Bruxelles © Saskia Vanderstichele

Coronavirus: « Il faudrait peut-être élargir la bulle sociale pour les plus jeunes »

Han Renard

Pendant un moment, la vie normale a semblé à portée de main, malgré le coronavirus. Mais la résurgence de cet été montre que l’automne 2020 pourrait ressembler davantage au printemps. Ou y a-t-il de l’espoir ? « La bulle pourrait être élargie ».

Les mesures actuelles sont-elles suffisamment strictes pour réduire le nombre d’infections à un niveau gérable à l’automne ? « Oui et non », répond Molenberghs. « Dans la province d’Anvers, elles sont déjà en baisse, mais à Bruxelles, c’est le contraire qui se produit. Il est possible qu’en octobre, nous arrivions à un nombre très faible de nouvelles infections quotidiennes, mais le biostatisticien préfère ne pas faire de prédictions difficiles. Et quels que soient les chiffres, nous ne pouvons pas revenir au monde de juillet cet automne, et encore moins au monde d’avant le coronavirus. Le risque de nouveaux foyers est permanent, et une seule flambée suffit à incendier une ville entière. « En Géorgie, aux États-Unis, une seule femme a causé un grand foyer de coronavirus. Elle a fêté le carnaval à La Nouvelle-Orléans, puis s’est rendue à un service religieux à Atlanta. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de tels rassemblements durant les mois à venir. »

« Mais il y a bel et bien quelques perspectives », ajoute Pierre Van Damme, virologue à l’Université d’Anvers. « La vie sociale est importante, tout le monde en est conscient. Il sera possible d’élargir la bulle de cinq, à huit, dix ou peut-être même quinze personnes. À l’extérieur, je pense que nous pourrons bientôt revoir d’autres personnes, à condition que les règles soient claires. Mais cette bulle doit rester constante et ne pas changer chaque semaine. Cela donnerait libre cours au virus. Nous devons donc trouver un équilibre viable d’ici cet automne, afin de ne pas devoir continuellement durcir les mesures et puis les assouplir, comme un yo-yo ».

Hospitalisations

Médecin en soins intensifs, Geert Meyfroidt (UZ Leuven) remet en question le concept même de la bulle – petite ou grande. « La plupart des autres pays européens n’ont pas de bulles du tout et cela complique inutilement les choses. Mieux vaudrait expliquer aux gens comment ils doivent se voir, quel que soit le nombre de contacts », dit-il. « Gardez vos distances avec presque tous ceux qui n’appartiennent pas à votre foyer, cela devrait être la règle, et portez un masque si ce n’est pas possible. Au moins, c’est clair. Le gouvernement devrait également insister beaucoup plus sur l’importance d’une bonne aération, et devrait déplacer autant d’activités à l’extérieur que possible, y compris l’enseignement, par exemple, en préparation de l’automne ».

L’épidémiologiste Yves Coppieters (ULB) estime que l’on effraie trop la population. Il trouve que l’accent mis sur le nombre d’infections est trompeur. « Le problème n’est pas le nombre d’infections. Il y en a actuellement 500 à 600 par jour en moyenne. Tant que ce chiffre reste plus ou moins stable, il n’y a aucune raison de paniquer. Un paramètre plus important est le nombre de personnes gravement malades, et celui-ci n’est pas trop mauvais pour le moment. En effet, les jeunes en particulier sont infectés et les personnes âgées continuent à bien se protéger. Pour Coppieters, le plus important en automne est que les jeunes continuent à faire un maximum d’efforts pour ne pas infecter les personnes vulnérables, en gardant leurs distances et en portant un masque lorsqu’ils rendent visite à leurs parents ou grands-parents. Si le virus continuait à se propager en automne de la même manière que cet été, ce serait une bonne chose ».

L’épidémie de coronavirus qui s’est déclarée à Anvers au début du mois a entraîné ce que Meyfroidt appelle « un nombre gérable d’admissions à l’hôpital ». Reste à savoir si ce sera également le cas à Bruxelles, où le virus continue de gagner du terrain. Sur la base des taux d’infection, le nombre d’admissions à l’hôpital est très difficile à prédire. Mais le fait est que le mois dernier, ce sont principalement des jeunes qui ont été infectés par le coronavirus, et ils en souffrent très peu. Les critiques de l’approche actuelle estiment donc que l’on peut un peu plus laisser le virus suivre son cours. Je comprends ce raisonnement », déclare Meyfroidt, « mais tous les modèles montrent que si vous faites cela, les jeunes finiront par infecter les personnes âgées et vous aurez un taux de mortalité élevé parmi les personnes âgées de 50 ans et plus. »

Les experts sont d’accord sur un point: un confinement comme au printemps ne se reproduira plus. Cependant, c’est la meilleure et peut-être la seule façon d’écraser complètement la courbe des infections. « En termes purement épidémiologiques, c’est effectivement le scénario idéal, mais les dommages sociaux et économiques seraient énormes », déclare Steven Van Gucht, virologue à Sciensano. Nous devons donc viser un niveau de propagation faible et contrôlable.

Les jeunes et les personnes âgées

Lors de la première vague de coronavirus, la plupart des décès sont survenus dans des maisons de repos. Dans l’intervalle, on a tiré des enseignements sur l’hygiène et les autres mesures de protection des personnes âgées vulnérables. Mais le bien-être psychologique et la qualité de vie des personnes âgées mériteront également une plus grande attention à l’automne, insiste Pauline Chauvier, psychologue clinicienne au service de gériatrie du CHU Saint-Luc et membre du conseil d’administration de l’UPPCF (Union Professionnelle des Psychologues Cliniciens Francophones). Elle fait également partie du groupe d’experts des psychologues du gouvernement fédéral.

En mai et juin, nous avons hospitalisé un grand nombre de personnes âgées qui ont eu beaucoup de mal pendant le confinement, qu’il s’agisse de personnes âgées en maison de repos ou qui vivent chez elles en bénéficiant d’une aide à domicile. Elles étaient extrêmement anxieuses, déprimées et avaient perdu beaucoup de leurs capacités cognitives et physiques parce que tous leurs contacts et activités collectives ont été supprimés pendant des mois. Elles ne recevaient plus de stimuli externes. Beaucoup d’entre elles avaient même cessé de faire leurs courses. J’ai vu arriver dans notre service des gens qui n’avaient vu personne depuis des semaines, qui avaient à peine mangé. Nous avons également constaté une forte hausse de consommation d’alcool et de médicaments chez les patients », déclare Pauline Chauvier. De plus, beaucoup culpabilisent parce qu’ils se sentent un fardeau pour les jeunes générations. D’autres avaient le sentiment que la société les avait abandonnés ».

Pour Chauvier, il faut changer de cap lors des prochains pics de coronavirus. « Il faut vraiment que cela s’améliore. Parce que la santé psychologique des gens a un impact majeur sur leur immunité. Nous devons rassurer les personnes âgées, par exemple en autorisant autant que possible les contacts sociaux dans les centres de soins résidentiels, dans des conditions sûres, bien entendu ».

À l’approche d’un automne difficile, Chauvier préconise également de discuter avec les personnes âgées et leurs familles des risques sanitaires qu’elles sont prêtes à accepter en cas de nouvelle flambée de coronavirus. « Nous devons laisser les personnes âgées décider elles-mêmes du degré de risque qu’elles veulent prendre pour maintenir une certaine qualité de vie, et continuer à leur donner des choses à attendre avec impatience : une visite, un coup de téléphone, une activité physique. Et ne demandez pas aux personnes âgées de s’enfermer seules pour se protéger. Alors elles s’isolent et se laissent mourir. »

Les jeunes sont dans une situation différente. Les mesures destinées à endiguer le coronavirus exigent d’immenses sacrifices de leur part – pas de vie sociale, pas de vie étudiante, pas de travail de vacances – alors que les bénéfices directs pour eux sont faibles. Comment maintenir la motivation de ces jeunes, dont le comportement est crucial pour arrêter la propagation du virus ? Cette question occupe également beaucoup la virologue Anne-Mieke Vandamme (KU Leuven). Les jeunes ont le sentiment que leur vie est hypothéquée par la lutte contre ce virus », dit-elle. Et je comprends cela aussi. Il ne s’agit en fait que de ce qui est nécessaire pour contenir la pandémie, et on comprend mal les problèmes auxquels les jeunes sont confrontés. Peut-être devrions-nous examiner s’il est possible d’élargir au moins la « bulle » des jeunes.

En revanche, Vandamme, l’un des rares experts à qui nous avons posé la question, défend le port obligatoire du masque, comme c’est le cas actuellement à Anvers et à Bruxelles. « C’est une idée fantastique », dit-elle. « Elle ne nécessite qu’un petit effort et n’affecte pas fondamentalement l’interaction entre les personnes, mais permet tout de même un retour partiel à une vie normale ».

Le régime spartiate

C’est l’une des premières choses que dit Pierre Van Damme lorsqu’il doit se pencher sur l’automne : notre comportement individuel est évidemment déterminant pour l’évolution de l’épidémie, mais l’importance d’un tracing efficace des contacts ne doit pas non plus être sous-estimée. En particulier avec un faible nombre de nouvelles infections par jour, les nouveaux foyers peuvent être contenus rapidement grâce aux détecteurs de contact.

Mais pour l’instant, le fonctionnement de la recherche des contacts est loin d’être optimal, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce qui n’aide pas non plus, c’est que les gens peuvent être infectés sans symptômes reconnaissables et donc transmettre le virus inconsciemment. En ce sens, le village test d’Anvers pour les patients asymptomatiques est certainement un bon pas : il ne faut pas le démanteler cet automne », déclare Van Damme. Mais il y a d’autres problèmes d’organisation. Il faut parfois quatre ou cinq jours avant que les gens obtiennent le résultat de leur test », déclare Van Damme. « C’est démotivant, tant pour le patient que pour le médecin. »

Le tracing donnera-t-il ce que nous espérons depuis des mois ? Steven Van Gucht le croit. « Karine Moykens, qui dirige maintenant le service d’enquête sur les contacts, en tire le meilleur parti », dit-il. Nous n’en sommes pas encore là, mais le système s’améliore lentement. La rapidité est cruciale et cela ne va pas de soi à une telle échelle. Rien qu’avec la détection de contacts, aussi importante soit-elle, nous n’y arriverons pas ». Le ministre Philippe De Backer (Open VLD) promet une capacité de 90 000 tests par jour à l’automne. C’est suffisant pour tester tous les profils de risque, mais pas pour contrôler massivement des groupes comme les enseignants ou les infirmiers à titre préventif.

Le professeur Yves Coppieters (ULB) souhaite également que l’on réagisse rapidement aux foyers locaux dans les mois à venir. Selon l’épidémiologiste, au lieu d’exiger le port du masque dans tout Bruxelles, « un certificat d’incapacité qui prouve que la région admet que ses tests et son traçage ne fonctionnent pas », Bruxelles aurait dû passer à la vitesse supérieure dans les communes densément peuplées et défavorisées du canal d’où sont partis les nouveaux foyers. « On peut envoyer des bus de testing dans ces quartiers, ouvrir des postes de secours médical et communiquer de manière intensive avec la commune et les associations locales. » Coppieters souligne également que dans des pays comme les Pays-Bas, les masques ne sont obligatoires qu’en de très rares endroits. « Et leurs chiffres de coronavirus ne sont pas pires que les nôtres, au contraire ».

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