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Comment les Néerlandais se servent de la Belgique pour le regroupement familial

Zoë Deceuninck
Zoë Deceuninck Journaliste free-lance pour Knack

Chaque année, des centaines de Néerlandais se servent légalement de la « route belge » pour éviter les sévères exigences néerlandaises d’intégration pour leurs partenaires non-européens. L’utilisation de cette faille dans la législation d’immigration européenne n’est pas sans conséquences pour les communes frontalières de la province d’Anvers.

En 2006, Marije Olij rencontre l’amour de sa vie lors de vacances en Turquie. Après quelques mois d’allers et de retours, la jeune fille âgée 19 ans à l’époque décide de s’installer en Turquie où elle épouse Faruk Duran quelques années plus tard.

Cependant, la vie dans le pittoresque village de Dalyan est calme, trop calme. En janvier 2008, Marije retourne en Europe.

Rentrée seule aux Pays, Olij n’a qu’une mission: faire venir son mari le plus rapidement possible, une initiative loin d’être évidente.

Le couple ne peut pas remplir les exigences d’intégration imposées par les Pays-Bas. « Je devais gagner au moins 1800 euros par mois et louer une maison à mon nom », témoigne Olij. En Turquie, Duran devait réussir un test d’intégration néerlandais.

Diplômée en pédagogie, Olij cherche du travail dans le secteur des soins, mais elle ne décroche pas de contrat fixe. « C’était une période exaspérante. Nous étions très pressés de remplir les exigences », déclare Olij. C’est alors qu’elle découvre la route belge.

La solution réside dans une lacune de la législation européenne. Il y a moyen de contourner les exigences néerlandaises en vivant quelque temps en Belgique. Une fois en Belgique la demande de regroupement familial doit être traitée selon les conditions européennes, connues pour être nettement plus souples que les néerlandaises.

Non seulement, Olij pouvait gagner 700 euros de moins par mois, mais Duran ne devait pas faire de test d’intégration et le couple n’est pas séparé pendant la procédure. Duran peut simplement attendre la réponse en Belgique.

Aussi n’est-il pas étonnant que les Néerlandais qui ont partenaire étranger n’hésitent pas utiliser cette « échappatoire » dans la législation européenne, mieux connu sous le nom de « route belge ».

Manuel pour la route belge

Sur le site néerlandais buitenlandsepartner.nl, Olij trouve un « Manuel pour la route belge », un PDF téléchargeable gratuitement avec un plan d’étapes détaillé. C’est une lueur d’espoir dans la quête infructueuse d’Olij.

On y trouve toutes les informations: de la première visite à l’Office des Étrangers, au contrat locatif en passant par les contrôles de l’agent de quartier à la présentation de documents : si l’on suit le manuel pas à pas, on n’a pas de surprises, estime Olij.

Une sortie via le droit de l’Union

« La route belge est un phénomène populaire pour les Néerlandais qui ont un partenaire non-européen », explique Jeroen Maas, avocat chez Delissen-Martens aux Pays-Bas. L’homme est tous les jours en contact avec les « routeurs belges ».

Maas souligne que la route belge n’est pas la seule route. Ces routes ne sont effectivement pas uniquement utilisées par les Néerlandais, mais aussi par des personnes d’une autre nationalité au sein de l’Union européenne (UE).

« Un couple polono-égyptien par exemple, ou un Britannique qui a une épouse pakistanaise », explique Maas. Toutes les routes sont groupées sous le même dénominateur : la route européenne. « Comme les Néerlandais choisissent souvent la Belgique à cause de la langue commune, on parle de la route belge », confirme Maas.

Se servir de la lacune dans la législation sur l’immigration est assez simple. Tous les citoyens de l’UE ont droit à la libre circulation des personnes, à condition qu’ils ne dépendent pas du système d’assistance sociale, chez nous le CPAS.

Quand un citoyen de l’UE s’installe dans un autre pays de l’UE, il ou elle devient ressortissant communautaire. Le droit communautaire prévoit que le conjoint (et par extension la famille) du citoyen de l’UE profite automatiquement des mêmes droits communautaires. C’est donc également le cas quand le conjoint n’a pas la nationalité européenne.

À peine installée en Belgique où elle décroche un contrat de travail d’un an, Olij s’inscrit au registre de population de Merksplas. Non seulement, cette inscription lui donne un permis de séjour européen de cinq ans, mais elle acquiert aussi le droit de se réunir avec son mari turc. Duran, aux Pays-Bas depuis trois mois grâce à un visa de touristes, n’a pas besoin d’autre visa pour entrer en Belgique. Il « disparaît » des Pays-Bas.

Réuni en Belgique, le couple s’inscrit à la maison communale. Duran ne doit soumettre que son passeport et leur acte de mariage. Il n’y a pas d’autres questions.

« Tant la commune d’Essen que les accompagnateurs du Bureau d’accueil de l’intégration à Anvers évoquent des situations dramatiques de couples qui utilisent la route belge. Il s’agit souvent de personnes qui cohabitent aux Pays-Bas depuis des années, légalement ou non, qui ont parfois des enfants. Leur venue en Belgique est leur dernière chance de bâtir une vie ensemble. »

Pas d’abus

« Je ne veux pas qualifier ce phénomène d’abus. La plupart des usagers de cette route sont des couples amoureux qui s’aiment. Ils se servent de la route pour être ensemble. », réagit Gaston Van Tichelt, bourgmestre de la commune frontalière d’Essen.

Essen compte près de 19 000 habitants, dont un cinquième de Néerlandais. Il n’y a que le sud de la commune qui est attaché à la Belgique. « Nous sommes une péninsule de la Belgique », dit le bourgmestre en riant. Cela fait d’Essen la commune idéale pour les usagers de la route belge, selon le rapport de l’ancienne ASBL Prisma. Si Essen en attire autant, c’est parce que la ligne de chemin de fer Roosendaal-Anvers traverse la commune, qui a sa gare.

« Ce n’est pas difficile de venir ici, en un quart d’heure on est à Roosendaal aux Pays-Bas », explique Van Tichelt, qui n’est guère satisfait de la présence des usagers de la route belge. « Le problème, ce ne sont pas les nouveaux immigrants », souligne Van Tichelt, « mais c’est qu’ils n’essaient pas de s’intégrer parce qu’ils repartent très vite. »

Sentiment de rejet

Olij et Duran vivent en Belgique depuis presque huit ans. « Les Pays-Bas ne voulaient pas de nous, alors nous non plus ne voulons plus des Pays-Bas », disent-ils. Il a fallu environ un an pour que le couple puisse entamer leur nouvelle vie en Belgique. « Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir fait quelque chose d’interdit », déclare Olij.

Entre-temps, Duran est ingénieur grâce au cours du VDAB (l’équivalent flamand du Forem et d’Actiris) et Olij a trouvé son job de rêve comme assistante sociale dans un centre de demandeurs d’asile.

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