Carte blanche

Coronavirus: notre système de santé risque la surcharge

Marc et Etienne Decroly, médecin et virologue réputés, interpellent les choix que l’on risque de devoir faire en Belgique sans réaction ferme face à l’épidémie: « Allons nous libérer les respirateurs et euthanasier des plus vieux pour des plus jeunes? »

Depuis plusieurs semaines, nous surveillons la crise du nouveau Coronavirus (SARS-CoV-2) qui a émergé au début janvier dans la ville de Wuhan en Chine. La construction de deux hôpitaux permettant d’accueillir 2300 patients en une dizaine de jours, alors que moins de 2000 malades du COVID19 étaient recensés, alerta le monde sur la gravité de la situation sanitaire résultant de cette nouvelle infection. Dès le 24 janvier, alors que moins de 1000 infections était comptabilisées avec 25 morts, la ville de Wuhan fut confinée.

120 millions de Chinois furent rapidement isolés et assujettis à des contrôles de température corporelle début février et 500 autres millions de chinois subissaient des restrictions de déplacement afin de juguler l’épidémie. Plus de 17 jours de confinement ont été nécessaires pour observer un infléchissement significatif de la progression de l’épidémie en Chine qui a infecté plus de 80 000 personnes.

Aujourd’hui, bien que l’épidémie soit sous contrôle dans la province du Hubei, après environ 50 jours, des foyers secondaires ont émergés dans le reste du monde et l’OMS vient de décréter la « pandémie ».

L’Europe est particulièrement touchée avec plus de 20 000 malades du COVID19. L’épidémie de SARS-CoV2 progresse de plus exponentiellement avec un doublement du nombre de cas tous les 3-4 jours. L’Italie, le pays de l’UE le plus durement touché, comptabilise 12642 cas détectés et 827 décès ce 11 mars, soit un taux de mortalité de plus de 6%. Le virus se propage également rapidement dans le reste de l’Europe ou l’épidémie a une dizaine de jours de retard environ.

Même si la majorité des personnes atteintes par le COVID19 ne développeront que des symptômes grippaux légers, tout indique que le Covid19 n’est pas une « petite grippe ». En effet, un ensemble de facteurs favorisent la propagation de cette infections respiratoire : 1) le virus est très infectieux et un malade va contaminer en moyenne entre 2 et 4 personnes, 2) le virus est pathogène et létal dans 3,4% des cas en moyenne, 3) le virus est nouveau et il n’y a pas d’immunité dans les populations. Concrètement, le taux d’hospitalisation et de mortalité sont environ 40X supérieurs à celui de la grippe et les personnes de plus de 60 ans sont particulièrement touchées.

Il est évident que les autorités de santé et le milieu médical sont pleinement mobilisés pour lutter contre cette épidémie. Il faut souligner l’implication sans faille du personnel de santé, et des médecins. Toutefois, il apparaît également que nous n’avons pas assez anticipé les difficultés liées à cette nouvelle épidémie.

Tout d’abord, une pénurie de masques de protection et de gels hydro-alcooliques sévit en Europe. Cette pénurie est d’autant plus inquiétante est que tous les cas suspects n’ont pas la possibilité de se procurer des masques. De plus, les difficultés d’approvisionnent touchent également certain médecin de ville alors que ces protections sont essentielles au maintien du système des soins opérationnels à moyen terme. Dans ce contexte, plus de 10% du corps médical italien a, par exemple, déjà été contaminé.

Une seconde difficulté, c’est que les capacités de diagnostic restent trop limitées afin de tester les cas suspects. Bien qu’il soit difficile de mettre en place très rapidement les systèmes diagnostics haut débits nécessaires au dépistage systématique, des efforts significatifs doivent être faits dans ce domaine si nous désirons mieux contenir l’épidémie.

La meilleure méthode pour endiguer efficacement les chaines de transmissions du SARS-CoV2 est de tester et isoler les cas. Or les médecins de ville n’ont pas accès au test diagnostic, indispensable outils pour la prise de décision de l’isolement des patients et le confinement éventuels des primo contacts !

Par ailleurs, le manque de tests est tel que les diagnostics doivent être concentrés sur les cas hospitalisés et même une partie des patients hospitalisés ne seront bientôt plus testés dans les jours à venir.

Enfin, sans tests systématiques, les chiffres essentiels du nombre de contaminés pour le pilotage de la réponse du système de soins seront faux et il sera impossible d’anticiper une réponse adaptée. Notre situation est c’elle d’un pilote de course dans la nuit sur une route de montagne qui perd ses phares.

Ces derniers jours, un nombre croissant de malades a été dirigé vers les hôpitaux suite a la propagation du SARS-CoV2. Cette épidémie survient alors que les politiques publiques depuis quelques années, n’ont cessé de réduire le nombre de lits d’hôpitaux. Donc les capacités d’accueil sont contraintes.

Notre système de santé risque la surcharge et dans quelques jours les hôpitaux risquent d’être saturés. Tant que la capacité hospitalière est utilisée au quart de ses possibilités on a envie d’être rassurants, mais le jour ou nous serons à la moitié des capacités utilisées, dans les 72 heures, le système de soins sera dépassé.

Ce phénomène qui répond à une progression géométrique donc exponentielle est très difficile à mentaliser et à percevoir. On ne sera saisi que lorsque l’accélération sera telle que nous ne maitriserons plus rien.

Un système de soins dépassé implique de devoir faire des choix : qui aura droit aux soins….Le Covid 19 tue les plus âgés, mais allons nous libérer les respirateurs et donc euthanasier des plus vieux pour des plus jeunes? Un infarctus doit-il être mieux traité qu’un SARS CoV2?

Le 22 mars lors des attentats de Bruxelles, les médecins de terrain ont dû trier les patients traumatisés. En une heure, il a fallu décider, sur les 300 victimes, qui serait pris en charge tout de suite qui ne serait pas sauvé et qui aurait des soins différés. Ce tri c’est fait rapidement avec, sans doute des erreurs, mais globalement les choix étaient guidés par l’urgence. Le dépassement des structures de soins sur place était réel mais sur un période très courte et les hôpitaux accueillants étaient prêts. En cas de dépassement des structures avec les malades Covid19, nous devrons assumer des choix cornéliens et ce pendant toute la durée du dépassement des structures de soins, donc quelques semaines. Devrons-nous choisir entre une dame autonome de 82 ans sous respirateur pour laisser la place à un jeune de 18 ans qui a fait un arrêt cardiaque ? Quelle sera notre ligne de conduite éthique?

L’épidémie en Belgique a environ 10 jours de retard sur l’Italie et il faut profiter de ce retard pour organiser une réponse mesurée, rapide, adapté et efficace. Prenons le temps de regarder l’expérience d’autres pays qui contrôle mieux l’épidémie pour guider nos choix et protéger nos populations, nos parents nos ainés. Ne restons pas inactifs. C’est non seulement une responsabilité politique mais également la responsabilité de chacun! Nos gouvernements doivent faire des choix et arbitrer entre des intérêts économiques à court terme et des problématiques de santé publique. Nos institutions, nos universités, nos entreprises ont également un rôle à jouer à leur échelle dans la mise en place de contre mesures.

L’Institut Pasteur par exemple, qui connait la gestion des épidémies a décidé de limiter les réunions et congrès de plus de 50 personnes. Un grand nombre de sociétés savantes annulent leurs congrès et, paradoxe ultime, au moment ou la recherche sur les coronavirus doit partager, le congrès international sur le Coronavirus qui devait se dérouler aux Pays-Bas vient d’être annulé. Par ailleurs, un nombre croissant d’activités non indispensables et de déplacements sont reportés pour endiguer la propagation du virus. Prenons exemple sur ces acteurs et soyons nous aussi proactif.

En absence de mesures globales, des mesures simples et efficaces de protections doivent être prises individuellement ou collectivement au sein de nos structures de travail. Nous pouvons réduire nos déplacements, faire pression sur nos employeurs pour organiser temporairement du télé travail, réduire notre exposition sociale, trouver des mesures pour protéger nos ainés. Par ailleurs, comme la seule méthode pour endiguer la propagation du SARS-CoV-2 est d’isoler les cas, en absence de détections suffisante, il faut inviter fermement toutes les personnes présentant des symptômes respiratoires ou de la température à rester chez eux. L’isolement de ces personnes fragilisées par la maladie est important pour éviter toute coïnfections par le SARS-CoV-2 et pour limiter la surcharge des systèmes de santé. C ‘est notre responsabilité individuelle et collective.

Dr Marc Decroly, Médecin Smuriste, Bruxelles

Dr Sc. Etienne Decroly, Virologiste, Directeur de recherche CNRS, Cellules Virus émergents Marseille

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