Le choix de Claude Rolin : " A la fin de mon mandat, je m'inscrirai comme demandeur d'emploi. " © THIERRY DU BOIS/REPORTERS

Claude Rolin : « Pourquoi je quitte le CDH »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

C’était une recrue de choix de Benoît Lutgen : l’eurodéputé Claude Rolin, ancien secrétaire général de la CSC, quitte le CDH. En froid avec son parti depuis le renversement de la majorité wallonne, il ne sera pas candidat au scrutin de mai prochain. Il part sans regret, dit-il. Quoique…

Lors de votre dernière interview au Vif/L’Express, à l’automne 2017, vous estimiez que le CDH ne prenait pas la bonne direction en s’orientant vers le centre-droit. Vous aviez suspendu votre participation à toutes les instances. Le retrait de Benoît Lutgen et l’arrivée de Maxime Prévot ne vous feraient-ils pas changer d’avis ?

Ca n’a pas joué dans ma décision, beaucoup plus ancienne, de démissionner. Ma décision de ne pas poursuivre après ce mandat de député européen date du changement d’attelage en Région wallonne. Mon engagement n’aura duré qu’une législature. L’analyse que je posais à ce moment-là reste pertinente : je n’en retire pas une virgule. J’ai dit que je prenais du recul, j’ai pris du recul : je n’ai plus renouvelé mon adhésion. Mais sans la moindre conflictualité.

Qu’avez-vous eu comme contacts avec le CDH et son président, depuis lors ?

J’ai continué à voir une série de personnes, notamment de ministres comme Céline Frémault ou René Collin qui me font des demandes sur une série de dossiers, et des gens que je vois amicalement. Puis, j’ai eu régulièrement des discussions avec Benoît Lutgen pour expliquer mes votes. Mais j’étais clairement dans une position qui disait « c’est terminé ».

Personne ne s’est senti trahi ? Le parti, parce que vous avez profité de lui pour vous faire élire, ou vous, parce que le parti vous a traité comme un jouet électoral ?

Avec les gens avec qui j’ai toujours des relations, ça se passe bien, mais j’imagine quand même que ça ne doit pas les arranger… Moi, quand je me suis engagé, je savais pourquoi je le faisais. Comme syndicaliste, j’étais très impliqué dans la Confédération européenne des syndicats et le Comité économique et social européen. Je considérais que l’Europe était le lieu pour porter des combats en faveur des travailleurs, et j’étais à un âge qui me permettait de faire ça avant la fin de ma vie professionnelle. Je ne suis pas idiot : je sais que ce n’étaient pas les qualités intrinsèques de Claude Rolin qui ont convaincu Benoît Lutgen, mais bien l’image du syndicaliste. Mais je ne pense pas avoir été un jouet parce que j’étais conscient de ce que je faisais. Et le contrat était clair : il portait sur le programme européen du CDH…

Qui a été réalisé ?

Sur le fond, je peux même remercier Benoît Lutgen : je n’ai jamais connu la moindre interférence sur mes positions et sur mes votes. J’ai eu une liberté totale, et mes engagements, ceux du programme européen du CDH, ont été tenus. Ca aurait pu être problématique, parce que je suis le député le plus rebelle de mon groupe parlementaire. Sur le CETA notamment, je sais que des gens du PPE lui ont téléphoné…

Mais ce programme, il était du centre ?

Pour moi, c’était un programme de centre-gauche.

Donc, puisque vos engagements ont été tenus, vous avez fait basculer l’Union européenne vers la gauche ?

Malheureusement, non. Quand je suis arrivé dans le groupe PPE, qui est conservateur, de droite, je savais que ça ne serait pas simple. La première réunion qu’on a tenue était un colloque rassemblant les députés sortants et les entrants du groupe PPE. Lors du débat économique, avec diplomatie, j’ai posé une question. « Ne pensez-vous pas que toutes les dettes n’ont pas la même valeur, entre un investissement et de la consommation courante ? » Derrière moi, j’entends deux voix dire, en allemand, « das ist ein sozialist ! ». Bon… J’ai interpelé le président du groupe, Manfred Weber, par écrit : pour moi, ce qui devrait être fondamental, c’est l’économie sociale de marché, et je cherche désespérément le social. Il m’a invité. Je lui ai proposé de voir Luc Cortebeeck, vice-président de l’Organisation Internationale du Travail. Au bout de cette réunion, on a décidé de retravailler la doctrine sociale du PPE, j’ai été invité au Bureau, et ils en ont fait un « social paper », qui va très loin pour un parti comme le PPE.

Mais il reste des gens comme Viktor Orban…

C’est vraiment l’honneur perdu de la démocratie chrétienne. C’est inacceptable.

Ca, c’est du travail partisan. Et comme législateur ?

Au Parlement européen, on doit se fixer des objectifs limités. Je me suis concentré sur la commission Emploi-Affaires sociales, dont je suis vice-président. Je suis fier de ce qu’on a fait sur le dumping social, sur la directive « travailleurs détachés », la directive « transport ». On a su faire basculer des majorités dans cette commission Affaires sociales. Mais le plus important, pour moi, c’est le dernier, qui a pris près de deux ans : la révision de la directive protégeant les travailleurs salariés des produits cancérigènes et mutagènes. Dit comme ça, ce n’est pas sexy. Mais ce truc-là, statistiquement, il va sauver cent mille vies dans les cinquante ans qui viennent. J’ai su imposer à la Commission et au Conseil que l’on inclue des dispositions protégeant les travailleurs des émanations de moteurs diesel. Imaginez ce que ça veut dire pour certains Allemands… Il y a des gens qui m’ont pris pour un fou. Mais, et c’est l’avantage d’avoir un carnet d’adresses, j’ai pu profiter du soutien de mes copains du DGB, la confédération des syndicats allemands.

C’est un paradoxe de s’en aller quand on est si fier de son bilan…

Je vais avoir 62 ans, j’ai besoin de plus de liberté. Je ne suis plus prêt à accepter toute une série de contraintes. Le monde politique fonctionne d’une façon que je n’apprécie pas : les compromissions, les stratégies. Moi, mon monde, c’est le monde du « nous ». Je n’ai jamais pensé en « je ». Un dirigeant syndical porte une parole, celle de ceux qu’il représente. Un politique, lui, fonctionne en « je », sur un marché et sur des temps toujours plus courts. Je respecte ça, mais c’est pas mon truc. Il n’y a pas qu’un lieu pour faire bouger les choses en Europe. Je l’ai fait au niveau syndical, je suis en train de le faire au niveau politique, et je vais continuer à le faire demain.

Comment ?

Je ne suis certainement pas dans une logique de rejet du politique. Les mouvements sociaux, les syndicats, les mutualités, les gilets jaunes, ces jeunes dans la rue sur le climat… C’est là que ça bouge ! Le cri de ces mouvements, c’est quoi ? « On n’est pas respecté, on n’est pas pris en compte, on est méprisé » On est sur des lames de fond, et je peux aider à coconstruire des choses, là. Je me dis qu’au travers d’une pensée qui vient du monde démocrate-chrétien, du personnalisme d’Emmanuel Mounier, mais aussi d’une pensée qui vient du marxisme critique par rapport au totalitarisme, je fais le pari qu’il y a un pont à dresser.

Comme pensionné ?

Ça, je ne le serai pas tout de suite. A la fin de mon mandat, je m’inscrirai comme demandeur d’emploi. Je ne me plains pas, c’est un choix que je fais. Je vais tenter de m’offrir, bénévolement ou pas, sans contrainte, pour modestement faire profiter de mon expérience ceux qui le désireraient. J’ai déjà commencé, j’ai une liste de débats, de rencontres, de colloques.

Et si Maxime Prévot demande à bénéficier de cette expérience ?

S’il me demande demain de venir lui expliquer ce qu’il faut faire au niveau européen au niveau social, aucun problème. Mais : totale liberté. Et je donnerais la même réponse aux autres partis démocratiques susceptibles d’entendre mes idées. Je lisais récemment Didier Gosuin dire qu’il allait lancer un groupe, baptisé D21. Il peut m’appeler demain, aucun problème !

Vous allez passer votre vie à courir les groupes de réflexion ?

J’ai la conviction qu’aujourd’hui les progressistes sont en manque de référentiel politique. Démocrates-chrétiens, socialistes, écologistes : on a plein de choses en commun ! Il y a un an et demi, j’ai pris une série de contacts autour de cette idée. Dans ces mondes-là, j’entends quasi le même désespoir, la même impuissance. On a besoin de multiplier les lieux où les gens investis dans le social, dans le syndical, dans le politique, dans l’académique, réfléchissent à ce qu’on peut faire dans cette société, pour qu’elle aille dans une autre direction.

Il y aura D21, il y a E-Change de Jean-Michel Javaux, il y a Tout Autre Chose. Ça se multiplie déjà…

Tout à fait, et il est essentiel de les multiplier. Il faut refaire de l’éducation permanente. Moi, si j’ai une dette à payer dans cette société, c’est à l’éducation permanente. Comme ouvrier, comme chômeur, comme exclu de l’école, si je n’avais pas eu l’éducation permanente, je n’y serais pas arrivé. Dans un monde où le politique est de plus en plus lié à des enjeux de court terme, il faut autre chose, à côté de ça.

Concrètement, qu’allez-vous faire ? Lancer un groupe, une revue, un parti ?

J’ai mon blog, lié à mon activité de député. Je vais l’ouvrir, collaborer avec d’autres. Je quitte ce mandat, sans forfanterie aucune, je me dis « mission accomplie ». Je pars sans faire couler la moindre larme, sans nostalgie aucune, et avec l’envie folle de repartir dans autre chose.

Vous dites avoir fait bouger les choses. Mais si un eurodéputé PPE peut rendre l’Europe plus sociale, c’est que finalement elle ne fonctionne pas si mal, non ?

C’est une question que je me pose au quotidien. Nous n’aurons pas de solution à toute une série de problèmes si nous ne les trouvons pas au niveau européen. Les nations ne sont plus des espaces pertinents pour toute une série d’enjeux. L’Union européenne est l’espace dans le monde où il y a le plus de redistribution et de régulation. Ces outils, ça fait partie du bouquin que je suis en train d’écrire, partent d’une idée contradictoire : Monnet et les fondateurs pensaient que si on mettait en commun tous les outils économiques, tout le reste suivrait. Or, tout le reste n’a pas suivi.

Mais Claude Rolin dit « mission accomplie » quand même…

Oui, parce qu’avec d’autres j’ai pu intervenir sur toute une série de problèmes sociaux. Mais faire du social, si tu n’as pas de contrôle sur l’économique et le budgétaire, ce n’est pas sérieux… Donc, oui, on ouvre des espaces, mais si on ne modifie pas les politiques économiques ou les politiques budgétaires, on va dans le mur.

Et le Parlement européen n’est pas un lieu pour l’éviter ?

Il est un des lieux où l’on peut combattre ce dogme néolibéral, mais moi j’estime que maintenant j’ai fait mon job cinq ans dans un espace plutôt compliqué, et j’ai le sentiment que c’est ailleurs que je peux être plus efficace.

Qu’est-ce que vous auriez voulu faire mais que vous n’avez pas pu faire ?

La liste est immense. Mais dans ce que j’ai tenté, tout a marché, simplement parce que je n’ai tenté que des choses qui étaient possibles. Mais j’aurais voulu avoir plus de voix sur les enjeux économiques. J’aurais voulu être dans un collectif qui pousse plus sur ces éléments. Sur une série de positions de mon groupe politique, je reste catastrophé…

Donc vous vous êtes tu et vous avez subi ?

Sur une série de choses, effectivement, et c’est quelque chose que je ne veux plus faire. Il y a des copains qui m’ont dit à plusieurs reprises : « Tire-toi !Sors vite de là ! » Mais je voulais gagner sur mes dossiers, et entre l’inconfort des concessions et la santé des travailleurs, je n’hésite pas une seconde.

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