Des administrateurs de la RTBF sous pression ?

David Leloup
David Leloup Journaliste

Plusieurs administrateurs de la RTBF se plaignent de devoir prendre une sanction disciplinaire sans avoir eu le temps matériel d’analyser et de comprendre le dossier. Certains évoquent un règlement de comptes personnel de l’administrateur-général – qui dément – suite au scandale lié à son salaire ne respectant pas le plafond de 245.000 euros brut.

L’ambiance risque d’être animée ce lundi à 16h à Reyers, dans la salle du 11e étage où le conseil d’administration de la RTBF doit se réunir. Parmi les points inscrits à l’ordre du jour figure un vote sur le « recours introduit par Mme C.S. auprès du Conseil de Discipline contre la proposition définitive de sanction (la démission d’office) prononcée par le CA le 15 mai 2020 ». La personne visée par la sanction, C.S., n’est pas n’importe qui: c’est la directrice des Services administratifs des ressources humaines (SARH). Que lui reproche la RTBF? D’être à l’origine de fuites dans la presse, fin 2019, concernant le salaire de Jean-Paul Philippot dont le vrai montant dépassait le plafond de 245.000 euros fixé par l’exécutif de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Ce vrai montant a en outre été sous-estimé trois années de suite dans les rapports annuels de la RTBF, laissant ainsi erronément penser que le plafond n’était pas dépassé.

Dans la foulée de ces révélations, une enquête diligentée par le gouvernement de la FWB avait conclu que « les montants des rémunérations de l’administrateur général dépassant le plafond tel que déterminé dans le contrat doivent faire l’objet d’un remboursement pour les années 2014-2018 » et que la « rémunération globale pour l’année 2019 devrait être également revue à la baisse ». Au total, Jean-Paul Philippot a été contraint par le gouvernement de rembourser quelque 60.000 euros…

Lynchage?

Outre les fuites dans la presse, on reproche à C.S. toute une litanie de faits et de griefs. Pêle-mêle : d’avoir envoyé une lettre anonyme aux ministres, des mails anonymes aux administrateurs de la RTBF, un rapport aux commissaires du gouvernement compilant et synthétisant des pièces du SARH nécessaires pour réaliser leur enquête (des mails internes relatant la manière dont les clauses du contrat signé en 2014 par l’administrateur général ont été rédigées et modifiées), le fait d’avoir saisi l’auditeur interne suite aux fuites dans la presse, des courriels envoyés à son équipe, des commentaires sur Facebook, etc.

Dans l’entourage de C.S., qui travaille à la RTBF depuis 27 ans, on crie au lynchage et au règlement de comptes personnel: absence de preuves et allégations mensongères quant aux fuites, existence de faux éléments de preuve dans le dossier disciplinaire, instruction expéditive et à charge… Un administrateur, indécis, analyse: « Si même c’était cette personne qui avait organisé les fuites, il s’agissait d’informations importantes pour l’opinion publique. »

Dans une lettre adressée la semaine passée à l’ensemble des administrateurs de la RTBF, C.S. torpille la procédure disciplinaire qui, estime-t-elle, n’aurait pas été « équitable ». Ses droits à la défense auraient été « bafoués ». « Le conseil d’administration a été empêché, le 15 mai, de prendre connaissance de mes arguments de défense et de m’entendre, écrit-elle. L’administration-générale a plaidé l’urgence et alors que le conseil d’administration disposait réglementairement de deux mois pour connaitre du dossier, il lui a été demandé de décider vite sur base du dossier à charge transmis deux jours plus tôt, en violation du règlement d’organisation des travaux du Conseil. »

Quatre jours pour lire 1.000 pages

Dans sa missive, C.S. demande aux administrateurs une « lecture attentive » de son dossier de défense (qui leur a été transmis très tard dans la procédure), afin qu’ils puissent apprécier « avec justesse et intelligence les exposés établissant la violation du droit ». « L’enquête à charge et la procédure de sanction disciplinaire qui ont été initiées par l’Administrateur-général ont été menées indéniablement sans respect du droit ni de mes droits. (…) Qui doute en effet que ce qui a pris la forme d’une procédure disciplinaire est en fait, avant tout, la vengeance d’un homme? »

Contacté, Jean-Paul Philippot réfute totalement l’accusation: « Je n’ai pas de commentaire à faire parce que je ne fais pas partie de la procédure, dont je suis écarté depuis la genèse. » Un administrateur, dubitatif, confirme la chose mais glisse tout de même que « le dossier est géré par des proches collaborateurs de l’administrateur-général. » « C’est un dossier compliqué et volumineux qui a été mené de façon tout à fait correcte », plaide pour sa part Baptiste Erkès, le président (Ecolo) du conseil d’administration ertébéen. « Je ne peux rien vous dire d’autre si ce n’est que nous allons en débattre longuement cet après-midi en toute confidentialité. »

Plusieurs administrateurs que nous avons contactés sont mal à l’aise sur le fond du dossier et ont des difficultés à se forger une opinion. Ils se plaignent d’avoir reçu l’intégralité du dossier, qui fait plus de 1.000 pages, en version papier, livré par porteur… mardi dernier à la mi-journée. Quatre jours, hors week-end, pour analyser une telle masse de documents, c’est trop court, estiment-ils. « Ma religion n’est pas faite et ça me pèse. J’ai le sentiment qu’on cherche à exécuter une victime expiatoire qui va payer pour tout un système qui a dysfonctionné », lâche une administratrice. Baptiste Erkès tempère: « C’est un dossier consolidé qui a été envoyé mardi passé. L’essentiel était déjà connu. Il y a juste, comme nouvelles pièces, le rapport du conseil de discipline que l’on a reçu fin juillet et un mémoire de la partie défenderesse le 13 août. »

« Rejeter toute pression »

Il y a également une note de synthèse à l’attention des administrateurs qui fait référence à des annexes qui ne sont pas numérotées. « On voudrait nous mettre des bâtons dans les roues qu’on ne s’y prendrait pas autrement! », peste cette administratrice qui regrette également que l’accès à certains documents de ce dossier disciplinaire lui a été rendu impossible. Faut-il assimiler ces comportements à des pressions? La charte que les administrateurs de la RTBF ont signée lors de leur entrée en fonction les incite en tout cas à « maintenir, en toutes circonstances, [leurs] facultés d’analyse, de décision et d’action et à rejeter toute pression, directe ou indirecte, pouvant s’exercer et pouvant émaner d’administrateurs publics ou de la direction de la RTBF, de créanciers, fournisseurs et en général de tout tiers. » Le débat risque donc d’être animé cet après-midi…

Suite à nos appels ce matin, le président du CA a adressé un SMS à ses ouailles pour leur demander de ne pas répondre aux sollicitations médiatiques sur ce très délicat dossier: « Cher.e.s administratrices et administrateurs, il semblerait que la presse ait reçu des éléments du dossier S. et appellent ce matin des membres du CA pour avoir des informations. Je compte sur vous pour maintenir la confidentialité du dossier qui de surcroît implique des membres du personnel de la RTBF. Merci! Baptiste. »

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