Jean-Luc Crucke © belga

Crucke: ébullition interne au MR, le gouvernement wallon en surchauffe

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le projet de décret pour un impôt plus juste proposé par Jean-Luc Crucke fait bouillir le MR. Conséquence directe: le gouvernement est à deux doigts de vaciller. Pour la Wallonie, la crise n’est plus très loin, dans un contexte budgétaire ultra-tendu.

En commission du parlement wallon, le ministre du Budget, Jean-Luc Crucke, y affiche la mine des mauvais jours. En début de séance, il annonce le renvoi à l’arriéré de son projet de décret pour un impôt plus juste. « Un échec », a-t-il admis, ajoutant qu’il « saura en tirer les conclusions le moment venu ». Une remarque qui a suffi pour allumer la mèche.

« Ce n’est pas une volonté personnelle. Il y a un accord avec le ministre-président et j’ai pour habitude de respecter les accords », a-t-il expliqué, visiblement dépité. « Ne pas aborder ce texte en commission ce lundi est un échec. J’ai porté ce projet depuis le début et je ne parviens pas, à quelques encablures, à franchir la ligne d’arrivée », avait ensuite amèrement regretté le ministre. « Je saurai en tirer les conclusions le moment venu mais je considère que la priorité, en cette fin d’année, est de doter la Wallonie d’un budget », avait-t-il mystérieusement ajouté.

Problème interne au MR

Ce qu’il faut lire entre les lignes? « Rien de plus que son intervention en début de commission », a assuré son cabinet. On n’en saura pas plus, même si différents médias font état d’un problème interne au MR, les libéraux souhaitant obtenir un effort budgétaire plus large.

Depuis cet incident, des rumeurs de démission circulent, sans autre commentaire de la part de son cabinet. Il apparaît ensuite que c’est le groupe parlementaire libéral qui éprouvait de vives réserves par rapport à un texte jugé instable juridiquement et reportant trop de charges sur la classe moyenne. En exprimant ces vives réserves, c’est donc le MR qui a mis son propre ministre en difficulté. A bonne source, une réunion aurait eu lieu dimanche passé entre parlementaires libéraux. Le président du parti, Georges-Louis Bouchez, aurait été appelé à la rescousse avant que le texte ne soit finalement renvoyé à l’arriéré.

« Qui dirige le gouvernement wallon? »

« Qui dirige le gouvernement wallon? », s’était interrogé le chef de groupe du PTB au parlement wallon, Germain Mugemangango, lors des questions d’actualité en marge de la séance plénière de l’assemblée régionale mercredi.

Selon le député d’extrême gauche, la question peut se poser après le retrait du projet de décret sur un impôt plus juste porté par Jean-Luc Crucke, visiblement désavoué par son président de parti.

« Voilà comment les choses se sont passées : le vice-président du gouvernement wallon – Willy Borsus, ndlr – m’a demandé de mettre à l’arriéré le texte en raison de difficultés de dernières minutes dont il souhaitait discuter en gouvernement », lui a répondu le ministre-président Elio Di Rupo. « Comme souhaité, nous ferons le point sur la situation ce jeudi, lors de la réunion du gouvernement », a-t-il ajouté.

Le cdH dénonce un « court-circuitage » du parlement

Les remous ne s’arrêtent pas là. Dans l’opposition, le cdH dénonce un « court-circuitage » du parlement. « C’est le gouvernement qui doit demander le renvoi d’un projet de décret à l’arriéré. Ici, on a une discussion, dimanche passé, entre des parlementaires MR puis le vice-président du gouvernement wallon, Willy Borsus, qui demande le renvoi et enfin le ministre du Budget qui le confirme, lundi, en commission. Quand a eu lieu la délibération du gouvernement sur le sujet? », s’interroge le député humaniste André Antoine.

« Cette situation pose un problème au parlement, court-circuité par un ministre qui a outre-passé ses droits« , commente-t-il.

Sur le fond, ce dernier estime que ce sont les amendements déposés par le cdH, notamment sur le passage rétroactif de 3 à 5 années pour la donation à titre gratuit, qui ont mis le feu aux poudres. Quelques jours plus tard, la copie avait déjà été revue et cette rétroactivité était passée à la trappe. « C’est rare que la présentation d’un amendement de l’opposition pousse la majorité à faire marche arrière. On ne change pas les règles en cours de jeu. La vigilance de l’opposition a permis de briser les digues de la majorité, et en particulier du MR« , avait alors indiqué le député humaniste. « D’autres amendements que nous avons présentés pourraient aussi les ébranler », avait-il encore estimé.

« Sans notre intervention, le texte -qu’il faut absolument rendre plus solide juridiquement – aurait sans doute été adopté sans faire grand bruit », analyse aujourd’hui le député cdH en demandant enfin que soient soustraits du budget 2022 les 15 millions d’euros que cet impôt plus juste devait rapporter.

« Nous avons parfois des discussions et des textes sont retirés, par exemple sous la pression de la rue. Mais jamais je n’ai vu le décret d’un ministre battu en brèche par son propre groupe parlementaire », conclut André Antoine.

(Ndlr.: entre-temps, le texte a été renvoyé au parlement)

Et maintenant?

« Désormais, socialistes, libéraux et écologistes doivent répondre à une question très sensible : que fait-on de ce texte qui a été renvoyé à l’arriéré du parlement », résume Le Soir. Si le PS et Ecolo, les partenaires du MR au sein de la majorité, ont déjà manifesté leur soutien au ministre Crucke, on ignore ce que feront les libéraux. « C’est un problème entre libéraux », dit-on au quotidien.

La réputation du MR s’en retrouve écorchée. Certaines voix laissent entendre que « la séquence est catastrophique » pour l’image du parti. « J’ai parfois l’impression que notre président nous veut dans l’opposition partout », glisse l’un de ses détracteurs au Soir.

Une nouvelle commission Budget, prolongation de celle de lundi, est par ailleurs convoquée vendredi après-midi. Les tensions seront-elles apaisées d’ici là? Il faudra sans doute davantage que l’esprit de Noël pour dégager une solution permettant à chacun de se sauver la face.

Contexte budget ultra-tendu

Pour rappel, la Wallonie affiche un déficit ordinaire de 207 millions d’euros pour 2022, en ligne avec la trajectoire d’un retour à l’équilibre à la fin de la législature. Mais il faut toutefois y ajouter les dépenses liées à la crise sanitaire, aux inondations et au plan de relance. Au total, le solde brut à financer de la Région dépasse les 4 milliards d’euros (4,134 milliards précisément), les recettes étant annoncées à 15,5 milliards alors que les dépenses devraient atteindre 19,6 milliards.

C’est dans ce contexte que l’agence de notation Moody’s a dégradé, vendredi, la note de la Wallonie, de A2 à A3, ce qui pourrait compliquer l’accès de la Région aux marchés financiers, a déjà prévenu la Cour des Comptes.

« Il y a un élément qui est important: c’est la perspective stable. Je ne veux pas être plus optimiste qu’il ne le faut mais on n’a pas eu de contact avec les marchés qui nous conduiraient à nous inquiéter. Il faut qu’on fasse ce qu’on a dit; il faut que l’on maitrise notre budget et qu’on maîtrise nos dépenses. Si on suit cette ligne, on crée de la confiance », a de son côté rassuré le ministre ce lundi en commission.

Sans surprise, la Cour a également pointé l’explosion de la dette brute consolidée qui pourrait dépasser les 45 milliards d’euros en 2026. Si elle continue à croître, « cette dette sera insoutenable pour les générations futures », a à nouveau longuement dénoncé André Antoine, parlementaire cdH et ancien ministre du Budget wallon.

« Ce budget 2022 doit donner le ton et amorcer le virage de l’argent facile – car les taux étaient très bas – vers une politique financière responsable où l »’on devra réconcilier dépenses et recettes face aux défis qui nous attendent », a-t-il estimé en évoquant enfin « la décennie la plus difficile de l’histoire de la Wallonie ».

Après un examen dans les différentes commissions du parlement cette semaine, le budget 2022 de la Région devrait être voté en séance plénière quelques jours avant la Noël.

Avec Belga

Autres dossiers : le gouvernement au bord de la crise de nerfs

L’heure n’est pas aux préparatifs des fêtes de fin d’année du côté de l’Elysette, le siège du gouvernement wallon à Namur. Depuis quelques jours, l’exécutif régional, déjà malmené par la crise sanitaire et les inondations de la mi-juillet, est au coeur de la tempête.

En marge des tensions liées au décret Crucke, d’autres dossiers perturbent fortement le gouvernement wallon.

Le premier coup de boutoir est venu de la justice namuroise. La semaine passée, le tribunal de première instance de Namur a en effet constaté l’illégalité de l’usage du Covid Safe Ticket en Wallonie et condamné la Région à mettre un terme à cette situation dans un délai de 7 jours, sous peine d’astreinte de 5.000 euros par jour de retard.

Absente lors de l’audience du 30 novembre, la Région wallonne a fait appel, contestant notamment le caractère disproportionné du CST, relevé par la justice. Quant aux astreintes dues depuis ce mercredi, elle va les consigner et ne les libérera que si elle perd à l’issue de la procédure en appel, prévue le 21 décembre, a déjà expliqué son avocat, Marc Uyttendaele.

Ce premier revers à peine essuyé, le gouvernement Di Rupo a dû faire face à un nouvel écueil. Le week-end passé, c’est au tour de la FGTB et de l’Union wallonne des Entreprises (UWE) de jeter un pavé dans la mare (médiatique). Dans le collimateur de cet étonnant attelage: le plan de relance wallon qui, selon ses détracteurs, manque de vision et consacre une nouvelle fois le saupoudrage des moyens. L’absence de concertation est également durement reprochée.

« C’est du jamais vu: le gouvernement a réussi à mettre d’accord le patronat et les syndicats. Ne pas avoir consulté les partenaires sociaux, c’est une faute grave », souligne, du banc de l’opposition, le député cdH André Antoine.

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