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Des élus payés 500 euros la minute pour des réunions bidon chez Publifin (ex-Tecteo)

David Leloup
David Leloup Journaliste

Au sein de l’intercommunale wallonne Publifin (ex-Tecteo), des élus touchent de 1.340 à 2.871 euros bruts par mois, depuis trois ans et demi, sans réelle contrepartie exigée de leur part.

Armand De Decker peut aller se rhabiller. Ses honoraires d’avocat facturés 1.000 euros bruts de l’heure dans le scandale du Kazakhgate font bien pâle figure face aux « émoluments » versés par l’intercommunale Publifin (ex-Tecteo) à certains mandataires. Au sein de l’intercommunale wallonne, coquille vide qui contrôle 100% de Nethys (Voo, BeTV, L’Avenir…), 24 élus PS, MR ou CDH touchent de 1.340 à 2.871 euros brut par mois, depuis trois ans et demi, sans réelle contrepartie exigée de leur part.

Ils sont soit conseiller provincial à Liège, soit bourgmestre, échevin, conseiller ou président de CPAS d’une des 76 communes actionnaires de Publifin. Ils ont été désignés par leur parti en tant que membres d’un des trois « comités de secteur » créés en juin 2013 par le CA de l’intercommunale : le comité de secteur Energie (9 membres), le comité de sous-secteur Liège ville (7) et le comité de secteur Télécom (8).

Ces comités « ne sont pas des organes de gestion mais bien des organes à vocation consultative » qui ont des « compétences d’avis et de recommandation et non de décision », explique Gil Simon, secrétaire général de Publifin, dans un courriel consulté par Le Vif. Officiellement, ces organes sont censés « éclairer » le CA de l’intercommunale dans les différents secteurs où celle-ci a des intérêts (énergie, télécoms…). Officieusement, ils servent surtout à rémunérer des élus rendant ou ayant rendu service à leur parti.

Astérix chez Publifin

Le pot aux roses a été découvert par Cédric Halin, 35 ans, échevin des finances apparenté CDH à Olne. Ce gros village de 3.800 habitants dans l’arrondissement de Verviers est une des 76 communes actionnaires de Publifin aux côtés de la Province de Liège, laquelle détient 61% du capital de l’intercommunale. Olne ne possède que 0,07% de Publifin. Mais cela permet à Cédric Halin de représenter sa commune aux assemblées générales des actionnaires qui ont lieu deux fois par an, en juin et décembre. « Je suis le seul à poser des questions », regrette-t-il, qualifiant ces AG de « chambres d’entérinement » où l’on entend les mouches voler. La prochaine AG aura lieu ce jeudi 22 décembre pour adopter de plan stratégique 2017-2019 de Publifin. Un plan que le conseil communal d’Olne a décidé lundi soir de ne pas appuyer « car le document présenté est plus que léger et ne répond pas aux prescrits légaux fixés par le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (absence d’objectifs stratégiques et opérationnels, absence d’indicateurs de fonctionnement). »

Lors de l’AG précédente, le 24 juin 2016, Cédric Halin a interpelé le conseil d’administration de Publifin sur le fonctionnement de ses comités de secteur, ainsi que sur les montants des rémunérations versées à leurs membres. Mais la réponse écrite qu’il a reçue dix jours plus tard n’a pas répondu à toutes ses interrogations. Alors, comme l’article L1523-13 §2 du Code wallon de la démocratie locale (CDLD) le lui permet, il s’est rendu personnellement dans les bureaux de Publifin, à Liège, fin août, pour y consulter les PV des réunions de ces mystérieux comités de secteur, ainsi que les listes de présence. Il a obtenu également le tableau des émoluments versés aux présidents et aux membres de ces trois comités. Et c’est cela qui le scandalise : il ne s’agit pas de jetons de présence perçus lors des réunions mais bien d’un montant fixe versé mensuellement. Que le mandataire participe ou non aux réunions n’a semble-t-il aucune importance, sauf peut-être pour les trois présidents des comités. Cédric Halin a transmis lundi soir à son conseil communal une synthèse du coût de ces comités pour Publifin de juillet 2013 à août 2016.

Présentations Powerpoint

Tout aussi interpellant : ces comités ne se sont réunis à ce jour que 9 ou 10 fois depuis leur création en juin 2013. « Généralement, outre les mandataires publics, sont présents à ces réunions Gil Simon (secrétaire général), René Duria (chargé du secrétariat des comités) ainsi que des membres du personnel et/ou de la direction de différentes composantes du groupe Publifin, détaille Cédric Halin, qui a lu les procès-verbaux des réunions. Concernant le comité de secteur Télécom, plusieurs PV relatent qu’on y a fait la présentation des produits de téléphonie mobile, des différents bouquets télévisés ou du nouveau décodeur. Ces présentations étaient réalisées par le directeur marketing de chez Voo/BeTV, Powerpoint à l’appui. Les questions sont très rares et le contenu est limité à de l’informatif, voire du commercial, à destination des mandataires publics. »

Le comité de secteur Energie et le comité de sous-secteur Liège-ville tiennent des réunions communes. Y sont principalement traitées des questions techniques comme l’interopérabilité des réseaux suite à la reprise par Resa du réseau de la défunte intercommunale Intermosane. « Des directeurs techniques de l’intercommunale viennent y présenter l’état d’avancement des différents projets en cours, explique Cédric Halin. Tout comme pour le comité de secteur Télécom, ces réunions sont uniquement destinées à informer les mandataires et aucune réflexion profonde n’en émerge. À l’exception de quelques questions posées suite à un épisode de neige et de froid ayant mené à de longues coupures de courant, je ne me souviens pas avoir lu une intervention ou une question précise posée par un mandataire présent. Je ne me souviens pas avoir vu qu’un débat émanant de ces organes ait mené à des propositions concrètes ou à un rapport transmis au conseil d’administration de l’intercommunale. » Et l’échevin de conclure, amer : « Mon sentiment est que ces réunions sont une sorte d’activité occupationnelle pour mandataires publics dont l’unique objectif est de justifier les rémunérations qui leur sont versées. »

Deux millions d’euros depuis 2013

Cédric Halin a calculé le coût de ces comités bidon pour Publifin : plus de 2 millions d’euros depuis leur mise en place. Et l’échevin des finances d’Olne sait de quoi il parle. Ce licencié en sciences politiques et administration publique de l’université de Liège est un haut fonctionnaire d’une institution de contrôle des dépenses publiques. En août dernier, quand il a consulté les documents internes chez Publifin, les 24 membres de ces comités avaient gagné en moyenne 9.600 euros brut l’heure de réunion. La membre la plus assidue a touché 3.960 euros les 60 minutes, alors que les mandataires les moins présents à ces réunions ont empoché jusqu’à 30.180 euros l’heure prestée. Soit de 66 à 503 euros la minute de réunion. C’est de quatre à trente fois plus qu’Armand De Decker.

D’après les PV consultés par Cédric Halin fin août, les deux recordmen de l’absentéisme aux réunions étaient Serge Manzato, bourgmestre PS d’Engis (présent à deux réunions sur huit au comité de secteur Télécom), et Raphaël Amieva, conseiller communal CDH à Crisnée et administrateur de Publifin (présent à deux réunions sur sept au comité de secteur Energie). « Connaître les raisons de la présence ou de l’absence des gens lors des réunions permettrait d’éviter les jugements de valeur stériles et populistes, se défend Serge Manzato. Quand vous êtes hospitalisé ou en convalescence de longue durée, ou à l’étranger pour votre travail, ce n’est pas la même chose que d’être à un cocktail ou une soirée mondaine. » Raphaël Amieva précise pour sa part qu’il a depuis participé aux deux dernières réunions de son comité de secteur en septembre et novembre. Il justifie ses absences par une réorganisation de sa vie professionnelle : « J’ai eu des responsabilités au Parlement européen, puis à la Chambre des représentants, puis au Sénat, puis dans une société immobilière. A chaque fois, il faut réadapter son agenda », plaide-t-il.

120.000 euros bruts pour les présidents

Claude Emonts (PS), figure de la gauche contestataire liégeoise, a quitté la présidence du CPAS de Liège en septembre 2015 pour partir à la retraite. Mais il est resté président du comité de secteur Energie de Publifin, un poste rémunéré 2.871,73 euros brut par mois, qui lui aurait donc rapporté plus de 120.000 euros brut depuis sa nomination en juillet 2013. « Ce comité de secteur est un comité servant essentiellement à mettre au courant les anciens administrateurs d’Intermosane, que je présidais, à propos des activités de Tecteo/Publifin dans le secteur de l’électricité, explique-t-il. Cela permet d’éclairer les sept administrateurs de Publifin qui siègent dans ce comité. »

Catherine Megali, présidente socialiste du CPAS de Flémalle, préside pour sa part le comité de secteur Télécom. Ses émoluments sont les mêmes que ceux de Claude Emonts. « Présider ce comité est une responsabilité et un travail, se défend-elle. On donne notre avis sur les nouveaux produits et offres télécom de Voo qui nous sont présentés, on apporte un regard extérieur. Je ne vole personne. » D’après les PV de réunion, le 3 mars 2016, Catherine Megali a présidé un comité pour un seul membre. « Je crois qu’il y avait une dame en plus, nous devions être trois dans la salle », se souvient-elle.

« Ça ne m’intéressait pas… »

L’ancienne journaliste Anne Delvaux, alors conseillère communale CDH à Liège, s’est pour sa part retrouvée au comité de sous-secteur Liège-ville à l’été 2013 sans rien avoir demandé à personne : « Le CDH m’a attribué ce mandat que je n’avais pas demandé, ça ne m’intéressait pas et ça ne correspondait pas à mes compétences. Je ne suis jamais allée aux réunions jusqu’à ma démission du conseil communal en octobre 2014. » Selon les barèmes exhumés par Cédric Halin, l’ex-mandataire aurait touché 1.340,33 euros brut durant 15 mois.

Le coût pour Publifin ne s’arrête pas aux émoluments versés. Outre l’organisation des réunions, l’intercommunale prend également en charge les cotisations sociales des mandataires, payées directement à l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI). Ces cotisations correspondent à environ 20% des montants des émoluments versés.

Chateaubriand à la rescousse

Dans son rapport annuel 2015, Publifin donne un aperçu des travaux réalisés par les comités de secteur. Le Comité de secteur Energie et le comité de sous-secteur Liège-ville auraient ainsi « suivi l’évolution de différentes problématiques relatives à l’activité de gestion de la distribution de l’électricité et de gaz sur le territoire des communes desservies par RESA », notamment « les propositions de budgets d’investissements 2015 dans les réseaux de distribution d’électricité et de gaz au regard des tarifs en vigueur. »

Quant au Comité de secteur Télécom, il se serait entre autres penché sur « l’analyse du positionnement et du design des offres VOO sur le marché du numérique et de la téléphonie mobile, et ce dans un contexte marqué par une grande convergence fixe-mobile, un renforcement du trafic de data mobile et l’émergence de nouveaux acteurs dits « over the top ». » « C’est un magnifique verbiage visant à masquer la vacuité du travail de ces comités, commente Cédric Halin. La personne qui a rédigé ça est le Chateaubriand des rapports d’activités ! Publifin n’a aucun lien direct avec la filiale opérationnelle du groupe qu’est Nethys, où toutes les décisions stratégiques sont prises sans le moindre contrôle des communes actionnaires de Publifin. »

Fin de la récréation en juillet 2017

Patrick Blocry, porte-parole de Publifin, a confirmé au Vif que « les rémunérations des membres des comités de secteur ne sont pas publiques, ni les feuilles de présence aux réunions. » Il précise en outre qu’il s’est tenu « quatre réunions dans chaque secteur, télécom et énergie, en 2016. »

Les comités de secteur de Publifin auraient dû disparaître en juillet 2015, mais une proposition de décret déposée par des députés wallons PS et CDH a permis de prolonger la récréation jusqu’en juillet 2017. A cette date, les comités de secteur disparaîtront enfin. Ils auront coûté plus de 2.336.000 euros aux actionnaires de Publifin.

David Leloup

Précision: la version initiale de cet article mentionnait Maxime Bourlet, président MR du CPAS d’Awans et administrateur de Publifin, parmi les principaux absents aux réunions du comité de secteur Energie de Publifin. Il convient de nuancer ce propos basé sur l’analyse réalisée par l’échevin des finances d’Olne Cédric Halin. M. Bourlet nous a communiqué des documents attestant qu’il était renseigné comme étant présent à trois réunions sur sept de ce comité de secteur, et non pas une seule comme mentionné sur le document de M. Halin et dans la version initiale de cet article. Dont acte.

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