Hendrik Vuye, professeur de droit public à l'UNamur, ancien député de la N-V.A. © TIM DIRVEN/ISOPIXA

Collaboration : « Ce sont les socialistes, surtout wallons, qui n’ont pas voulu régler le problème »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Hendrik Vuye, professeur de droit public (UNamur), ex-député N-VA, pointe la lourde responsabilité des francophones dans l’impossible condamnation à la fois de la collaboration avec le régime nazi et des excès de sa répression à la Libération.

La page douloureuse de la collaboration et de sa répression est-elle tournée en Flandre ?

C’est une histoire passée. En Flandre, on a fait notre deuil. Mais la cicatrice reste, parce que la société belge n’a pas réussi à créer les conditions d’un nouveau départ, dans les années 1950 et 1960. Je ne suis pas le seul à le dire si je me réfère au titre de l’ouvrage de Luc Huyse et de Steven Dhondt Onverwerkt verleden ( Un passé non traité, éd. Kritak, 312 p.), ouvrage de référence en matière d’histoire de la collaboration et de la répression.

Comment aurait-on pu procéder à ce nouveau départ ?

Alors que les deux phénomènes présentent de nombreuses similitudes, on a refusé de les envisager dans leur continuité. On a au contraire fait de la collaboration et de sa répression deux univers opposés. Il aurait fallu appréhender leur histoire en un seul mouvement, par la condamnation à la fois de la collaboration et des excès avérés de la répression. Je regrette ce rendez-vous manqué.

A qui la faute ?

Là encore, Luc Huyse relève clairement la grande responsabilité de l’Etat belge dans cet échec et souligne que ce sont les socialistes, et surtout les socialistes wallons, qui n’ont pas voulu régler ce problème. Ces même socialistes qui ont d’ailleurs éjecté de leur histoire Henri de Man et son appel à collaborer avec l’occupant en 1940 (NDLR : président du Parti ouvrier belge, condamné en 1946 pour collaboration), et cela pour mieux se forger une image de résistants. On a ainsi réécrit les histoires de la collaboration et de la répression à l’aide d’images fortes, dans les deux cas. Images des camps de concentration, images de collaborateurs enfermés au zoo d’Anvers. Autant les horreurs du régime nazi ne peuvent justifier les dérapages de l’appareil judiciaire belge lors de la répression, autant les excès de cette répression ne peuvent justifier rétroactivement la collaboration avec le régime nazi.

Les francophones se seraient-ils confortablement voilés la face ?

Ils ont préféré éjecter leurs collaborateurs de leur mémoire collective tout en créant l’image d’une Flandre entièrement passée à la collaboration avec l’occupant nazi. La Flandre, elle, n’a pas occulté ce passé. Il est frappant de constater l’abondance de la littérature scientifique consacrée au nord du pays à la collaboration et à sa répression, à côté du faible nombre d’études scientifiques francophones. La grande analyse du rexisme, c’est à un historien de l’université d’Oxford, Martin Conway, qu’on la doit ( NDLR : Degrelle. Les années de collaboration , éd. Quorum, 1994).

Peut-on mettre dans la même balance les crimes de la collaboration et les excès de sa répression ?

Cela revient à porter un jugement moral et non un jugement historique ou juridique. Lorsque les fautes commises sont à ce point lourdes, peut-on encore soupeser la gravité des unes par rapport aux autres ? Leo Vindevogel (NDLR : bourgmestre de Renaix sous l’Occupation, condamné à mort et exécuté en 1945) n’a nullement eu droit à un procès équitable. L’Etat belge ne s’est pas comporté en Etat de droit dans la répression de la collaboration, preuve a été suffisamment faite que le système judiciaire a déraillé.

Cette collaboration a-t-elle été une erreur historique ?

Sans les collaborations lors des deux guerres mondiales, le mouvement flamand serait beaucoup plus loin dans sa cause. Il est hors de doute que la collaboration avec le régime nazi a été une erreur. Les leaders du mouvement flamand portent une responsabilité historique à cet égard. Mais la collaboration, tout comme sa répression à la Libération, a été un mouvement de masse, qui avait ses leaders et ses suiveurs. Et je ne vais pas condamner à titre individuel chaque collaborateur, comme le jeune de 17-18 ans parti se battre sur le front de l’Est.

 » Parce qu’ils avaient leurs raisons « , pour reprendre les propos du N-VA Jan Jambon, à peine devenu ministre fédéral en 2014, à l’origine d’un tollé chez les francophones ?

Je n’ai pas compris ce tollé. Ces propos n’avaient aucun sens, ils étaient d’une totale banalité. Tout le monde a ses raisons d’agir ! Vous aussi, vous avez des raisons de venir m’interviewer. En revanche, j’avoue ne pas avoir trouvé de réponse à cette question qui me perturbe beaucoup : comment un intellectuel comme Hendrik Elias (NDLR : successeur en 1942 de Staf De Clercq à la tête du Vlaams Nationaal Verbond, parti collaborationniste) a-t-il pu s’engager aussi loin dans la collaboration et poursuivre cet engagement jusqu’au bout ? Je trouve un tel comportement assez effrayant.

Le mouvement flamand n’a pourtant jamais voulu s’affranchir de ce passé collaborationniste…

C’est dans l’imaginaire francophone que persiste cette vision d’un mouvement flamand qui continuerait d’honorer ses collaborateurs. Or, il a pris ses distances avec ce passé : il y a eu le pardon historique exprimé au pèlerinage de l’Yser en 2000, puis la déclaration de Bart De Wever qui, en 2015, a condamné sans équivoque la collaboration du mouvement flamand. La Flandre a de l’avance sur la Belgique qui, à la veille de 2020, n’a toujours pas abordé la question des excès de la répression. Je voudrais rappeler cette citation tirée de l’ouvrage de Luc Huyse et Steven Dhondt, publié en 1991 :  » Le mouvement socialiste est l’héritier d’hommes politiques qui, d’août 1945 à la fin 1946, ont laissé la répression déraper dans certaines de ses manifestations. Il devrait aujourd’hui avoir la générosité de souscrire à une mesure d’effacement des condamnations.  » Allez un peu expliquer ça au Parti socialiste. Ce parti n’a jamais eu cette  » grandeur  » et ne l’aura jamais.

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