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Covid: « Le pire, psychologiquement, c’est quand on change sans cesse les mesures » (entretien)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Olivier Luminet, psychologue de la santé à l’UCLouvain, vante les mérites d’une gestion à long terme de la crise du Covid, sans à-coups, et espère un maintien des mesures, vendredi. Sa grande déception: le manque de considération à l’égard des psychologues.

Olivier Luminet, psychologue de la santé à l’UCLouvain, évoque ces fêtes de fin d’année particulières et l’adhésion aux mesures, alors que le Comité de concertation doit se pencher vendredi sur un maintien ou un durcissement des mesures.

Etes-vous rassuré par les enquêtes indiquant que 80% des Belges devraient respecter les mesures à Noël?

Il est toujours difficile d’atteindre toute la population dans ces enquêtes, on touche davantage ceux qui respecteront les mesures et il se peut que cette proportion soit un peu surévaluée. Mais dans l’ensemble, oui, il y a une série de chiffres rassurants. Après que la gestion de la crise sanitaire ait été tant décriée dans notre pays, il semble que cette gestion à plus long terme avec un maintien des mesures commence à porter ses fruits.

Il y a eu trop de changements dans les mesures, avant cela?

Un moment très déstabilisant fut sans doute la fin de l’été quand on a ouvert la bulle, avant que le gouvernement Wilmès n’indique soudainement, quatre jours après, que la situation était mauvaise et qu’il fallait resserer l’étau: cela a créé une forme de désarroi dans la population. Fin octobre, il y a eu des mesures très strictes, dont on a annoncé qu’elles se maintiendraient pour plusieurs semaines: cela permet aux gens de s’adapter davantage. Ces mesures créent davantage de stabilité. D’un point de vue psychologique, j’espère que ce vendredi, les mesures resteront les mêmes.

En Belgique, il faut en outre remarquer qu’il n’y a pas eu de mesures extrêmes comme en Espagne. Il était intéressant de laisser les librairies et les fleuristes ouverts, au moment de fermer les commerces, par exemple: cela aide à tenir le coup.

Les fêtes constituent toutefois un moment particulier, cela ne vous inquiète pas?

Je pense que la population a globalement intégré que l’on devait les passer en petit comité, je ne m’attends pas à des dérapages trop importants à Noël. Les gens ont aussi intégré le risque, ils ne veulent pas voir leurs grands-parents pour les fêtes et le regretter ensuite. La meilleure preuve, c’est que dans les enquêtes, les gens ne souhaitent pas une carte blanche, sans limites.

Psychologiquement, se dire que l’on pourrait fêter Noël pendant l’été, ce n’est pas si absurde que ça. La fête est importante,mais elle ne doit pas nécessairement se passer les 24 et 25 décembre. Cela permettrait de susciter la créativité.

Il est question de donner vendredi des perspectives pour la rentrée de janvier: c’est la carotte ou le bâton?

Donner des perspectives à long terme, c’est important. On en revient finalement à cette idée qui avait été ébauchée avec le baromètre: exprimer la façon dont cela peut évoluer en fonction de qui va bien ou ce qui ne va pas. Une gestion de semaine en semaine, avec des à-coups, c’est ce qui est le plus difficile à gérer psychologiquement. A la limite, les gens supporteraient mieux qu’on leur dise qu’ils ne peuvent pas prendre de vacances jusqu’en juillet, plutôt que de dire une semaine avant les sports d’hiver qu’ils ne peuvent pas partir.

Il faut aussi pouvoir dire que 2021 sera une année de transition. On ne pourra probablement reprendre une vie normale quen 2022. On doit apprendre aux gens à élargir leurs perspectives temporelles. C’est un changement important, car nous avons vécu avec la possibilité de tout faire, à tout moment. Mais psychologiquement, on dit aussi que les moments de joie sont souvent plus forts après ces épisodes négatifs.

La vaccination est une perspective d’espoir, mais il faudra là aussi susciter l’adhésion…

Il y a du chemin à faire, c’est vrai, mais les chiffres sont là aussi rassurants. 57% des Belges sont prêts à se faire vacciner dès maintenant, selon une enquête que nous avons réalisée, 14% sont indécis et 30% ne seraient pas prêts à se faire vacciner. C’est encourageant. Parmi les indécis et ceux qui ne seraient pas prêts à se faire vacciner, on distingue les méfiants, qui craignent par exemple les effets secondaires, et les défiants, qui critiquent l’autorité ou adoptent les théories du complot. Ces derniers ne changeront pas d’avis, mais les méfiants le pourraient, eux. La même enquête montre que 50% des gens seraient prêts à jouer un rôle d’ambassadeur pour convaincre leurs proches et que les Belges font fortement confiance aux médecins généralistes et aux scientifiques. En jouant sur tous ces tableaux, on pourrait atteindre les objectifs.

Que pensez-vous des changements intervenus dans les groupes d’experts qui conseillent le gouvernement?

Je n’ai personnellement jamais fait partie de ces conseillers, en tant que tel, mais nous avons créé un groupe ‘psychologie et coronavirus’ qui apporte lui aussi ses conseils et qui a été écouté. Mais dans le nouveau groupe d’experts, il y a un seul psychologue sur vingt-quatre membres, c’est assez désolant! Or, les défis psychologiques sont majeurs.

Je plaide en outre pour que chacun reste dans sa spécialité: certains virologues ou épidémiologistes tiennent des discours menaçants qui ne sont pas efficaces: sur le plan psychologique, cela ne fonctionne pas du tout.

Tout est trop cadenassé sur le plan sanitaire, par crainte de reproduire les erreurs de la première vague?

Je pense surtout qu’il n’y a pas une bonne connaissance des apports qui peuvent être ceux des sciences humaines. On nous considère trop comme des gens qui soignent les gens désespérés, alors que nous pourrions apporter énormément en matière de prévention ou pour définir la stratégie de communication. Je n’ai pas l’impression qu’il soit forcément utile d’avoir dix médecins, il me semble qu’une Erika Vlieghe ou un Yves Van Laethem auront un discours fort semblable.

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