Elio Di Rupo et Paul Magnette, un tandem dont chacun se croit le pilote. © PHILIP REYNAERS/PHOTO NEWS

Di Rupo-Magnette: messe basse et faux compromis

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le 3 décembre, Elio Di Rupo a dû concéder à Paul Magnette la tête de liste aux européennes… et s’engager à quitter la présidence du PS dès la conclusion des accords de majorité dans les entités fédérées, à l’été prochain.

C’est le patron des missions catholiques, de la Mongolie et du tourisme. Sa fête, le 3 décembre, est celle de la langue basque. Mais saint François-Xavier est aussi un des cofondateurs de la Compagnie de Jésus. Et Dieu sait que, ce 3 décembre, au Parti socialiste, on fit assaut de jésuitisme pour crever, définitivement semble-t-il, l’énième épisode de la controverse entre Elio Di Rupo et Paul Magnette. Ce lundi de tension avait commencé par un G9 puis un bureau étrangement calmes, alors que l’annonce par Elio Di Rupo, le jeudi précédent, à la RTBF, qu’il serait, par sa propre volonté, tête de liste PS aux législatives dans le Hainaut, avait révolté ceux qui, de longue date, travaillent à la postérité présidentielle de Paul Magnette, mais aussi quelques autres, dont le ralliement fut décisif. Le samedi, dans Le Soir, plusieurs socialistes anonymes, sauf un, exprimaient leur désapprobation quant à cette surprenante décision. De plus en plus fort, et de moins en moins pour rigoler, on se prenait à comparer l’éternel président à Robert Mugabe ou Abdelaziz Bouteflika.

Le plus énervant, c’est qu’au fond, le casting est bon

Messe basse et faux compromis

Alors, le 3 décembre, puisque Liège avait bougé, Bruxelles pouvait trembler. Mais pas dans la clameur du bureau ni dans les hauts cris du G9, auquel du reste Paul Magnette ne participa pas: les deux missionnaires se sont vus pour une messe basse, devant témoin, au début de l’après-midi, pour baliser enfin la campagne électorale et, surtout la succession présidentielle. L’hypothèse du putsch n’a jamais été énoncée, mais Elio Di Rupo se savait en position fragile. Paul Magnette, alors, a exigé cette tête de liste européenne, et que la garantie que la procédure de désignation d’un nouveau président, au suffrage universel des membres, soit lancée dès l’installation des gouvernements wallon, bruxellois, et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, issus des scrutins du 26 mai prochain, que le PS y soit associé ou pas. Parce qu’il savait qu’il ne tenait plus Liège – personne ne tient vraiment Liège, mais lui, désormais, encore moins que d’autres – Elio Di Rupo a dû céder.

Le compromis de la Saint-François-Xavier n’en était donc pas vraiment un: pour espérer se rendre incontournable à la Région wallonne, et utile au fédéral, le PS d’Elio Di Rupo doit mettre ses candidats les plus populaires sur ses listes régionales ou fédérales. La défection du bourgmestre de Charleroi est à ce titre un sale coup. Mais Paul Magnette, lui, espère se rendre incontournable dans son propre parti, et même face à certaines de ses strates (les députés-bourgmestres lui sont hostiles depuis les tensions sur le décumul), en s’imposant comme le candidat francophone le plus populaire et en faisant campagne dans toute la Wallonie et à Bruxelles, ce que le confinement dans une circonscription lui aurait interdit.

Le temps ne fait rien à l’affaire

Paul Magnette ne voulait pas qu’Elio Di Rupo soit tête de liste aux élections législatives. Il a été pris de court. Elio Di Rupo ne voulait pas que Paul Magnette soit tête de liste aux élections européennes. Il a été pris de force. Chacun a dû accepter le choix de l’autre, et ainsi s’annonce la campagne que mènera le PS, avec Elio Di Rupo comme président et Paul Magnette comme porte-parole. Celle d’un tandem dont chacun se croit le pilote, et dont personne n’a finalement vraiment le contrôle. L’un est plutôt soutenu par des parlementaires régionaux (Nicolas Martin, Pierre-Yves Dermagne, Christophe Lacroix, Paul Furlan, Deborah Géradon, etc.) et il s’est abouché avec un Jean-Claude Marcourt sorti lui-même affaibli des affaires liégeoises et des communales. L’autre conserve davantage de sympathies parmi les députés fédéraux, garde l’estime d’une Laurette Onkelinx, elle aussi en partance, et s’est rabiboché avec un Rudy Demotte sorti lui-même affaibli des communales. Mais le temps ne fait rien à son affaire… « Le plus énervant, c’est qu’au fond, le casting est bon: Elio aux fédérales, comme président de parti, c’est plus logique, et Paul, comme porte-parole national, à l’Europe, ça a du sens. Mais le problème c’est que pour que ça marche, chacun doit jouer son rôle honnêtement », soupire un socialiste qui se souvient de quelques couacs, en 2014, avec Paul Magnette président faisant fonction et Elio Di Rupo Premier ministre en fin de bail, « alors qu’à l’époque aucun des deux n’était encore adversaire de l’autre ».

Un 3 décembre, jour de la Saint- François-Xavier, ils auront donc fait voeu de fidélité. Jusqu’à leur prochain accès de jésuitisme.

« Marcourt a bougé, pour Magnette »

L’annonce était surprenante parce qu’en mars dernier il avait fallu décourager Elio Di Rupo d’officialiser, au congrès qu’il avait convoqué à cette fin, sa volonté de mener la liste socialiste européenne en mai 2019. « Donc tout le monde était parti sur cette idée, et tout le monde, Paul y compris, a été surpris de le voir changer d’avis », explique un parlementaire. Elle était surprenante également parce que l’annonce faite à Jeudi en prime avait été fort peu concertée : Paul Magnette, dit-on, n’en avait été informé que la veille. La manoeuvre ressuscita une vieille inimitié wallonne, celle que nourrissent le Liégeois Jean-Claude Marcourt, historiquement plutôt proche d’Elio Di Rupo, et le Tournaisien Rudy Demotte, voué à l’hostilité du Montois depuis sa prétendue volonté de putsch après 2007. Car le seul socialiste à s’être exprimé à visage découvert, ce samedi-là dans Le Soir, était Rudy Demotte, pour défendre le choix présidentiel, sur la forme et sur le fond.

Plus qu’un indice, une preuve, selon les compagnons du Carolo, qu’une alliance était renouée entre Elio Di Rupo et Rudy Demotte, avec, comme butin possible, la perspective que le premier offre au second, après les élections régionales de mai 2019, un retour à la ministre-présidence wallonne. Or, c’est précisément le poste que lorgne, depuis maintenant près d’une décennie, Jean-Claude Marcourt: le lundi, dans La Meuse, l’actuel ministre francophone des Médias se déclarait candidat à l’Elysette. La sortie résonnait comme un ralliement à Paul Magnette, négocié pendant le week-end. Paul Magnette lui-même donnait une interview au Soir pour s’étonner « C’est curieux de l’annoncer comme ça », disait-il de son président. « Jusque-là, Elio avait pu profiter de la division entre Liège et Charleroi pour assurer ses arrières. Mais là, pour la première fois, Jean-Claude a bougé… », commente un autre parlementaire.

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