La secrétaire générale du Conseil de l’enseignement des communes et des provinces a touché 1 500 euros de notes de frais par mois depuis six ans. Et octroyait 500 euros mensuels à un employé qui remettait des doubles notes de frais. Le CA de l’institution lui ordonne un remboursement mais lui renouvelle sa confiance.
Le 21 décembre 2018, au siège bruxellois du Conseil de l’enseignement des communes et des provinces, c’est réunion de crise. Le CECP rassemble tous les pouvoirs organisateurs d’enseignement communaux et provinciaux. Il arme ces PO (pouvoirs organisateurs) en conseils juridiques et pédagogiques. En ce dernier jour de l’année, la secrétaire générale, Fanny Constant, est tenue de s’expliquer sur des notes de frais qu’elle remet chaque mois, à hauteur de 1 500 euros, depuis 2012. L’avis du bureau est cinglant : » Cette pratique est totalement illégale et inacceptable. »
Fanny Constant, ex-cabinettarde socialiste, a succédé à l’époque à Reine-Marie Braeken. Le bureau exécutif du 23 mars 2012 a retenu son engagement comme l’option à présenter au conseil d’administration. Mais le PV de ce bureau, où siègent les deux futurs présidents du CECP, Christian Declercq (MR) et Laurent Léonard (PS), » rappelle qu’il ne peut rencontrer les prétentions de Fanny Constant en ce qui concerne : le forfait frais de représentation et la mise à disposition d’une voiture de fonction. » Christian Declercq et Laurent Léonard ne s’en souviennent plus. Ils précisent aujourd’hui que les négociations salariales avaient été confiées à Reine-Marie Braeken et au président d’alors, Marcel Neven (MR). Reste que les décisions qui ont suivi étaient bien collégiales. Ainsi, le 23 avril 2012, à Ottignies, un conseil d’administration valide à l’unanimité la décision de ne pas octroyer d’avantages forfaitaires à Fanny Constant : » Pas d’avantages additionnels (voiture de fonction, forfait frais de représentation…) « . Fanny Constant devra se contenter d’un salaire avoisinant les 8 000 euros brut.
Au bureau du 21 décembre 2018, des administrateurs u0022 s’étonnent de la fréquence et des montants de certains frais.
Pourtant, pendant six ans, la secrétaire générale remet des frais à hauteur de 1 500 euros par mois. Certains sans lien avec l’institution, d’autres difficilement vérifiables, notamment les frais de déplacement. Pas des dépenses de luxe. Plutôt des notes de restaurant en famille, des tickets pour du bricolage ou des plantes. Mais la majorité de ces frais sont justifiés, insiste Laurent Léonard.
Accord en 2012 ? Non.
Au bureau du 21 décembre 2018, des administrateurs » s’étonnent de la fréquence et des montants de certains frais, en ce compris le week-end « , qui font double emploi avec les frais de déplacements (115 euros) déclarés sur la fiche de paie. Réponse de la secrétaire générale : ces déplacements sont réalisés à l’invitation de PO membres de l’institution ou dans le cadre de nombreuses réunions du Pacte d’excellence. Par ailleurs, des réunions tardives l’obligent à prendre des repas à l’extérieur. Pourquoi les achats sont-ils effectués avec sa carte de crédit personnelle ? » C’est plus pratique de ne pas devoir se déplacer avec deux cartes. » Pourtant, dans les notes consultées par Le Vif/L’Express, trois cartes différentes sont utilisées.
Pour justifier la pratique, Fanny Constant évoque un accord oral, à l’époque, avec Marcel Neven (MR) et Reine-Marie Braeken : pouvoir rentrer chaque mois des notes de frais à concurrence de 1 500 euros. Contacté par Le Vif/L’Express, Marcel Neven ne se souvient pas d’une telle décision. Reine-Marie Braeken, elle, nie catégoriquement, ce qui est confirmé par les PV de l’époque. Dans une note de position qu’elle nous a transmise, elle » dément formellement les allégations de madame Constant. Je n’ai jamais donné mon accord sur sa demande d’octroi d’un forfait de 1 500 euros par mois pour frais de représentation. […] Contrairement à ce qu’affirme madame Constant, de telles pratiques n’ont jamais existé au CECP. Le forfait pour frais de transport et de représentation n’a jamais été d’application. »
La différence d’interprétation se pose sur l’aspect forfaitaire des notes. Si Fanny Constant pouvait se faire rembourser ses frais, ceux-ci devaient être réels. Tous les frais étaient documentés dans la comptabilité du CECP mais certains n’étaient pas en lien avec les activités professionnelles de la secrétaire générale. Et c’est elle-même qui validait ses notes.
Sauvetage, à un vote près
De son côté, depuis 2016, un employé du CECP bénéficie d’un montant forfaitaire de frais à hauteur de 500 euros par mois. Qu’il déclare à son employeur en déplacements. Certains sont improbables. Ou déjà remboursés par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Double remboursement donc, contresigné par la secrétaire générale. C’est illégal.
Le 19 mars 2019, le CA se réunit pendant près de sept heures. La qualité du travail de Fanny Constant est soulignée mais sa démission est sur le tapis. Douze personnes sont présentes. Le vote est secret. Gauthier de Sauvage (CDH) assure que son groupe » a pris ses responsabilités « . Entendez : a voté pour la démission. Ecolo aussi : alors administratrice du CECP, Bénédicte Linard (devenue cette année ministre à la Fédération Wallonie-Bruxelles), interpellée par des employés, a questionné l’institution. Elle a mené l’enquête et révélé les anomalies comptables. Les votes verts et CDH représentent cinq voix. Excepté une abstention, MR et PS votent pour, soit six voix. A une voix près, la secrétaire générale reste en place. Finalement, le CA décide un remboursement par Fanny Constant d’environ 10 000 euros. L’employé aux 500 euros par mois doit rembourser quelques milliers d’euros.
Des nouvelles mesures sont prises, assure le président Léonard. Des barèmes vont encadrer les revendications salariales, compliquées à évaluer vu le statut » détaché » des travailleurs du CECP. Et les frais de direction seront encadrés et contresignés. » On a demandé à un réviseur d’entreprises de vérifier les comptes et ses premières conclusions sont tout à fait bonnes. »
Mais à la suite de la plainte de deux employés, la brigade financière de Charleroi s’est emparée de l’affaire. Bénédicte Linard a été entendue à titre de témoin. Ni elle ni les deux employés ne souhaitent s’exprimer. Fanny Constant a renvoyé Le Vif/L’Express vers son avocat, qui nous précise : » Lors de son entrée en fonction, madame Constant a dû s’entendre avec sa prédécesseure sur les frais qui pouvaient lui être remboursés et une enveloppe fut convenue à cet égard. Une réexamen de la situation fut effectué à la fin de 2018, et un trop perçu fut constaté, que madame Constant rembourse, tandis que de nouvelles règles doivent être fixées s’agissant de la rémunération du personnel […] Depuis, les seuls frais remboursés sont ceux qui, sans le moindre doute, entrent dans la catégorie des frais supportés pour le compte de l’employeur. «