Raoul Hedebouw et Georges-Louis Bouchez, en 2016. © belga

Duel Bouchez – Hedebouw: dialogue de sourds entre deux coqs

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les présidents du MR et du PTB se sont affrontés sur LN24 de façon stérile sur l’histoire ou sur la gestion des crises. En coulisses, ce sont les socialistes qui devaient rire jaune.

Georges-Louis Bouchez, président du MR, en duel face à Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB. L’affiche était à la fois attrayante et déconcertante, mardi soir sur LN24. L’hyperprésident libéral entendait de la sorte clouer le bec à ce populisme de gauche qu’il ne cesse de dénoncer, en coupant court à ses arguments alors que le parti d’extrême gauche a droit de citer sur tous les médias.

Georges-Louis Bouchez aurait-il accepté de débattre avec l’extrême droite, entame le journaliste Martin Buxant ? La réplique du président du MR fuse, sans répondre à la question et sans s’embarrasser de préambule: « Il y a une question qui se pose, c’est celle du respect du cordon sanitaire, débute le président du MR. Le cordon sanitaire a sauté depuis longtemps puisque certains partis ont fait preuve de plus de complaisance vis-à-vis du PTB et les médias ont eu l’habitude d’inviter le PTB. Mais il reste un parti marxiste et communiste. A ce titre, il fait partie de l’extrême gauche et non de la gauche radicale. Quand on se revendique du marxisme, cela veut dire aussi que l’on remet en cause la démocratie parlementaire. Marx disait que le parlement, c’était une illusion. Dans les programmes du PTB que j’ai lu attentivement, on peut lire que le parlement est un cirque. »

Le MR, dit-il, considère donc que le PTB n’est pas un parti démocratique. « Mais à partir du moment où il est invité par les médias, je préfère répondre argument contre argument. » Et l’extrême droite, alors ? La question ne se pose pas, laisse entendre Bouchez, car les médias francophones ne la placent pas au même niveau que le PTB.

« Du côté francophone, il y a clairement un cordon médiatique qui existe contre l’extrême droite, acquiesce Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, dont le président Peter Mertens avait pourtant débattu avec le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, dans la presse flamande – mais le contexte flamand est différent, avait-il alors défendu. « L’extrême droite n’est pas démocratique, elle est raciste, elle ne respecte pas les droits de l’homme, ajoute Raoul Hedebouw. Les arguments avancés par M. Bouchez ne valent pas pour le PTB. Tous les politologues ou les différentes chaînes – comme LN24, la RTBF ou RTL – ont raison d’analyser que le PTB est un parti démocratique. Et quand nous disons effectivement comme Marx que le vrai pouvoir ne se trouve pas au parlement, mais dans les conseils des grandes entreprises, et que l’on doit aujourd’hui se réapproprier la démocratie, j’ai envie de dire que le PTB est ultra-démocratique. Je comprends complètement la décision de M. Bouchez de venir débattre avec moi, il a reconnu dans le PTB un parti démocratique. » Réponse du berger à la bergère: en débattant avec lui, le MR… le légitimiserait.

Le dialogue de sourds attendu est au rendez-vous. Le président du MR esquisse une grimace mi-amusée, mi-agacée. « Ce que M. Hedebouw est faux. Le PTB a débattu avec le Vlaams Belang en Flandre, avec des photos bras-dessus bras-dessous et ils semblaient même se comprendre sur certains aspects. Par ailleurs, le PTB ne répond jamais à la question de savoir si c’est un parti communiste ou pas. On utilise beaucoup de choses. Or, le communisme, dans notre histoire, ce sont des millions de morts. » Au tour de Raoul Hedebouw de sourire : « Vous avez vu, on n’a pas encore commencé le débat qu’il essaie déjà de l’éteindre. En Flandre, tous les partis démocratiques, dont l’Open VLD (parti libéral flamand – Ndlr) débattent avec l’extrême droite. Quant à la démocratie, après la Seconde guerre mondiale, le MR a fait un gouvernement avec le PC. Pourquoi ? »

« On ne parle pas du tout des mêmes éléments, réplique le leader libéral. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il y a eu un grand accord pour faire la sécurité sociale. Et depuis lors, il y a peut-être eu un élément qui vous a échappé, qui s’appelle l’URSS. Vous reconnaissez donc que vous êtes un parti communiste… » Ce n’est pas un secret, sourit Hedebouw. « Et cette crise-ci démontre encore plus que l’on doit rompre avec le capitalisme. » Les deux hommes s’affrontent à coups de références historiques : Mao et Staline d’un côté, Pinochet et l’école de Chicago de l’autre. « Il faut élever le débat », dit le PTB. « Cela l’élève parce que les gens doivent savoir pour qui ils votent, dit le MR. A aucun moment dans l’histoire, il n’y a eu une application du communisme qui a permis plus de bien-être et plus de richesse. Ma formation politique défend la seule philosophie qui a fonctionné dans l’histoire. »

« La sécurité sociale était d’inspiration marxiste et les libéraux n’était pas chaud« , clame le PTB. Qui reproche au MR « le modèle Charles Michel appliqué ces cinq dernières années. Je ne veux pas un débat d’il a cent ans, je veux un débat aujourd’hui. Je défends la sécurité sociale face à tous les cadeaux que vous faites au patronat. C’est ça le débat aujourd’hui. » Georges-Louis Bouchez retape sur le même clou ; « Est-ce que M. Hedebouw peut me citer un pays communiste qui a mieux fonctionné qu’un pays libéral dans l’histoire de l’humanité ? »

Le débat se prolonge sur les Etats-Unis et les émeutes consécutives à la mort de George Floyd. Raoul Hedebouw souligne sa crainte de voir ce pays dégénérer dans la guerre civile à cause de Donald Trump et affirme que le racisme est bien présent en Belgique. « On ne répond pas à une violence en en légitimant une autre »,tacle Georges-Louis Bouchez. Je condamne sans appel ce qui s’est passé et qui est inacceptable, innommable. Et je partage en tant que libéral ce combat pour l’égalité des chances à tous les niveaux. Mais cela ne doit jamais légitimer des violences contre les populations. Au parlement, le PTB ne soutient pas les textes qui vise à les protéger davantage. »

La trame du débat est posée, deux coqs face-à-face, un PTB qui se prétend en phase avec le peuple et qui réclame davantage de budget sur tout (« j’ai beaucoup discuté avec les policiers qui demandent plus de moyens »), face à un MR responsable (« le budget de l’Etat ne cesse d’augmenter et faire croire que la signature d’un simple chèque sauvera tout, ce n’est pas vrai », « hors des périodes des crises, il faut gérer le budget et le meilleur exemple, c’est l’Allemagne »).

La gestion de la crise du coronavirus n’échappe pas à cette logique polarisée. Raoul Hedebouw juge que le manque de masque et de testing dans les six premières semaines de la crise est responsable de nombreux décès dans les maisons de repos. Le PTB demandera d’ailleurs une commission d’enquête pour faire la clarté sur la gestion de la crise. « C’est ahurissant d’entendre autant de contre-vérités », répond Georges-Louis Bouchez. La question des maisons de repos est bien plus vaste et complexe selon lui. Il est toutefois favorable à une commission d’enquête, à « une évaluation complète à tous les niveaux de pouvoir . » Le président du MR continue : « Si on fait une commission, on a certainement plus de responsabilités que vous. Mais, vous savez pourquoi ? Parce que nous au moins, on s’est mouillé pour aider les gens. Vous n’avez même pas voter la confiance. Si nous avions écouté le PTB, nous n’aurions même pas eu un gouvernement pour pouvoir gérer cette crise. »

Faute de convaincre l’un ou l’autre camp que tout oppose, le débat entre ces deux orateurs aura au moins eu le mérite de faire vivre une polarisation théâtrale. En coulisses, ce sont les socialistes qui ont dû rire jaune de voir le MR mettre de la sorte en avant les arguments de ce parti d’extrême gauche qui ne cesse de grignoter les places fortes rouges.

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