Carte blanche

Coronavirus: Augmenter le dépistage, tout en maintenant son efficacité

Cinq professeurs, médecins et chercheurs de l’UCLouvain mettent en garde: une vraie réflexion s’impose avant la mise en oeuvre de campagnes de détection à grande échelle car elle pourrait générer beaucoup de confusion.

La lutte contre l’épidémie de coronavirus passera selon les experts par une stratégie de dépistage agressive. L’identification des malades repose aujourd’hui sur l’utilisation de tests ARN, mais de nouveaux moyens de détection, souvent plus rapides, seront bientôt disponibles. L’arrivée de ces tests alternatifs est une bonne nouvelle et ouvre de nouvelles opportunités. Néanmoins, prudence : une vraie réflexion sur les conditions d’utilisation de ces tests doit être menée avant la mise en oeuvre de campagnes de détection à grande échelle, par exemple. Utilisés à mauvais escient, les résultats de ces tests pourraient générer beaucoup de confusion.

Pour identifier les porteurs du COVID-19 dès leur admission à l’hôpital, les patients présentant des symptômes suspects sont actuellement dépistés à l’aide de tests ARN. Ces tests permettent d’identifier la présence de matériel génétique propre au virus (ARN) à l’aide de frottis effectué dans le fond du nez ou la gorge des patients. Ces tests demandent entre 6 et 12h et sont relativement coûteux, mais leur marge d’erreur est raisonnable. Leur sensibilité (capacité à identifier les porteurs du virus) atteindrait 70%, et leur spécificité (capacité à écarter un non-porteur) 90%.

Utilisés comme outil de confirmation pour les patients symptomatiques, les tests ARN se révèlent assez performants. A titre d’exemple, considérons un groupe fictif de 10 000 patients présentant des symptômes, au sein duquel 8 000 sont porteurs d’un virus (en rouge, voir la figure Situation 1) et 2 000 ne le sont pas (en bleu). Sur les 8 000 patients infectés, 5 600 auront été diagnostiqués comme porteurs par le test ARN – ainsi que 200 patients sur les 2 000 non-infectés. Tous les patients infectés ne sont pas diagnostiqués car la présence du virus n’est pas toujours détectable dans les prélèvements (2 400 patients dans notre exemple). Notez que les faux positifs et les faux négatifs ne sont pas identifiables, en réalité : on ne sait bien sûr pas qui est concerné.

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L’efficacité du dépistage peut être mesurée, entre autres, par la probabilité d’être effectivement porteur de la maladie lorsque le résultat du test est positif ; on parle de Valeur Prédictive Positive (VPP). Dans notre exemple, 97% des patients ayant été diagnostiqués positifs sont réellement porteurs du virus – un haut niveau d’efficacité. Cependant, cette valeur est fortement dépendante de la proportion de personnes réellement contaminées par le virus au sein de la population dépistée. Ainsi, on pourrait imaginer un dépistage en masse d’une population au sein de laquelle 2% des habitants sont porteurs d’un virus, ce qui représenterait 200 000 porteurs dans un pays de 10 millions d’habitants. Les mêmes tests ARN donneraient alors des résultats très différents (voir figure Situation 2). Dans ce cas, la Valeur Prédictive Positive tombe à 12%, ce qui signifie que 88% des habitants diagnostiqués comme porteurs… ne le seraient pas, en réalité. Si le dépistage devait être généralisé à l’ensemble de la population belge, par exemple, cela représenterait un nombre considérable de faux positifs, soumis à une quarantaine inutile. Sans oublier les porteurs non détectés, chez qui le test négatif pourrait entraîner un relâchement des mesures barrière (lavage des mains, distance de sécurité, etc.).

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Pour cette raison, il faudra identifier avec précaution les cibles privilégiées des dépistages via ces tests ARN. Par exemple, le personnel médical soignant ainsi que les pensionnaires et le personnel des maisons de repos sont des groupes où le risque de contagion est important. Les malades atteints de symptômes typiquement associés au coronavirus devraient également faire l’objet de dépistages futurs. En cas de résultat positif, un screening des personnes avec lesquelles le patient a été en contact au cours des derniers jours serait un atout précieux pour limiter les contagions. C’est ce qu’on appelle le traçage – qui n’est pas sans soulever une série de questions éthiques. Enfin, les tests pourraient être utilisés de manière plus large au sein de la population si la proportion de porteurs devait être élevée, comme c’est parfois le cas lorsque l’épidémie est en phase avancée.

Arrivée de nouveaux tests sur le marché

Le développement de tests alternatifs est en plein bouillonnement : de nouveaux tests devraient être disponibles bientôt. Par exemple, des tests sérologiques permettront de détecter la présence d’anticorps spécifiques au virus dans le sang des personnes qui ont été infectées, qu’elles s’en soient rendu compte ou non. Ces tests ont l’avantage d’être rapides (30 minutes) et peu coûteux. Utilisés en combinaison avec les tests ARN, ils pourraient renforcer l’efficacité du tri entre patients lors de l’admission en hôpital. De manière intéressante, ces tests peuvent détecter une infection plusieurs semaines après guérison. Cette propriété permettrait d’estimer la proportion de la population potentiellement immunisée contre le virus – une donnée cruciale pour décider des mesures à prendre à la sortie du confinement.

D’un autre côté, l’utilisation de tests sérologiques pour un dépistage à grande échelle s’envisage avec prudence. En effet, la spécificité des tests sérologiques est souvent inférieure aux tests ARN, et leur sensibilité dépend fortement du délai entre le test et le début de l’infection. Utilisés sans discernement, ils pourraient générer davantage de faux diagnostics que les tests à ARN.

De nombreux kits de tests rapides à destination du grand public sont actuellement en cours de développement ou d’homologation. En Belgique, de tels tests d’auto-détection seront soumis à une autorisation de mise sur le marché (AMM), mais leurs performances (sensibilité et spécificité) ne seront pas forcément connues. La question de l’utilisation de ces tests par la population soulève donc de réelles préoccupations.

Des tests pour qui, pour quoi, dans quelles conditions ?

Les tests diagnostiques sont un outil incontournable dans le cadre de la lutte contre le coronavirus et représenteront une pièce centrale de la stratégie de sortie du confinement. Néanmoins, une utilisation inadéquate risque de générer de nombreux faux positifs ou faux négatifs. Leur utilisation devra donc être planifiée avec prudence et tenir compte de l’incertitude du résultat. Pour cette raison, nous recommandons l’ouverture d’une discussion de fond sur l’utilisation des tests, au sein de laquelle l’évaluation d’un comité d’éthique aura toute sa place.

Au cours des prochaines semaines, il faudra prendre des décisions dans un contexte où de nombreuses inconnues subsistent. Quelle est la part de la population qui a été infectée ? Quel est le niveau d’immunité d’une personne guérie ? Les enfants ont-ils été aussi touchés que les adultes ? Certaines de ces questions pourraient trouver une réponse grâce aux formules d’un pasteur britannique du 18ème siècle, Thomas Bayes. Les méthodes analytiques modernes inspirées de ses travaux (méthodes bayésiennes) permettent en effet d’exploiter des données pour lesquelles il existe une incertitude – comme les résultats de tests diagnostiques. En combinant les résultats de différents tests sur un même échantillon, il serait possible d’évaluer plus précisément la performance de chaque test diagnostique individuel. On pourrait ainsi aussi estimer le nombre de personnes infectées au sein de la population. Autant de données précieuses pour guider les décisions importantes à venir, notamment celles qui concerneront le dé-confinement, attendu avec impatience par la plupart d’entre nous.

Niko Speybroeck, Jean-Marie Maloteaux, Hector Rodriguez, William D’Hoore, Morgan Pearcy

Les auteurs sont professeurs, médecins et chercheurs à l’Université Catholique de Louvain. Cet article reflète leur opinion et non celle de l’Université.

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