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Didier Gosuin, le dégoût de la politique et la difficulté du renouveau

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Sur fond de crise sanitaire, le bourgmestre d’Auderghem et ex-ministre a « perdu le goût de la politique ». Trois soucis majeurs: manque de vision à long terme, tribalisation de la société et absence de responsabilité politique.

« Didier Gosuin se méfie du monde politique. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cet homme timide mais populaire qui, au dernier scrutin, fin mai, a récolté 22906 voix de préférence. » Voilà comment Le Vif débutait le « portrait d’un atypique » publié en… 2014, quand ce pilier de DeFI avait été renommé ministre au sein du gouvernement bruxellois. Aujourd’hui, le bourgmestre d’Auderghem confirme qu’il ne finira pas la législature à la tête de sa commune. Et s’épanche au sujet de son ressenti à l’égard de la politique.

Cela fait un certain temps que Didier Gosuin émet des doutes quant à la façon dont fonctionne ce système politique dont il est pourtant un illustre représentant depuis des décennies. Avec l’écologiste Jean-Michel Javaux et l’humaniste Melchior Wathelet, il fut l’un des initiateurs du mouvement E-Change en 1999 pour tenter de bâtir des ponts entre les partis politiques et la société civile, en s’inspirant de l’élan initial lancé par Emmanuel Macron en France – qui a fait déchanter depuis lors.

En février 2020, il annonçait la création d’un mouvement baptisé D21 pour se pencher sur l’avenir de la démocratie. Avec ce constat: « Notre société est dans l’impasse. Si on ne se reprend pas, on va vivre les mêmes aventures que certains pays autour de nous. »

Dans les colonnes de La Libre et sur BX1 cette semaine, l’ancien ministre exprime à nouveau une série de constats qui rejoignent ceux posés depuis des années. Comme une rengaine qu’il semble si difficile d’arrêter. En « une » du quotidien, il y a ces mots: « J’ai perdu le goût de la politique. » Un cri qui rejoint à nouveau des constats posés depuis longtemps.

Un manque de vision à long terme

L’un des moteurs du mouvement E-Change, outre la volonté de dépasser le cadre strict des partis, consistait à vouloir élavorer une vision à long terme, en partenariat avec les acteurs de terrain. Deux objectifs qui semblent tellement difficile à atteindre.

Cette fois, Gosuin évoque les conclusions à tirer de la crise sanitaire: « Je constate avec amertume que nous n’avons absolument rien appris de cette crise. Après la guerre, tout le monde était meurtri et il y a eu un grand élan de démocratie. On a accordé le droit de vote aux femmes, on a instauré la sécurité sociale, on a mis en place de grandes réformes qui ont structuré notre vie commune. Avec la crise que nous venons de vivre, nous aurions pu espérer un sursaut en termes de réorganisation des soins de santé. Tout le monde déclare aujourd’hui que la sixième réforme de l’État est une imbécillité sans nom, mais lorsque vous lisez le programme de la Vivaldi, les partis de la majorité veulent continuer à détricoter la sécurité sociale. »

Le « tribalisation » de la société

L’intérêt général: tel devrait être le moteur du politique. En dépassant, donc, les intérêts particuliers. Voilà encore un élément essentiel des réflexions nées pour rédonner à la démocratie son souffle original. Pas simple en cette période où la communication est omniprésente et où les luttes se multiplient. Sans oublier une diversité de la société qui doit être gérée.

Didier Gosun évoque « tout au long de cette crise une floraison d’interventions douteuses, complotistes, sans parler des dégâts que génèrent les réseaux « asociaux », comme je les appelle ».

Le bourgmestre poursuit: « Pourquoi rencontrons-nous autant de difficultés à Bruxelles, par exemple dans les maisons de repos, à convaincre de l’intérêt de la vaccination ? Précisément parce que dans une certaine communauté, souvent subsaharienne, il y a des discours qui sont relayés sur les réseaux sociaux, du style : se faire vacciner, c’est aller contre la volonté de Dieu. C’est terrible d’entendre des choses pareilles et, dans une série de populations, ces communautarismes ne font que croître. Je ne vois pas la stratégie du politique et chaque jour qui passe envoie des signaux qui me font dire que nous n’allons pas dans le bon sens.« 

L’absence de responsabilité politique

Le fossé s’est creusé entre des citoyens atterrés par les affaires qui ont secoué la Belgique francophone ces dernières années et un monde politique qui a trop souvent fuit ses responsabilités. De façon générale, la « responsabilité politique » est devenue une notion vide de sens dans un univers où chacun gère sa carrière professionnelle.

Dur? Didier Gosuin ne dit pas le contraire: Si j’avais été encore ministre au moment de la crise, je pense que j’aurais été encore plus mal à l’aise vis-à-vis du citoyen que je ne le suis déjà aujourd’hui en tant que bourgmestre, car je me sentirais presque complice de dysfonctionnements graves. Ce qu’il s’est passé dans les maisons de repos est une horreur sans nom. J’ai vu des directrices d’établissements pleurer et me dire que des patients étaient refusés à l’hôpital tandis que des ministres déclaraient avoir la situation en main. Ils n’avaient pas du tout la situation en main ! Je crois sincèrement que si j’avais été à la place du ministre Alain Maron, j’aurais démissionné car je n’aurais pas pu défendre de telles positions incongrues.

On ajoutera à cela un quatrième souci: le cynisme de certains et la difficulté croissante à faire ce métier. « Rendez-vous compte: moi, en tant que bourgmestre, j’ai dû donner des ordres à ma police d’interdire à la population de s’arrêter en rue, aux personnes âgées de s’asseoir sur les bancs publics, ditr Gosuin. Les enfants ne pouvaient plus jouer dans les plaines de jeux. On a obligé les bourgmestres à jouer des rôles qui étaient incongrus. Je l’ai très mal vécu, car on nous a raconté toutes sortes de choses qui n’étaient pas la vérité scientifique. On nous a menti. »

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