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« Dans le monde de maintenant, tout a changé. Les vieilles certitudes de l’ancien monde ont été balayées »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les philosophes des sciences appellent « basculement épistémologique » une découverte expérimentale qui révolutionne la connaissance scientifique et qui, conséquemment, change le monde. Ainsi la baignoire d’Archimède, la pomme de Newton, Galilée, la découverte de l’inconscient, la relativité furent des basculements épistémologiques.

Eh bien, dans les laboratoires de politologie des universités belges, de nos jours, les scientifiques les plus pointus voient germer de troublants indices d’un tout prochain basculement épistémologique. Car dans le monde d’avant, les mots avaient un sens. Les énoncés devaient répondre à certaines contraintes, et leurs énonciateurs étaient contraints à une certaine cohérence. Ils étaient censés, par exemple, se tenir à leurs principes proclamés et ne pas s’en cacher, ne pas trop inventer, ne pas trop mentir, ne pas trop trahir.

Mais dans le monde de maintenant, tout a changé. Les vieilles certitudes de l’ancien monde ont été balayées.

Et les politologues n’ont pas besoin d’un laboratoire pour voir cette épistémè basculer vers le monde d’après.

Il leur suffit de lire les journaux pour constater scientifiquement que dans le monde de maintenant :

Les libéraux sont déterminés à s’opposer par tous les moyens à l’organisation d’élections libres au cours desquelles la population se choisirait démocratiquement ses représentants.

Les sociaux-démocrates sont inquiets que ne s’installe un gouvernement qui mettrait en oeuvre des politiques sociales-démocrates sans eux.

Les séparatistes flamands sont révoltés contre les blocages politiques qui pourraient mener à la séparation de la Belgique.

Les belgicains sont paniqués à l’idée que les séparatistes flamands soient en dehors du gouvernement belge.

Les écologistes sont outrés que l’on puisse croire que leurs choix de politique publique nuisent aux intérêts des automobilistes.

Les communistes sont engagés à payer rubis sur l’ongle des dizaines de milliers d’euros pour faire leur publicité commerciale à Facebook, Inc.

Les fascistes sont en lutte pour promouvoir l’organisation d’élections libres au cours desquelles la population se choisirait démocratiquement ses représentants.

Les conservateurs sont au combat pour défendre l’actuelle loi libéralisant l’avortement.

Les laïques sont à l’attaque pour laisser les religieux pratiquer leur religion.

Les racistes sont en guerre contre l’antiracisme parce que si les antiracistes luttent contre le racisme, c’est qu’ils sont eux-mêmes racistes puisqu’ils reconnaissent que les races ont de l’importance.

Les majoritaires sont tourmentés par le nombre des minoritaires.

Les dominants sont scandalisés par le bruit que font les dominés.

Et il y a même des politologues qui sont en campagne pour dire que le seul gouvernement stable serait celui qui réunirait les partis les moins compatibles.

Le gouvernement, lui, est à l’aise : il a reçu le pire coup de pied au derrière de toute l’histoire de la Belgique, mais il ne s’en va pas, ne compte pas s’en aller, et compte bien continuer à poser des choix politiques tout en prétendant ne pas faire de politique.

Heureusement pour eux tous, il n’y a plus que les politologues qui lisent les journaux, dans le monde d’après.

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