Le temps d'écran des adolescents a augmenté de 70% depuis le début du premier confinement.

Covid: la dépendance aux écrans a augmenté depuis la pandémie (analyse)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère numérique? Celle du temps connecté, sans aucun doute. Avec la pandémie et les confinements successifs, la dépendance s’est encore accentuée.

C’est un « héritage » de la pandémie: télévision, réseaux sociaux et jeux vidéo ont vu leur usage s’intensifier, à tous les âges. Tous « ventousés », « greffés » aux écrans depuis mars 2020, début du premier confinement. Une orgie qui dévore la vie: la part d’heures d’éveil passées devant un écran atteint, en moyenne, 40%. La hausse est plus forte chez les adolescents: le temps d’écran a augmenté de 70%, selon l’étude menée par We Are Social (1).

Avec la presque liberté retrouvée, ces chiffres baisseront-ils? Ou cette expérience collective constitue-t-elle un tournant dans l’utilisation des outils numériques? Les réponses ne sont pas définitives, mais nos interlocuteurs l’affirment: il y a bien un avant et un après-Covid.

Chez les adolescents, d’abord. Une observation rassurante et de bon sens: avec le présentiel et le retour à la normale, le temps d’écran sur leur téléphone recule et redevient celui d’avant-Covid – bien qu’alors déjà fort chargé. « Ils se retrouvent et socialisent quand même, beaucoup plus que les adultes », résume Pascal Minotte, psychologue, psychothérapeute et codirecteur du Centre de référence de santé mentale (Crésam). Ils n’ont pas perdu ce besoin d' »errer », de « traîner » avec leurs pairs, de toucher et d’expérimenter les liens amicaux, amoureux, charnels. Mais « se retrouver », « socialiser », cela ne veut pas dire en extérieur, dehors. La présence non supervisée de l’adolescent (comme de l’enfant, d’ailleurs) dans les espaces publics a longtemps été admise ; aujourd’hui, elle ne va plus de soi. Cela ne se fait plus. « Elle est progressivement devenue le marqueur des classes populaires, voire un marqueur de négligence », poursuit Pascal Minotte. Ce phénomène a trouvé dans les médias sociaux une forme de réponse. Parce qu’ils permettent de maintenir le lien, de communiquer, tout en restant chez soi, ils sont devenus la prothèse obligée de l’adolescent « indoor ». Autrement dit, les jeunes socialisent dans les seuls espaces qu’on leur a laissés: « Leur chambre à coucher et leur petit écran hyperconnecté, deux territoires non régulés par des adultes et où ils jouissent d’autonomie. »

Covid: la dépendance aux écrans a augmenté depuis la pandémie (analyse)
© belga image

Les plus petits à présent, ceux de moins de 6 ans. Au cours de la période de crise, ils ont été nettement plus exposés à des temps d’écran (comme leurs parents). Et, malgré le retour à l’école, les pratiques se sont pérennisées. « Les parents qui ont autorisé l’accès à une tablette, une console de jeux, pris un abonnement à Disney + ne sont pas revenus en arrière », confirme Pascal Minotte. L’affirmation dérange, sans doute. Pourtant, il y a une convergence d’avis scientifiques pour dire que ce qui est problématique, ce sont les enfants qui passent leur temps devant les écrans, tous les jours, qui ne sont pas suffisamment stimulés, notamment verbalement. Au-delà, si sa journée est bien remplie, ce ne sont pas quinze minutes quotidiennes d’écran qui auront un impact néfaste sur leur développement.

Ultraindividualisme

Ces ados et enfants « indoor » reflètent donc, en premier lieu, les comportements des adultes qui les entourent, eux-mêmes happés par l’attractivité d’une sphère domestique aux allures de refuge. Leurs parents qui désormais télétravaillent sont là presque tout le temps, sauf dans leur petit écran. Qu’ils travaillent chez eux ou sur site, nombre d’adultes sont rivés à un écran. Là, le temps qu’ils y consacrent ne reculera sans doute pas . Pour eux, le plus grand legs sera le travail à distance, avec ses conséquences – tout est imbriqué, plus de frontière entre le temps professionnel et le temps de loisirs en ligne, travail et hors travail -, et avec ses risques – un démantèlement accru des collectifs professionnels. « L’usage démultiplié du virtuel et des technologies de la distance a eu des effets très différents selon les cadres et les situations dans lesquels il s’est déployé, détaille Pascal Minotte. Mais, globalement, les jeunes adultes sont ceux qui en souffrent le plus. »

Comme d’autres experts, il observe cette société Covid très centrée sur le foyer familial, « avec une intensité jusqu’alors inconnue ». Si le télétravail offre plus de confort, de gain de temps, de temps de sommeil, il fait craindre un appauvrissement des solidarités au sein des entreprises. « C’est l’avènement du chacun pour soi, la bascule de l’individualisation à l’ultraindividualisme », analyse le psychologue. Le travail à distance entraîne de nouveaux modes de socialisation et, surtout, donne lieu à davantage d’isolement chez les collaborateurs. Ainsi, en télétravail, quand une réunion en visioconférence se déroule moyennement, il n’y a rien, pas de collègues pour amortir l’agacement, l’énervement, les tensions, pas d’espace informel pour évoquer des difficultés qu’on n’aborde pas en réunion. « En présentiel, on peut corriger immédiatement une maladresse. En revanche, en télétravail, on se retrouve seul, chez soi, à ne pouvoir éventuellement consulter que son entourage familial », note Laurent Taskin, professeur de management à l’UCLouvain.

Bref, une mise à distance qui entraînerait un désinvestissement collectif, moins de désaccords ou plutôt, selon les termes de Laurent Taskin, un « accord superficiel ». Résultat: « Beaucoup de conflits restent larvés. »

(1)We Are Social, Digital Report 2022 Global Overview.

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