Ecolo : « Qui a envie d’être dans un gouvernement avec Jacqueline Galant ? »
Voici les raisons pour lesquelles les écologistes ne sont guère enthousiastes à l’idée de monter dans une majorité arc-en-ciel avec le PS et le MR. Mais des arguments pourraient les faire changer d’avis.
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Ecolo est fébrile. Ses membres espéraient la réédition d’une vague verte, le 26 mai dernier, après celle des communales d’octobre 2018. Il n’en fut rien. Un beau succès, oui, mais pas la source d’euphorie espérée. Les verts ont progressé à Bruxelles (+ 9 %) mais restent deuxièmes derrière le PS (19 % contre 22 %). Et en hausse plus modérée en Wallonie (+ 5,9 %), avec une troisième place à distance respectable du PS et du MR. Le parti participera à la majorité à Bruxelles (avec PS et DéFI, côté francophone), mais sans la ministre-présidence visée pour Zakia Khattabi, elle-même fragilisée lors de l’élaboration du casting et attaquée sur les réseaux sociaux. Après l’échec de la tentative de former une coalition coquelicot en Wallonie (avec PS et société civile), Ecolo se fait désormais désirer au cours de la laborieuse négociation d’un arc-en-ciel avec socialistes et libéraux. Les nombreuses confessions recueillies par Le Vif/L’Express confirment que la balance penche vers une non-participation en Wallonie. Même si le vent pourrait tourner. Le négociateur Jean-Marc Nollet, grand joueur devant l’Eternel, tente toujours de rendre viable une participation.
Les arguments pour une non-participation
A voir Ecolo tergiverser, on ne peut s’empêcher de penser aux précédents psychodrames de 1999 et 2009, quand les dirigeants avaient inventé un nouveau concept, la » participopposition « , pour manifester leur prudence, y compris à l’égard de leurs propres ministres. Le souvenir incite d’autant plus à la vigilance que les deux expériences s’étaient soldées par de lourdes défaites électorales. » Le contexte social, économique et politique est radicalement différent de nos participations précédentes, nuance Philippe Defeyt, ancien secrétaire fédéral du parti entre 1999 et 2002. Ce n’est pas à partir du passé qu’il faut construire notre attitude dans ce cas-ci. L’émergence des questions climatiques et de la transition énergétique et économique a tout changé, de même qu’une prise de conscience plus grande, à gauche, de la gravité de la paupérisation d’une partie de la population. Il faut apporter des réponses à la hauteur de ces enjeux. »
Les ruptures de fond du programme d’un éventuel arc-en-ciel seront déterminantes. Ecolo veut obtenir des » points de basculement » pour enclencher cette nécessaire transition. » Nous sommes très attentifs au contenu de l’accord, davantage que tous les autres, insiste Christophe Derenne, directeur d’Etopia, le centre d’études du parti. Cela dit, il n’y a pas un grand enthousiasme à négocier, pas une grande fierté quant aux perspectives. En 1999, nous avions pu construire une rupture et communiquer sur quelque chose de très différent. Cette fois-ci, on avance dans cette négociation avec l’idée que l’on pourrait s’en retirer, malgré l’urgence climatique. » Les discussions en cours ne suscitent pas un engouement démesuré. » En Wallonie, nous sommes incapables collectivement de mettre en oeuvre de vraies priorités, estime Philippe Defeyt. La négociation de la note coquelicot l’a confirmé : on n’a cessé de rajouter des points, y compris des choses affolantes. Cela ne s’est évidemment pas amélioré avec l’ouverture des négociations au MR. Le résultat, c’est que l’on se retrouve toujours avec le même petit commun dénominateur. »
» Le PS et le MR ne comprennent pas ce qu’est l’écologie politique, ajoute ce chef de file bruxellois. Avant même d’essayer de convaincre, il faut sans cesse leur réexpliquer notre approche : l’écologie politique, c’est une pensée de la complexité, de la justice sociale… A Bruxelles, Rudi Vervoort voulait mettre « durable » à chaque paragraphe en se disant que cela allait nous plaire, mais cette notion date d’il y a vingt ans dans la littérature scientifique. » Tant les marches des jeunes, la campagne de la jeune Greta Thunberg ou la canicule de cet été témoignent de l’urgence. Mais ce n’est visiblement pas assez. » Les évolutions climatiques sont désormais visibles, mais ce n’est pas encore une catastrophe, pointe Christophe Derenne. En cas de guerre et d’interruption des flux de pétrole, on est obligé d’agir et d’accepter des dimanches sans voiture. Nous n’en sommes pas encore là. »
Ce dilemme n’est pas facilité par les relations personnelles. » Il y a désormais un axe liégeois PS-MR qui rend les négociations plus compliquées, prolonge le directeur du centre d’études. Les relations interpersonnelles facilitaient le dialogue au sein de l’axe hennuyer PS-Ecolo (NDLR : Di Rupo, Nollet, Magnette) et permettaient de se dire les choses franchement. L’axe liégeois est aussi celui qui a écarté Ecolo à la Ville de Liège, sur fond d’exaspération causée par le scandale Publifin. Sur le fond, cela induit une volonté de défendre l’industrie liégeoise de l’armement ou l’aéroport face à des écologistes considérés comme des extrémistes. » » Il n’y a pas d’enthousiasme au sujet de certaines personnalités, ajoutent d’autres. Qui a envie d’être dans un gouvernement avec Jacqueline Galant ? Et il n’y a pas de relation de confiance a priori entre les ministres potentiels, à part peut-être avec Jean-Michel Javaux s’il devait monter. » L’épisode de la fuite d’une note Ecolo, début juillet, a ravivé des plaies béantes liées à un manque de confiance chronique au sein de l’ancien olivier.
Alors ? » Quand on analyse une décision, il faut se demander si elle est facile et urgente à prendre, résume un nouvel élu très influent. Participer est facile : on nous demande et on n’a pas de grand sacrifice à faire. Reste à voir si cette participation peut se faire dans de bonnes conditions : le PS veut de nous, mais jusqu’à un certain point car s’il veut bien d’autocollants verts sur la limousine, la limousine ne doit pas devenir verte. L’urgence ? Elle est évidente sur le plan climatique, mais aussi démocratique, avec cette une lame de fond de droite populiste dans toute l’Europe. Cela nécessite des réponses. Mais on pourrait monter maintenant et rater la possibilité de progresser et d’avoir davantage de capacités d’agir dans cinq ans. Je crois que ce serait une mauvaise idée de monter. »
Sans se prononcer aussi clairement, le député francophone Matthieu Daele, ancien coprésident d’Ecolo J avec Catherine Lemaître, avec qui il songe déposer une candidature concurrente à celle du ticket proposé par Jean-Marc Nollet et la Bruxelloise Rajae Maouane, insiste : il faut renforcer le message du parti. : » L’enjeu pour ces prochaines années, c’est de populariser notre message. L’écologie est rendue populaire par Nicolas Hulot, Greta Thunberg… On nous reproche de parler d’écologie politique davantage à l’attention des auditeurs de La Première que de VivaCité. Nous devons dépasser l’électorat actuel et atteindre des milieux plus populaires et plus entrepreneuriaux. » Une pierre dans le jardin de Nollet.
Cela dit, bien sûr, Ecolo pourrait participer. » Nous avons rédigé des notes et répondu aux sollicitations, ce n’est pas du bluff, déclarait, mardi 20 août, à la RTBF, Georges Gilkinet, chef de groupe à la Chambre. Nous nous mettons du côté des solutions, mais nous ne le faisons pas aveuglément. Pour Ecolo, participer au pouvoir n’a jamais été une fin en soi. » Pour franchir le pas, il » suffirait » de quelques avancées sur le fond, couplées à un effort des partenaires socialistes et libéraux pour donner des signes de confiance et d’un casting » Ecolo compatible » avec, par exemple, Jean-Luc Crucke (MR), Paul Magnette et Pierre-Yves Dermagne (PS). Ce n’est pas impossible.
« Les gens veulent du changement »
» Il y a au sein d’Ecolo une large majorité convaincue qu’il faut régulièrement participer au pouvoir, la question est de savoir dans quelle condition « , ajoute ce leader bruxellois. » Ce sont précisément les urgences climatiques et démocratiques qui doivent nous inciter à participer, clame un jeune député fédéral. Ce qu’il ressort des urnes, c’est que les gens veulent du changement : ce sentiment-là est partagé par tout le monde. Voilà pourquoi nous avons essayé coûte que coûte le coquelicot, voilà pourquoi nous produisons des notes solides, on fera tout pour en être ! Nous devons faire passer un maximum de mesures pour la transition et soutenir l’action des écologistes au niveau local, maintenant que notre ancrage s’est renforcé. » » Il existe réellement des possibilités de trouver des consensus ambitieux, que ce soit en matière climatique, sociale ou démocratique, mais il faut donner du temps aux techniciens de les préparer « , souligne Philippe Defeyt. » Le cas échéant, il y a encore des étapes, des cliquets, des Conseils de fédération qui peuvent être activés pour jouer l’agenda et créer un rapport de force, précise Christophe Derenne.
Prendre le temps… d’attendre, aussi, que la situation se décante au niveau fédéral. » Quelque chose n’apparaît pas dans le récit médiatique, relève le directeur d’Etopia, c’est que nous faisons tout pour qu’au niveau fédéral, l’hypothèse d’un gouvernement sans la N-VA soit possible. Voilà pourquoi nous n’avions aucune raison d’aller à une réunion où les informateurs, Didier Reynders (MR) et Johan Vande Lanotte (SP.A), défendaient l’hypothèse A alors que nous prônons cette hypothèse B. Dans cet autre cas de figure, nous serions en outre mathématiquement nécessaires. C’est quand même différent de négocier un arc-en-ciel wallon dès le moment où nous sommes indispensables au fédéral. »
Prendre le temps, aussi, que l’élection de la coprésidence soit réglée. » Cela donnerait une plus grande légitimité à Jean-Marc Nollet, qui est aussi notre négociateur principal « , juge Christophe Derenne. » Avec la coprésidence, cela fait deux fers au feu, résume ce ténor bruxellois. Jean-Marc Nollet est un joueur, il tentera toujours de tout gagner. Si j’étais à sa place, je règlerais d’abord la question de la coprésidence, je ferais durer les choses, je mettrais des balises, je montrerais que je suis capable de me fâcher. Ensuite, seulement, j’évaluerais l’opportunité de la participation wallonne et francophone. Il pourrait convaincre de monter aux gouvernements pour une question d’intérêt général, dès à présent, il maîtrise suffisamment son conseil de fédération pour que la décision soit acceptée. Mais il y aurait inévitablement un risque de retour du balancier, plus tard. »
Dès lors, Jean-Marc Nollet et les siens devraient continuer à se laisser désirer. Au risque d’exaspérer le PS et le MR.
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