Hugues Le Paige

« Ecolo, le capitalisme et la gauche »

Hugues Le Paige Journaliste-réalisateur

L’extraordinaire mobilisation en faveur de la transition écologique, celle des jeunes en particulier, devrait logiquement déboucher sur une « vague verte » aux élections du 26 mai prochain. On ne peut que s’en réjouir.

Ce succès sanctionnera le rôle historique des Verts d’avoir imposé aux autres partis traditionnels la priorité désormais incontournable de l’urgence écologique. Restera à fixer le cadre et les conditions d’un combat politique, la question des alliances et des compromis stratégiques. C’est bien là que se situent aujourd’hui les enjeux fondamentaux.

Ces enjeux posent aussi la question du positionnement politique et idéologique d’Ecolo. Celle du clivage gauche/droite et peut-être encore plus fondamentalement celle du rapport au capitalisme qui est bien la question centrale. Lors de sa démission du gouvernement macronien, même un homme comme Nicolas Hulot a mis en cause le « modèle dominant — libéral, marchand — qui est la cause de tous les désordres » [1]. En dehors du patronat et des multinationales qui veulent se dédouaner de leurs entreprises de pollution en signant de pseudo appels pour le climat, on ne peut plus absoudre le capitalisme de sa responsabilité majeure dans le pillage et la destruction de la planète. C’est bien aujourd’hui le système du profit absolu et à court terme qui est mis en cause. De ce point de vue, Ecolo est ambigu. Si le parti vert affirme bien que « la justice sociale et la justice environnementale sont indissociables et sont au coeur de sa politique économique », il préfère évoquer un « horizon post-capitaliste » [2]qu’un combat anticapitaliste. Et d’une manière générale, Ecolo veille à souligner ses bonnes relations avec le monde patronal. La coprésidente d’Ecolo l’affirmait encore récemment : « Écolo n’a jamais aussi bien travaillé avec les entreprises qu’aujourd’hui », disait Zakia Khattabi en ajoutant « mais l’obsession du profit individuel de certains actionnaires [3] de grosses multinationales, c’est l’égoïsme le plus absolu [4] ». Cette vision imprègne souvent le discours de certains dirigeants écolos : ce n’est pas le système capitaliste (jamais vraiment nommé d’ailleurs) qui est responsable, mais le mauvais comportement de « certains » de ses acteurs. Une partie du monde de l’entreprise se reconnaît dans ce discours. C’est ainsi que Luc de Brabandere, ancien dirigeant de la Bourse de Bruxelles et philosophe de l’entreprise, se retrouve aujourd’hui sur la liste Ecolo à l’Europe. « Je me retrouve dans les valeurs qui sont défendues (par Ecolo) d’autant que le parti se montre plus ouvert aujourd’hui au monde des entreprises et au rôle joué par les entrepreneurs » [5] a-t-il dit pour expliquer son engagement.

Et de la même manière qu’Ecolo avait en 1999 soutenu la libéralisation de l’énergie, les Verts font largement confiance au marché, certes parfois régulé, comme règle de base du fonctionnement de la société. La méfiance vis-à-vis de l’État, réduit à une seule fonction de régulateur est l’autre versant de cette conception socio-économique teintée de libéralisme. Tout cela est parfaitement légitime, mais il est utile d’identifier d’où chacun parle. Et le refus ou l’évacuation de l’anticapitalisme conditionne un positionnement idéologique, en particulier à propos du clivage gauche/droite.

Le débat sur ce thème irrite souvent Ecolo, et on peut le comprendre. Ecolo n’est pas un parti monolithique — ce qui est à la fois une force et une faiblesse –, des sensibilités très différentes sinon contradictoires s’y côtoient. Qu’y a-t-il, en effet de commun entre un Jean Michel Javaux initiateur d’E-Change, mouvement de type macronien et Zoé Genot qui pourrait appartenir à la gauche radicale ? Naturellement Ecolo compte dans ses rangs de nombreux militants et élus de gauche, mais aussi des centristes ou des libéraux progressistes qui occupent généralement les postes de commande et dictent le plus souvent la ligne du parti. Bien sûr, les rapports de forces ne sont pas figés au sein du parti et toutes les évolutions sont possibles. Quand Thierry Bodson a lancé au nom de la FGTB wallonne un appel à la formation d’une majorité PS-Ecolo-PTB, pour des raisons diverses, aucun des partenaires potentiels ne s’est montré enthousiaste, mais Ecolo a été le plus négatif, estimant que cela ne le concernait pas [6]. On se souvient des déclarations de Patrick Dupriez, alors coprésident d’Ecolo, définissant sa formation comme un « parti pivot » [7]. Ou celle plus récente de Jean Marc Nollet assimilant le PTB et la NVA dans le refus de toute coalition avec ces partis et se déclarant « vacciné contre le communisme » [8], on voit dans quelle direction finale la balance penche.

Précédemment Zakia Khattabi avait fait entendre un tout autre discours sur la question. En février 2018, elle répondait à une question sur une alliance possible avec le PTB que le jeu était « ouvert avec tout le monde » en précisant tout aussitôt en réponse à une interrogation sur le positionnement politique à gauche d’Ecolo : « Cette lecture me semble appartenir au vieux monde. Sur les enjeux de solidarités, on est plutôt à gauche. Mais sur la transition de l’économie, on est plutôt dans une vision plus libérale. Ni dans le tout à l’état, mais non plus à tout au marché. C’est la spécificité du projet écologiste. On transcende les clivages traditionnels. Chacun nous situera où il le veut ». Que dire de plus ? Sinon qu’à Ecolo aussi l’opportunisme peut l’emporter, comme dans les autres formations traditionnelles. Ce fut le cas en 2013, lorsqu’Ecolo vota en faveur du traité budgétaire européen aux parlements wallon et bruxellois où il était dans la majorité et contre le même traité au parlement fédéral où il était dans, l’opposition…

Certes, dans de nombreux débats, mes amis Ecolos ont régulièrement mis en avant le fait que selon eux, l’appellation même de « gauche » avait perdu de sa pertinence parce qu’en son nom que de trahisons avaient été commises. Et que, notamment les jeunes générations étaient étrangères à cette classification. Ou encore que peu importe les étiquettes, c’est le contenu du programme qui compte. En 2009 déjà, le directeur d’Etopia, le centre d’étude d’Ecolo précisait sa pensée : « A Ecolo, on est à gauche. La question ne se pose pas ; elle est incongrue pour la majorité des militants. Pour autant faut-il le proclamer à tous les coins de rue. En fait, je suis de ceux qui reçoivent la question de l’appartenance d’Ecolo à la gauche avec suspicion : non seulement parce que je doute de la pertinence du clivage droite/gauche pour analyser les politiques qui sont menées, mais aussi parce qu’elle contient une forte connotation tactique où, dans le contexte politique belge, elle peut viser surtout à nous neutraliser » [9]. C’était, il est vrai après l’expérience des « convergences de gauche » où chacun avait tenté d’instrumentaliser l’autre, un jeu où le PS s’était évidemment montré le plus fort. Mais au-delà des circonstances et des polémiques électorales et sans entrer dans des procès d’intention, ce positionnement qui veut échapper au clivage gauche/droite tout en s’affirmant progressiste – et le programme d’Ecolo le confirme largement-est le fondement d’une philosophie politique qui intègre le refus de l’anticapitalisme. Il ne s’agit pas comme il est dit souvent du côté des Verts, de s’accrocher, comme à un totem, à de vieilles étiquettes dépassées. Mais de conserver un sens aux mots, ce qui est plus que jamais fondamental en politique. « L’étoile Polaire de la gauche, c’est l’égalité », disait le philosophe italien Norbeto Bobbio. La gauche et l’égalité sont inséparables. L’apport de l’écologie politique pourrait permettre une féconde réinterprétation du clivage gauche/droite et l’enrichir à condition de ne pas l’effacer. Car la négation de ce clivage et l’affirmation du « ni-ni » finissent toujours par profiter à la droite. Plus grave encore, c’est bien la confusion des politiques de gauche et de droite qui a favorisé le développement du populisme et de l’extrême droite. De ce point de vue, la responsabilité incombe naturellement à la sociale démocratie qui s’est convertie au social-libéralisme au cours des dernières décennies. Les Verts, en Belgique du moins, n’y sont pour rien. Mais Ecolo qui sera peut-être demain la principale force politique progressiste devra alors choisir entre la construction d’un nouveau centre ou celle d’une nouvelle gauche. Pour le meilleur comme pour le pire, tous les chemins sont encore ouverts.

PS: Pour plus de clarté, et pour situer, moi aussi, « d’où je parle », je précise que j’appellerai à voter en faveur du PTB, notamment parce que c’est la seule force à gauche qui affirme sans équivoque son anticapitalisme.

[1] France Inter 28/08/2018

[2] « Écolo : « ouvrir un horizon post-capitaliste », Michel Genet (directeur politique d’Ecolo », Politique n° 107, mars 2019 ?

[3] Souligné par nous

[4] La Libre Belgique des 16 et 17/02/2019

[5] L’Écho 15/03/2019

[6] « Je n’entre pas dans ce jeu-là », avait déclaré la coprésidente d’Ecolo dans Le soir du 20/09/19

[7] Le Soir 02/12/2017

[8] L’Echo 04/04/2019

[9] Avr. 5, 2009 | 01. Fondements de l’écologie politique, 07. Démocratie/éducation/citoyenneté

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