Verviers.

Derrière le conflit verviétois, le problème du communautarisme socialiste

Les citoyens verviétois assistent, écoeurés, aux prises de bec entre élus socialistes et leur mise sous tutelle humiliante qui, par ricochet, affecte toute la population.

L’acidité fagnarde qui a fait la prospérité lainière de Verviers au 19e siècle va-t-elle poursuivre son oeuvre de corrosion sur le personnel politique local ? Pourquoi ces gens ne s’aiment-ils pas ? Tour à tour le MR, Ecolo et le CDH se sont déchirés sur des questions de personnes. On croyait le PS à l’abri, protégé par sa discipline légendaire et sa position de parti dominant. Or voilà qu’il se déchire sur un conflit entre la bourgmestre Muriel Targnion, très affaiblie par l’épisode Moreau-Publifin (elle a été la présidente de l’intercommunale liégeoise au pire moment et sans distance) et le président du CPAS Hasan Aydin, devenu le champion d’une partie des Verviétois d’origine étrangère. La première veut le bouter dehors, ce dernier mobilise ses soutiens, parfois, bruyants, intimidants.

A ce face-à-face s’ajoute l’intervention du député Malik Ben Achour, conseiller communal de Verviers, chef de groupe PS à la Chambre, l’homme qui parle à l’oreille du président du PS, Paul Magnette. Il a pris activement le parti de Hasan Aydin et dénoncé avec virulence l’initiative de la bourgmestre d’élargir au CDH sa majorité (PS-MR-Nouveau Verviers), lui reprochant de cracher dans la soupe, d’insulter le PS, de lui faire un doigt d’honneur. L’injonction venue d’en haut de ne plus ouvrir la bouche ni faire un pas de côté n’est respectée ni d’un côté ni de l’autre.

Malik Ben Achour.
Malik Ben Achour.© JOHN THYS/BELGAIMAGE

Les deux élus les plus en vue issus de la diversité (Ben Achour est belgo-tunisien, Aydin d’origine turque) n’ont pas toujours été sur la même longueur d’onde. En 2012, ils s’étaient étripés publiquement sur le soutien que l’un avait apporté à une cause kurde que le second déteste. Ils s’étaient retrouvés en 2013 pour s’abstenir sur le vote de l’interdiction du voile islamique dans les écoles communales, au grand dam de socialistes plus classiques.

Les Verviétois, dont la signataire de ces lignes, assistent désolés, indignés, ébahis à la saga qui s’étalent à longueur de pages dans les journaux régionaux depuis des semaines et des mois. La prise d’indépendance de Hasan Aydin par rapport au Collège échevinal est de notoriété publique. Au conseil de l’aide sociale, il obtient des décisions à l’unanimité et va les proposer au vote du conseil communal en s’appuyant sur l’opposition CDH-Ecolo, sans avoir informé le Collège du fond de dossiers qui impactent les finances communales déjà mal en point. Sa dernière idée, organiser des permanences politiques avec les moyens du CPAS, a été critiquée au Parlement wallon par le ministre des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS), qui a demandé une enquête à son administration.

Certes, la répartition hybride des compétences et l’interdépendance financière des communes et des CPAS est source de frictions, pas qu’à Verviers. Dans l’ancienne cité lainière, le conflit est toutefois exacerbé par la personnalité d’un président de CPAS aux ambitions frustrées et l’affaiblissement d’une bourgmestre qui, en dépit de sa combativité actuelle, a été très absente de la scène communale. L’homme est définitivement très mystérieux. Il ne répond jamais aux journalistes, mais laisse ses proches vanter son intelligence. David Leloup, dans le magazine Wilfried, en a dressé le portrait le plus complet à ce jour. Il a dépeint son attachement à sa ville natale, sa jeunesse assombrie par la mort du père, un mineur issu du nord-est de la Turquie, lors d’un accident de voiture dont Hasan a gardé cette gueule un peu de travers, ses secondaires dans une bonne école catholique, son séjour au Mexique avec le Rotary, une carrière discrète au Grand-Duché de Luxembourg dans le secteur financier, sa volonté farouche de devenir bourgmestre de Verviers en 2018. Le premier bourgmestre musulman de Verviers, il ne s’en cache pas. Malheureusement pour lui, il a laissé passer sa chance. Muriel Targnion l’a devancé en voix de préférence. Ses écarts de langage comme sa gestion autonome du CPAS ont fini par insupporter ses collègues de majorité. D’où le projet de motion de méfiance individuelle élaboré avec le soutien d’une large majorité de conseillers communaux socialistes.

Le libéral Freddy Breuwer, échevin du Développement territorial, observe que, lors du dernier scrutin, l’électorat socialiste s’est exprimé principalement par les voix de préférence (82 %) et très peu en case de tête (18%). « Au MR, le vote en case de tête représente 40 % des voix, compare-t-il. Au PS, les 3 000 voix récoltées par Muriel Targnion ne sont pas les mêmes que les 2 400 de Hasan Aydin, ni le millier de Malik Ben Achour. Le vote socialiste est une addition, il y a peu de dénominateurs communs. Le PS est peut-être en train de réaliser qu’il a fait le lit d’un certain communautarisme. Cette ville devient ingérable. »

La fragilité de Muriel Targnion

La fragilité de Muriel Targnion a pu donner l’impression que la place était à prendre. Devant la tournure des événements (montée des tensions communales, projet de motion de méfiance dirigée contre Aydin, manifestation, huées et injures des partisans de celui-ci le 29 juillet dernier, échauffement des réseaux sociaux…), le président Paul Magnette a pris radicalement le parti de Hasan Aydin. Vendredi dernier, il aurait téléphoné à son homologue du CDH, Maxime Prévot, pour lui proposer de débarquer Muriel Targnion et faire monter le CDH dans un exécutif dirigé par Hasan Aydin. Le président des centristes a refusé. « Maxime Prévot a été lucide », retient Freddy Breuwer.

Muriel Targnion
Muriel Targnion© Belga

La fragile majorité socialiste dont disposent encore Muriel Targnion et ses six camarades (trois ayant tourné casaque) comprend Jean-François Istasse, ancien président du parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, pas n’importe qui. Mais, en quelques jours, quelques semaines, le boulevard de l’Empereur peut retourner l’un après l’autre les membres de la coalition anti-Aydyn frappés d’une menace d’exclusion du parti. Sauf que, de part et d’autre, les adversaires s’avèrent plus coriaces que prévu. Et que la sagesse imposerait une désescalade. La menace d’exclusion brandie à l’encontre des rebelles ne vise, jusqu’à présent, que la seule Muriel Targnion. La direction du PS a-t-elle exagéré en mettant sous tutelle une section locale et une fédération, après une furtive tentative de conciliation ? A-t-elle été suffisamment attentive à ce qui se passait sur le terrain ? A-t-elle paniqué devant la tournure communautaire que prenaient les affrontements ?

Pour le politologue Geoffrey Grandjean (Ulg), une telle décision est rarissime. Elle tranche avec l’autonomie que le PS laisse habituellement à ses unions socialistes communales et à ses fédérations. Lui aussi s’interroge sur le fait qu’au-delà d’un conflit personnel très fort, « un groupe composé exclusivement de conseillers communaux aux noms belges faisait face à d’autres conseilleurs communaux exclusivement aux noms d’origine étrangère. Le PS a-t-il conscience de ce communautarisme ? ». Ensuite, il y a la stratégie de Muriel Targnion. « Sur le plan légal, rien ne l’empêche de négocier une nouvelle majorité. En se basant sur les résultats des élections de 2018, elle est toujours celle qui a fait le plus de voix de préférence au sein du parti qui a fait le plus de voix. Mais si elle n’a pas sa majorité, alors, c’est Hasan Aydin qui doit devenir bourgmestre, puisque c’est lui qui a fait le plus de voix de préférences après elle. » Conclusion du politologue liégeois : « Rien n’est joué. » L’étude qu’il vient de signer avec Archibald Gustin pour la revue bilingue Chronique de droit public montre que de 2006 à 2018, en Wallonie, les « victimes » d’une motion de méfiance, tant individuelle que collective, augmentaient leurs scores à l’élection suivante.

Verviers affiche de sombres indicateurs socio-économiques

Si Muriel Targnion remporte son bras de fer sur la scène locale, d’où viendront ces « relais » qu’elle promettait de faire jouer en faveur de sa ville, en 2015, lorsque le CDH et le bourgmestre Marc Elsen ont été éjectés du pouvoir ? Le MR est dans la majorité régionale et pourrait, certes, limiter la casse, mais le risque est bien réel qu’avec ces changements incessants de coalition et ces disputes violentes, Verviers ne s’enfonce encore davantage dans le marasme. Cette ville de 57 000 habitants aux caractéristiques de grande ville affiche de sombres indicateurs socio-économiques. Son renouveau urbain, sous le label « Verviers Ville conviviale », est en bonne voie. Les investisseurs privés s’intéressent à son très bel environnement, mais une pauvreté tenace la ronge et les moyens de la faire reculer diffèrent fondamentalement d’un bord à l’autre. Autant que la gestion de la diversité, c’est l’enjeu du moment.

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