« Difficile de croire que l’on aura une fiscalité moderne et juste dans quatre ans »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Une nouvelle fois, la Belgique a été condamnée pour la façon dont elle impose l’immobilier. Le gouvernement De Croo changera-t-il les choses ?

Notre système fiscal est trop compliqué, il y a trop de portes dérobées, et il y a trop de tarifs différents. De plus, les tarifs sont élevés. C’est ce que l’on peut lire dans l’accord de gouvernement du gouvernement De Croo : « Notre système se caractérise par de nombreuses exceptions, des régimes d’exonération et des différences de traitement au sein des différents domaines fiscaux, et on applique des taux d’imposition élevés. »

L’immobilier est en exemple : il est imposé différemment en Belgique et à l’étranger. La Cour européenne de Justice a condamné notre pays en 2014 et 2018 pour ce traitement discriminatoire. L’état n’a rien fait et donc cette semaine la Belgique a été à nouveau condamnée. Nous avions une amende de 2 millions d’euros et une astreinte de 7500 euros par jour où la législation belge n’est pas adaptée. L’expert fiscal Michel Maus accuse les gouvernements Michel et Wilmès de « négligence coupable » parce qu’ils n’ont pas oeuvré à l’adaptation de condamnations antérieures. Aujourd’hui, c’est au tour du gouvernement De Croo de s’en occuper.

Chaque année, les propriétaires d’immobilier doivent payer un précompte immobilier. Celui-ci est basé sur le revenu cadastral : le revenu estimé, net d’une parcelle ou d’un bâtiment si le propriétaire le louait. Seulement, aujourd’hui le revenu cadastral est assez loin des véritables loyers, le RC n’étant plus actualisé depuis 1975. Dans une tentative de redresser cette situation, le RC est indexé depuis 1989 et a augmenté de 40%. Malgré ces expédients, il y a toujours une grande différence avec la réalité et l’état rate de nombreux revenus.

Alors qu’en Belgique l’immobilier est imposé sur base du RC, notre fisc impose l’immobilier étranger sur les loyers réellement perçus ou sur la valeur locative, le loyer que l’on pourrait percevoir si on louait son bâtiment. Le résultat, c’est que vous payez plus d’impôts sur l’immobilier étranger que sur un logement équivalent en Belgique. La Cour européenne de Justice a condamné cette différence de traitement fiscal, qui dépend uniquement de la situation en Belgique ou à l’étranger du bien immobilier, comme étant une atteinte à la libre circulation du capital.

Notre pays doit réduire cette discrimination entre les taxes sur l’immobilier en Belgique et à l’étranger. À lui de décider de quelle façon. Il est évident qu’il faut imposer l’immobilier en Belgique sur base de la valeur locative réelle, non seulement parce que la Commission européenne le suggère depuis des années, mais aussi parce que la notion de RC n’existe pas à l’étranger. Alors, le précompte immobilier augmentera pour la plupart des gens. Les fiscalistes ont proposé une solution : le gouvernement pourrait prévoir toutes sortes de charges déductibles, de sorte que l’immobilier soit imposé sur les revenus locatifs réels, sans devoir payer plus d’impôts. Ces cafouillages seraient une très mauvaise idée. Ils créent encore plus de portes dérobées alors qu’il faut justement plus de simplicité et de transparence.

Au fond, la solution est simple, et elle a été suggérée à multiples reprises. Distinguez la façon dont vous percevez les revenus. D’une part, vous imposez tous les revenus du travail à un certain taux (progressif), d’autre part, vous imposez tous les revenus de la propriété, comme les revenus immobiliers, par exemple les revenus locatifs nets à un certain taux (forfaitaire ou progressif). Un tel système de dual income tax ou à deux piliers est une façon simple, cohérente et pragmatique de taxer tous les revenus, et fonctionne parfaitement dans les pays scandinaves.

Au lieu de trafiquer l’impôt foncier pour satisfaire la Cour de justice européenne, il nous faut une solution convenable. Au lieu d’un fouillis fiscal encore plus grand, il nous faut une fiscalité transparente et équitable. L’accord de coalition stipule que « le gouvernement préparera une réforme fiscale plus large pour moderniser, simplifier, rendre le système fiscal plus équitable et neutre ». Notez qu’il est écrit « préparera » et non « réalisera ». Difficile de croire que l’on aura une fiscalité moderne et juste dans quatre ans.

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