Carte blanche

Confinement : une histoire, des questions

Bruxelles, 12 mars 2020. Les universités l’ont décidé : elles basculent sur l’enseignement à distance, entraînant dans leur sillage d’autres secteurs de la société, dont les écoles, avant que le confinement général soit imposé quelques jours plus tard. Elles l’ont fait parce qu’elles le jugeaient nécessaire, et parce qu’elles s’en estimaient capables.

En étaient-elles capables ? L’enseignement à distance, s’il est bien pensé, préparé, dosé, peut avoir une place, même durable, aux côtés de l’enseignement présentiel, clé de voûte de la transmission des connaissances. Ces heures passées à discourir devant un écran silencieux n’étaient pas une partie de plaisir, mais nous nous y sommes pliés au nom de l’intérêt général. Tout en creusant les inégalités entre étudiants, elles ont néanmoins permis d’assurer une forme de continuité. Par ailleurs, nous avons fait partie des privilégiés qui ont eu la chance de poursuivre leur activité professionnelle et d’être payés en conséquence.

En avril, malgré les réticences exprimées en interne, les universités francophones ont opté pour les évaluations à distance, contrairement aux universités flamandes qui ont loué des salles, halls d’exposition, chapiteaux. Début juillet, après une session qui nous aura laissés sur les genoux, le constat est amer. Certes, on a sauvé les apparences ; il y a eu peu d’incidents graves ; mais malgré la télésurveillance et/ou le contrat de confiance passé avec les étudiants, malgré l’adaptation, voire l’individualisation des questions d’examen, les cas de fraude ont été légion : deuxième écran, téléphone portable, groupes Facebook, Messenger ou WhatsApp, quand ce n’est pas carrément l’examen passé par un tiers. Après des semaines consacrées à préparer et calibrer mes examens, j’estime pour la première fois de ma carrière que les notes que j’ai pourtant moi-même attribuées ne sont pas fiables. On peut se rassurer en affirmant que l’impact de cette session se diluera dans l’ensemble du cursus et de la formation. Mais il ne serait pas opportun de parler d’un succès.

Était-ce nécessaire ? Début avril, au moment où se nouent ces mini-drames au sein des universités, commencent à surgir les premières critiques du confinement. On sait déjà que comme la plupart des maladies respiratoires, le virus, sauf exception, ne tue pas les plus jeunes. Outre l’âge avancé, les catégories à risque sont identifiées : patients souffrant de maladies cardiovasculaires, hypertension, diabète, etc. Alors qu’on n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie, se pose une question douloureuse : n’aurait-il pas été plus judicieux de (mieux) protéger les plus vulnérables, et de laisser les autres s’occuper de l’activité du pays – tout en répandant le virus pour contribuer à fabriquer ce bouclier collectif dont on aurait tant besoin aujourd’hui ? Aujourd’hui, précisément, où toutes ces hypothèses sont confirmées : 80 % des personnes décédées des suites du virus avaient au moins 75 ans, la moitié d’entre elles viennent des maisons de repos, et près de trois quarts des patients admis à l’hôpital pour l’infection souffraient d’au moins un problème de santé préexistant (comorbidité) [réf : Sciensano].

L’argument brandi pour justifier le confinement était d’éviter l’engorgement des hôpitaux et la saturation de notre système de soins de santé, capable de prendre la pathologie en charge, mais pas pour tout le monde en même temps. « Il faut aplatir la courbe », nous répétait-on doctement. Avait-on vraiment besoin, pour ce faire, de confiner les écoliers, les étudiants et même les travailleurs ? Pendant le confinement, les personnes âgées de moins de 20 ans n’ont occupé que 2 % des lits d’hôpitaux étiquetés Covid ; il faut compter 2 % de plus pour les 20-30 ans, 4 % supplémentaires pour les 30-40 ans, et encore 8 % pour les 40-50 ans ; c’est-à-dire un total de 16 % pour les moins de 50 ans. Les chiffres pour les admissions en unité de soins intensifs sont encore plus bas, avec 0,6 % pour les moins de 20 ans et 5 % cumulés pour les moins de 40 ans [réf : Sciensano]. Pour le dire autrement : ce ne sont pas nos jeunes qui risquaient de saturer les capacités hospitalières.

La fermeture des écoles et des universités était un non-sens. Car en plus des dégâts causés sur l’apprentissage, la formation voire la santé mentale et, indirectement, l’économie, elle a retardé le développement d’une immunité collective susceptible d’enrayer la propagation du virus et, ainsi, de protéger les plus vulnérables, de façon beaucoup plus rapide, efficace, économique et naturelle qu’un hypothétique vaccin à venir.

Bien entendu, chaque mort est un mort de trop. Vieux ou jeune. Rappelons que notre pays enregistre tous les ans plus de six cents décès causés par des accidents de la route, et six fois plus de blessés graves avec probablement des séquelles lourdes [réf : Statbel]. Nous n’arrêtons pourtant pas de rouler en voiture. Il y a même des gens qui rigolent dans leur véhicule et d’autres qui font de la publicité pour des marques de voiture – un peu comme si on placardait cet été de grandes affiches pour inciter les gens à se serrer la main dans le train ou dans la rue, alors qu’on dénombre encore plusieurs décès par semaine causés par l’épidémie.

Certes, il aurait fallu songer à des aménagements pour les familles où les plus jeunes étaient susceptibles de contaminer une personne à risque une fois rentrés chez eux. Ainsi que pour les enseignants plus âgés. Mais ces aménagements, pour lesquels des aides publiques auraient pu être prévues, auraient été certainement moins coûteux pour la collectivité que le confinement massif et aveugle que nous avons subi. De surcroît, ils ne seraient sans doute plus qu’un mauvais souvenir aujourd’hui : en tant qu’étudiant ou écolier, la meilleure garantie pour pouvoir « prendre soin » de ses parents ou grands-parents ne paraît-elle pas, à ce jour, d’être soi-même immunisé ?

Lorsque j’entends certains virologues et épidémiologistes traiter du confinement, je ne peux m’empêcher de penser à un modélisateur qui ajuste ses paramètres pour vérifier, avec la disparition du virus, l’efficacité de son modèle. Mais nous ne sommes pas des paramètres. Le virus ne disparaîtra pas. La médecine – dont j’admire l’art – n’est pas une science exacte ; elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais. N’oublions pas que pendant des siècles, tous les médecins d’Europe recommandaient la saignée en réponse à la plupart des maladies. Aujourd’hui, un apprenti sorcier de l’Imperial College a sorti un modèle à rebonds, et on ne jure plus que par le confinement, la quarantaine et les masques – dont nos autorités semblent enivrées par la soudaine profusion.

En science, il est indispensable de confronter les prédictions d’un modèle avec la réalité. Les chiffres de la mortalité liée au virus sont difficiles à exploiter puisqu’ils sont extraits selon des critères propres à chaque pays. Par contre, les chiffres de surmortalité devraient nous fournir une base de travail digne de confiance. Or que constate-t-on lorsqu’on compare la surmortalité dans différents pays européens ? D’abord, pour la plupart d’entre eux, aucune surmortalité n’est observée. D’autre part, les pays où le confinement a été le plus strict ont connu la surmortalité la plus importante [réf : Euromomo].

On a souvent montré du doigt la Suède comme exemple de ce qu’il ne fallait pas faire ; la surmortalité suédoise est en réalité beaucoup plus faible que la belge. Quant aux autres pays nordiques, ils ont fait le choix, avec succès, de fermer leur frontière à l’épidémie. Si cette stratégie est certainement efficace à court terme, on peut s’interroger sur sa viabilité à long terme dans le monde globalisé qui est le nôtre. On peut aussi citer l’exemple du Japon qui a longtemps gardé ses frontières ouvertes et n’a jamais imposé de confinement à sa population et qui compte un nombre de décès par million d’habitants environ 100 fois plus petit que celui de la Belgique [réf : Worldmeters].

Évidemment, il ne faut pas en déduire, a priori, que le confinement est la cause de la surmortalité importante dans les pays qui ont le plus confiné ; mais, plutôt, qu’une comparaison froide et raisonnée serait bénéfique à l’amélioration des modèles et donc des politiques destinées à contrôler l’épidémie. Quelles sont les raisons de la surmortalité ? Ne faut-il pas aussi chercher du côté de tous ces gens qui souffraient d’une autre pathologie et sont restés confinés au lieu de se rendre à l’hôpital ? En science, il faut toujours se méfier des explications de bon sens. Les partisans de la saignée avaient certainement des arguments de bon sens à faire valoir : si le corps malade ne parvient pas à évacuer ses humeurs, aidons-le en le purgeant de son sang. On peut sans peine imaginer le nombre de décès qu’a provoqués ce traitement à travers les siècles.

Nous sommes en plein été. Les nombres d’hospitalisations et de décès causés par le virus sont au plus bas. Et pourtant, port de masque, quarantaine et même confinement reviennent à l’agenda. Pourrait-on nous expliquer comment on « aplatit une courbe » correspondant à un bruit de fond ? Imaginerait-on ne plus nous annoncer l’apocalypse à la moindre fluctuation statistique ? Accepterait-on de nous informer des circonstances dans lesquelles nous serons autorisés à reprendre le cours de nos vies ? Oserait-on remettre en question les grandes décisions de ce printemps 2020, indépendamment du risque politique – et scientifique – que courent ceux qui ont dû les prendre dans des circonstances difficiles ?

Au lieu d’être la première institution à fermer ses portes, l’université n’aurait-elle pas dû être la dernière à rester debout ?

Malgré les conséquences désastreuses pour l’économie et pour des centaines de milliers, voire des millions de personnes, nous sommes nombreux à penser qu’il y a toutefois des choses positives à relever dans ce qui nous est arrivé. D’une part, la crise sanitaire et le confinement ont mis en lumière l’ultra-dépendance de notre pays vis-à-vis d’acteurs externes – européens ou pas – et les dangers qui menacent la santé publique, la souveraineté alimentaire et la continuité de la production industrielle. En outre, par sa seule existence, le confinement tel que nous l’avons vécu prouve que les politiques ont encore du pouvoir ; et le peuple, un sens de l’intérêt général – doublé d’une discipline remarquable.

Si nous pouvions profiter de ces enseignements pour nous mettre au travail et placer l’essentiel de notre énergie à la relocalisation de la production, agricole, bien sûr, mais aussi industrielle, technologique, médicale et autre, ne s’agirait-il pas de la meilleure conclusion que nous pourrions imaginer à cette crise ? Il reste des savoir-faire en Belgique, des structures publiques, des outils industriels, un patrimoine agricole, des universités, un peuple en attente, et tant de chantiers à ouvrir : une compagnie aérienne à renationaliser, un chemin de fer à redéployer, une agriculture locale et diversifiée à encourager, des phases à chaud et à froid à ranimer, des industries de l’armement à convertir, des commerces de proximité à ressusciter, un mode de vie à réinventer.

Puissions-nous nous projeter dans cet avenir, plutôt que de passer les prochains mois de notre vie avec un bout de textile sur la bouche, à suivre du papier collant au sol en guettant le moindre faux pas chez notre prochain, après avoir passé la journée à nous parler par écran interposé en pyjama dans nos salons.

Martin Buysse, physicien, romancier

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