Claude Demelenne

Comment Stéphane Moreau a « tué » le PS liégeois

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Stéphane Moreau a fait beaucoup de mal au PS liégeois. En fait, il l’a « tué ». Il faut tout reconstruire.

Le PS liégeois a longtemps marché sur la tête. Réputé très rouge, il a confié les clés de la Maison du Peuple à un personnage à la Tapie, la gouaille en moins. Le golden boy Stéphane Moreau n’était pas un bon camarade. Affairisme, scandales, rémunérations pharaoniques, opacité à tous les étages. Les dégâts sont considérables.

Des magouilles pour la bonne cause ?

Pourquoi les dirigeants socialistes liégeois ont-ils si longtemps laissé faire ? Depuis la mort d’André Cools, ils étaient en quête de l’homme providentiel. Ils ont cru que Stéphane Moreau ferait l’affaire – sans mauvais jeu de mot. Ils ont misé sur le mauvais cheval. Moreau n’est pas un canasson. Mais contrairement à André Cools, il se comporte en nouveau riche, fasciné par l’argent.

Les patrons du PS liégeois n’étaient pas dupes. Ils savaient que Stéphane Moreau gérait « la plus grande intercommunale du monde » de façon pas très catholique. Ils ont fermé les yeux. Au fond, Moreau était plus malin qu’eux. Il les a convaincu qu’il magouillait pour la bonne cause : pour Liège, pour l’emploi, pour l’initiative industrielle publique.

Moreau, un tragique contre-emploi

Le PS liégeois avait besoin d’un leader en phase avec les attentes du peuple. Il s’est choisi un manager mégalomane. Les successeurs d’André Cools se sont trompés d’époque. L’air du temps réclamait une gauche rigoureuse dans son rapport à l’argent. Ils ont, au contraire, plébiscité un « socialisme » bling-bling qui a choqué une large part de leur électorat. Stéphane Moreau deus ex machina du PS liégeois, c’était un tragique contre-emploi.

Le plaidoyer de Stéphane Moreau pour un capitalisme rouge a fait un flop dans la Cité ardente. Difficile pour un parti de gauche de concilier exigence de redistribution sociale (dans les discours) et écarts salariaux record (dans les actes, chez Tecteo-Publifin-Nethys). Impossible de dénoncer le manque de transparence des grandes multinationales, tout en copiant sans état d’âme leurs méthodes les plus contestables.

Président du fan club : Jean-Claude Marcourt

Stéphane Moreau n’a évidemment pas bâti seul son empire. Il a pu compter sur un fan club fidèle parmi le personnel politique liégeois. Le président de ce fan club, Jean-Claude Marcourt, a été le plus actif. L’ancien ministre wallon de l’Economie a été séduit par Stéphane Moreau, qu’il n’est pas loin de considérer comme un vrai petit génie. Quand son protégé a été sommé par les socialistes de faire un pas de côté, Marcourt a, au mieux, défendu la position de son parti avec des pieds de plomb, au pire, freiné des quatre fers, au point de susciter l’ire d’Elio Di Rupo, de Paul Magnette et de Laurette Onkelinx.

Des lendemains qui chantent pour Liège, grâce au capitalisme rouge ? Après tout, le coup était jouable. A condition d’afficher clairement ses différences : transparence, démocratie économique, justice salariale, partenariats public-privé équilibrés… On est loin du compte. Le fan club de Stéphane Moreau a privilégié un capitalisme sans régulation ni garde-fou. C’est sa plus grande faute.

Culte de la rapacité

Avec l’aide de son clan, Stéphane Moreau a « tué » le PS liégeois. Il a saccagé son corpus idéologique social-démocrate au profit d’un culte de la rapacité digne du capitalisme le plus rugueux. Il a boosté le PTB, tout heureux de faire la leçon à ce PS si peu exemplaire.

Du fameux « club des cinq » (Stéphane Moreau, Alain Mathot, André Gilles, Jean-Claude Marcourt, Willy Demeyer) qui a longtemps dirigé le PS principautaire, seul le dernier cité a sauvé les meubles. Willy Demeyer s’est intelligemment recentré sur son maiorat de Liège. Il sera l’un des rares à échapper au naufrage du socialisme liégeois.

Après la saga Moreau, changer de logiciel

Un naufrage, vraiment ? Dans la tourmente, le PS dispose de deux atouts majeurs. D’une part, malgré un net recul électoral, il reste le premier parti liégeois. Ce n’est pas rien. D’autre part, il dispose dans ses rangs de plusieurs personnalités fortes – et populaires – qui devraient lui permettre de rebondir. Christie Morreale et Frédéric Daerden, les deux nouveaux ministres socialistes liégeois, incarnent un autre PS, en rupture avec les mauvais choix du passé. D’autres mandataires socialistes s’inscrivent dans cette trajectoire rénovatrice : Marc Bolland, Julie Fernandez Fernandez, Thibaut Smolders, Valérie Maes…

Après la saga Moreau, le PS liégeois doit changer de logiciel. La reconstruction ne se fera pas en un jour. Elle passe d’abord par un retour au débat d’idées, jadis très riche sur la planète socialiste liégeoise. Sur ce terrain là également, le PS tournait au ralenti. Il est urgent d’ouvrir les portes et les fenêtres de la Maison du Peuple.

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