Carte blanche

Dépénalisation de l’avortement : marre d’être patientes et flouées!

La Commission Justice de la Chambre a approuvé mercredi la proposition de loi de la majorité sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Si cette loi est adoptée par la Chambre, rien ne changera, ou si peu, pour les femmes. Une occasion manquée de renforcer le droit à l’avortement en Belgique mais aussi un scénario écoeurant qu’en tant que citoyen·ne·s, nous dénonçons.

On l’oublie souvent, mais « L’avortement hors du code pénal », scandé depuis plus de quarante ans, est une revendication féministe historique de divers mouvements sociaux, en Belgique et ailleurs. Cette demande légitime n’avait déjà pas été rencontrée pleinement par la loi de 1990, adoptée au prix d’âpres négociations politiques, même si la dépénalisation partielle qu’elle apportait constituait, à l’époque, une avancée concrète appréciable pour la pratique de terrain.

Toujours sous la pression de la société civile, la sortie de l’avortement du code pénal et l’amélioration des conditions de sa pratique pour les femmes semblaient cette fois, enfin, très proches de devenir réalité. Plusieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens et une majorité parlementaire progressiste aurait pu se dessiner. Mais aujourd’hui, ce vote en Commission Justice nous fait craindre une nouvelle désillusion amère, même si la proposition de loi de la majorité extrait bien l’IVG du Code pénal et l’inscrit dans une loi particulière. Car dans les faits, rien ne changera ou pas grand-chose ! Hormis, à souligner, l’abandon de la condition de détresse, la reconnaissance du délit d’entrave et la fin d’une disposition interdisant la « publicité » pour l’avortement qui date de 1867.

En effet, le délai de réflexion obligatoire de six jours pour la femme est maintenu, sauf urgence médicale, laissée à l’appréciation d’un·e professionnel·le de la santé. Ce qui semble suggérer que, sans ce délai imposé, les femmes ne réfléchiraient pas à ce qu’implique une IVG et qu’il soit possible que leur décision résulte d’un acte purement impulsif.

Est maintenu également le délai de douze semaines de grossesse pour recourir à l’intervention. Quel choix le législateur laisse-t-il aux femmes « hors délai » ? Selon leurs moyens financiers, les plus chanceuses, ou les moins défavorisées, continueront d’avorter à l’étranger, comme c’est déjà le cas pour près d’un millier de femmes par an. Les autres accoucheront d’un enfant non désiré. Alors que, par ailleurs, un nouveau projet de loi relatif à la reconnaissance d’un statut pour le foetus va être présenté devant cette même Commission Justice dans les jours qui viennent. Le gouvernement nous préparerait-il un retour aux cintres et aiguilles à tricoter ?

Enfin, la possibilité de sanctions pénales (peines de prison et amendes) est maintenue, tant à l’encontre des femmes que des médecins, qui ne respecteraient pas la nouvelle loi. Outre la portée symbolique de cette décision, avait-on vraiment besoin d’un tel signal adressé aux tribunaux ?

Qui plus est, cette proposition de loi a été adoptée au mépris de l’avis des nombreux·ses associations, pénalistes et expert·e·s de terrain, longuement entendu·e·s en Commission Justice de la Chambre, qui se sont prononcé·e·s explicitement en faveur d’une réduction du délai de réflexion (à 24 ou 48h), d’un prolongement de celui de l’IVG (jusqu’à 18 semaines de grossesse) et d’un abandon pur et simple des sanctions.

Nous sommes aujourd’hui écoeuré·e·s. Après des décennies de lutte, nous en avons marre d’entendre dire par certain·e·s qu’il faut « être patient·e·s », que la société n’est, soi-disant, pas encore prête. Voire, mieux encore, se gargariser d’une prétendue « avancée historique » qui a la mémoire bien courte. Et nous devrions dire « merci » pour les miettes que l’on veut bien nous concéder ? Tout cela, au nom d’enjeux politiques avec un très petit « p » (comme dans « peanuts »), mais au détriment total de la vie et de la santé des femmes, encore et toujours. On se moque de nous et des dizaines de milliers de femmes qui demandent chaque année une IVG en Belgique !

Nous ne sommes pas dupes. Ces derniers mois, nous avons assisté à une vaste opération de marketing politique et de « feminism washing » avec, en apothéose, le vote en Commission Justice, le jour même où l’Irlande, pays pourtant réputé résolument conservateur, a promulgué la loi légalisant l’IVG jusqu’à douze semaines sans AUCUNE condition. Quelle honte…

La proposition de loi de la majorité va maintenant être présentée au vote en séance plénière de la Chambre. Elle ne peut pas passer en l’état et doit aller bien plus loin ! Nous demandons aux parlementaires de regarder les citoyen·ne·s en face, de prendre leurs responsabilités dans l’intérêt général de toutes et tous et d’avoir enfin le courage de se positionner clairement en faveur de la santé des femmes et de leur droit fondamental à disposer librement de leur corps. C’est alors que nous pourrons célébrer un véritable tournant historique et exemplaire.

Signataires :

Laurence Stevelinck-Withofs et Sophie Pereira, militantes féministes ; Hélène Spitaels, féministe ; David Paternotte, ULB ; Shirley Hicter, photographe féministe engagée ; Nathalie Collignon, citoyenne militante féministe ; Johanna de Villers, docteur en sociologie ; Paola Hidalgo, féministe ; Fabienne Damsin, citoyenne engagée ; Lucie Goderniaux, anthropologue ; Priscilla Adade, actrice et entrepreneuse ; Doriane Jijakli ; Lendy Deversin, historien ; Marie-Hélène Lahaye, juriste, féministe, autrice du blog Marie accouche là ; Sarah Sepulchre professeure à l’UCLouvain et co-présidente francophone de Sophia ; Lauraline Michel, militante féministe ; Maëlle De Brouwer, Cloé Devalckeneer, Mathilde Soumoy, Chloé Berthélémy, Laura Goffart, Amélie Georges et Esther Ingabire, membres du collectif Selflovegang et militantes féministes ; Corinne Bernair ; Elsa Bailly ; Juliette Bossé, responsable de la revue Eduquer ; Valérie Piette, ULB ; Patricia Mélotte, ULB ; Bijou Banza, juriste et féministe militante ; Dorothée Van Avermaet, citoyenne ; Sophie François ; Lola Prat, Fédération des centres pluralistes de planning familial ; Lina Hamri ; Corinne Torrekens, professeure de sciences politiques ULB ; Judith Bell Molina, assistante administrative, éducatrice et féministe ; Laurence Rosier, professeure ULB ; Florence Guiot, présidente de la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée ; Sema Aydogan, militante féministe ; Frédérique Bartholeyns, chargée de projet à DUNE asbl ; Anne-Sophie Tirmarche, militante féministe ; Margo De Koster, professeur à la VUB et UGent ; Claire Alex, chargée de diffusion et production ; Jean-Jacques Amy, professeur émérite à la VUB et administrateur FLCPF ; Damien Linder, psychologue en centre IVG et co-président FLCPF ; Chloé Leroy, ULB ; Fabienne Bloc, chargée de recherche EVRAS ; Tania Van Hemelryck, professeure UCLouvain, conseillère du recteur pour la politique de genre ; Stéphanie Anciaux ; Valérie Machiels, citoyenne ; Léa Champagne, géographe et chercheuse indépendante ; Katinka in ‘t Zandt, travailleuse en centre de planning familial pratiquant l’IVG ; Nora Nagels, professeure au Département de science politique – Université du Québec à Montréal ; Muriel Sacco, chercheuse, ULB ; Valentine Mahieu ; Marie Bettex, criminologue active dans le secteur associatif auprès des sans-abris et des personnes incarcérées ; Manoë Jacquet, Femmes et Santé ; Josiane Coruzzi, directrice et juriste de l’asbl solidarité femmes et refuge pour femmes victimes de violences ; Estelle Praet, archéologue féministe ; Anne Lemonne ; Caroline Watillon, chargée de mission FLCPF ; Sophie Stoffel ; Magali Plovie ; Julie Tessuto, conférencière gesticulante, autrice de Ma petite robe rose et mes nibards : culture du viol, sexualité et féminisme ; Olivia Hairson, chargée de communication FLCPF ; Anne Verougstraete, gynécologue ULB ,VUB-Dilemma , FLCPF ; Lara Lalman, militante et chargée de projets en éducation permanente et promotion de la santé ; Christophe Moermans, infirmier spécialisé en Santé communautaire ; Cécile Thibaut ; Hélène Ryckmans ; Isabella Lenarduzzi, fondatrice de JUMP ; Aurélie Aromatario, militante féministe, doctorante en sociologie ; Eloïse Malcourant, militante féministe ; Deborah Kupperberg ; Barbara Rondiat, militante féministe ; Alexandra Adriaenssens, citoyenne et féministe ; Julie Poncin, enseignante ; Sarah Timperman; Patricia Meeremans, Camille Wernaers et Virginie Tumelaire pour l’asbl Amazone ; Justine Masseaux, éducatrice ; Diane Bernard, membre de l’asbl Fem&LAW ; Sahra Datoussaid, membre de l’asbl Fem&LAW ; Gaetane de Crayencour, membre de l’asbl Fem&LAW ; Emma Delwiche, membre de l’asbl Fem&LAW ; Estelle Didi, membre de l’asbl Fem&LAW ; Marie Doutrepont, membre de l’asbl Fem&LAW ; Sarah Ganty, membre de l’asbl Fem&LAW ; Chloé Harmel, membre de l’asbl Fem&LAW ; Leila Lahssaini, membre de l’asbl Fem&LAW ; Elvire Schoonjans, membre de l’asbl Fem&LAW ; Oriana Simone, membre de l’asbl Fem&LAW ; Xénia Maszowez, secrétaire générale des Femmes Prévoyantes Socialistes ; Charlotte Casier, militante féministe ; Dominique Werbrouck, citoyenne féministe ; Catherine Markstein, médecin et conférencière gesticulante, fondatrice de l’asbl Femmes et Santé ; Matilda Delier, psychologue sociale et interculturelle ; Ghaliya Djelloul, sociologue UCLouvain ; Hélène Maszowez, fonctionnaire féministe ; Eugenya Stepanow, pensionnée ; Coline Remacle ; Emilie Saey, coordinatrice de la Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial ; Maria Miguel-Sierra ; Anne Spitals, présidente de la Fédération des Centres de Planning Familial des FPS ; Irene Zeilinger, militante féministe ; Séverine Demotte, militante féministe ; Marcelle Diop ; Dominic Van Haver ; Carine Thibaut, criminologue ; Fabienne Richard, directrice du GAMS Belgique ; Miriam Ben Jattou, juriste, Femmes de droit – Droit des femmes, asbl ; Roch Barbieux, amoureux vasectomisé ; Océane Lestage, étudiante ; Philippe de Vries, entrepreneur ; les membres du café féministe Le Poisson sans bicyclette ; Evelyne Dogniez ; Lyse Vancampenhoudt ; Yannick Manigart gynécologue obstétricien chef de clinique CHU Saint Pierre ; Claudine Lienard, vice-présidente du Monde selon les Femmes asbl ; Julie Henriet, psychologue, centre de planning familial du MIDI ; Anne Boulord, journaliste ; Lise Ménalque, chercheuse ; Hélène Wallemacq ; Valérie Berman ; Frédérique Binon, militante et maître-assistante HEH ; Yamina Meziani, vice-présidente de la Maison de la Laïcité de Liège ; Laurélène Zaccaria, militante féministe et historienne ; Lamya Ben Djaffar ; Reine Marcelis, militante féministe et citoyenne ; Benoit Priod ; Valérie Vanheer, féministe ; Cora-Line Lefèvre ; Isabelle Algrain, chargée de projets à l’Université des Femmes ; Annick Faniel ; Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des Femmes ; Jeanne Dandoy, autrice, metteuse en scène, actrice ; Emmanuelle Devuyst, juriste ; Julien Sigard, féministe ; Michèle Warnimont, sage-femme à l’hôpital Erasme, membre de la plate-forme pour une naissance Respectee ; Véronique Fraccaro, travailleuse en planning familial ; Stephanie Barboteau ; Françoise De Smedt, physicienne ; Fabienne Capouet, enseignante ; Manuela Varrasso, auteure, Le voyage d’Andrea ; Janneke Ronse, présidente Médecine pour le Peuple ; Sabine Panet, rédactrice en chef d’axelle magazine ; Barbara Truffin, chargée de cours, ULB ; Nele Lavachery ; Nelly Rungen-Chellum, Free Clinic ; Nathalie Grandjean, professeure de philosophie féministe ; Florence Degavre ; Hafida Bachir, présidente de Vie Féminine ; Ariane Dierickx, militante féministe, directrice générale de L’Ilot ASBL ; Evelyne Huytebroeck ; Anne-Sophie Crosetti, doctorante, ULB ; Isabelle Rorive ; Maartje De Vries ; Isis Klasen, militante ; Nathalie Vandenplas, citoyenne ; Christine Ellis, médecin ; Caroline De Bock ; Alexandra Ana, doctorante sciences politiques et sociologie, Scuola Normale Superiore ; Claire Stappaerts, militante féministe ; Marie-Julie Schellens, médecin généraliste et travaillant en centre de planning familial, Sofie Merckx, médecin généraliste et porte-parole de Médecine pour le Peuple.

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