très nombreuses demandes de rencontre et qu’il n’existe pas de définition légale du lobbying. Par ailleurs, certains contacts doivent rester discrets pour favoriser des investissements en Belgique, à l’instar des discussions avec le patron d’Audi qui, en 2016, avaient débouché sur le maintien du constructeur allemand à Forest.
Suspense, côté wallon
Quid dans les entités fédérées ? Au parlement bruxellois, il n’y a encore eu aucun débat sur la question. Côté wallon, au printemps dernier, Pierre-Yves Dermagne (PS), alors dans l’opposition, avait déposé une proposition de résolution fort ambitieuse visant à encadrer le lobbying, par un code de conduite et un registre, tant au niveau des parlementaires que des ministres et de leurs conseillers. Mais les partis de la majorité wallonne, MR et CDH, avaient calé. Depuis, les élections ont eu lieu. Dans leur note » coquelicot » de juillet de cette année, PS et Ecolo évoquent encore la nécessité de réglementer le lobbying, en reprenant les grandes lignes du texte de Dermagne.
Mais, dans sa déclaration gouvernementale, l’équipe PS, Ecolo et MR ne parle plus que d’un code de conduite, sans même préciser s’il concernera aussi l’exécutif. Dans les coulisses du parlement, des députés de la majorité nous expliquent que, lors des dernières discussions pour former un gouvernement, il n’y avait pas de convergence de vues sur le registre. Mais on ne constatait pas non plus de blocage absolu (comprenez de la part du MR). La volonté était plutôt d’observer les résultats engrangés au niveau du registre de la Chambre, avant de se lancer dans cette voie-là. Le suspense reste entier.
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