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Claire Hugon (Ecolo) sur la loi Pandémie: « J’entends et je comprends les critiques »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La députée fédérale souligne que le texte, soumis au vote de la Chambre, est « plus protecteur » des libertés fondamentales. Son parti le soutiendra « sans se pincer le nez », mais réclame une évaluation, trois mois après la fin de l’épidémie. Elle aurait espéré un « vrai virage » dans la gestion de la crise sanitaire.

Claire Hugon, députée fédérale Ecolo, était la suppléante de Zakia Khattabi: quand elle est devenue ministre, elle a pris sa place sur les bancs de la Chambre. C’était en octobre dernier, alors que débutait la deuxième vague de l’épidémie de Covid. Depuis, elle s’est fortement impliquée dans les travaux visant à élaborer une « loi Pandémie » pour donner un cadre légal au restrictions des libertés fondamentales, indispensables pour protéger des vies, mais décidées sur une base juridique trop fragile.

Alors que le projet de loi définitif arrive en séance plénière de la Chambre, ce jeudi 20 mai, elle s’explique longuement au Vif.

Le vote de cette « loi Pandémie » interviendra-t-il en séance plénière ce jeudi?

Cela devrait être le cas, mais il ne vous a pas échappé que l’opposition, notamment la N-VA, a annoncé qu’elle allait avoir recours à toutes les manoeuvres dilatoires possibles et imaginables pour retarder le vote du texte. On s’attend à ce qu’il y ait des demandes de renvoi au Conseil d’Etat, pour lesquels il faut le soutien de cinquante députés, ou à des amendements. C’est une manoeuvre de « flibuste » qui a déjà été utilisée par le passé: on sait bien que le dossier IVG n’a jamais pu aboutir avant la formation du gouvernement actuel parce qu’il y a eu sans cesse recours à des telles pratiques.

Il y a une urgence particulière, en raison des décisions de justice qui pourrait rendre les mesures sanitaires illégales: la Cour d’appel doit se prononcer le 7 juin?

Oui, bien sûr, le trajet du texte s’est vu en partie lié à cet agenda judiciaire, mais nous avions commencé à travailler dessus avant ce premier jugement, qui est venu renforcer la nécessité de ce projet. J’entends dire que l’on aurait oeuvré dans la précipitation, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça: nous avons commencé à plancher dessus en février, avec des auditions et un travail sérieux en commission parlementaire. A la longue, on se rend compte que ce sont toujours les mêmes arguments qui reviennent. J’ai l’impression que l’on est mûr pour passer au vote.

Ce texte est né suite à de nombreuses expressions de la société civile pour dénoncer le caractère illégal des mesures: cela vous a incité à prendre cette initiative?

Il fallait que quelque chose soit fait, bien sûr. Au début, dans les premiers mois de la crise, c’était mois pregnant: tout le monde était pris de court, il y avait une urgence et c’était compréhensible, pragmatiquement, que le gouvernement utilise les outils à sa disposition pour agir. Les mois passant et les mesures s’installant, c’est devenu de plus en plus difficile à tenir. Je suis arrivée au parlement le 1er octobre, alors que la deuxième vague commençait et que de nouvelles mesures restrictives étaient envisagées, nous avons rapidement pris à bras-le-corps cette discussion qui vivait à l’extérieur, notamment avec des appels de la Ligue des droits humains. Nous avons été parmi les premiers de la majorité à se saisir du sujet.

Cette crise a touché une tension fondamentale dans la société entre la nécessaire protection de la santé et le droit aux libertés fondamentales: pour un parti comme Ecolo, ce devait être invivable, non?

D’un point de vue légal et juridique, nous pensions en effet que ce qui se passait n’allait pas. Cela rendait les choses fragiles, cela ouvrait la porte à des suspicions. Quand les tribunaux peuvent remettre en cause des décisions, cela a forcément un impact sur l’adhésion de la population. Nous souhaitions aussi que la prise de décision soit plus débattue, plus transparente, parce qu’il était quand même ahurissant qu’une seule ministre soit politiquement responsable de mesures qui ont un tel impact sur la vie des gens, pendant des mois et des mois. Il était temps de passer à une autre approche des choses.

Les différences de sensibilité au sein de la majorité fédérale ont-elles joué aussi?

Tous les partis n’ont pas les mêmes ambitions en terme de renouveau démocratique, si je peux dire les choses comme ça. L’attention aux droits fondamentaux, c’est vraiment un fondement de notre projet politique. Il est assez normal que nous ayons été parmi les forces motrices réclamant que ce soit mieux encadré. Il ne s’agissait évidemment pas de dire que ces mesures étaient inutiles ou qu’elles ne devaient pas être prises, mais bien de revoir la façon dont les décisions étaient prises. Depuis le mois de mars, le parlement avait été mis de côté, il n’avait même pas approuvé le fait que la situation nécessitait de telles mesures prises par le gouvernement. C’était devenu intenable. Avec ce texte, on laisse quand même un place beaucoup plus grande aux interventions du parlement. Les arrêtes ministériels, nous dit-on, étaient discutés en Conseil des ministres, très bien, mais alors pourquoi ne pas en faire des arrêtés royaux, portés par le gouvernement dans son ensemble, surtout quand il s’agit d’atteintes aussi radicales aux libertés des gens?

Le MR défend lui aussi les libertés: il était davantage réticent à l’adoption d’une telle « loi Pandémie », qui fige dans un texte la possibilité de limiter les libertés fondamentales.

Je comprends cette critique, d’autant plus que l’on prend ce texte alors que la crise n’est pas terminée. Il peut évidemment exister une crainte que l’on fige ce qui a été décidé lors de la gestion actuelle, sans prendre le recul nécessaire pour en faire le bilan. Tout d’abord, selon nous, ce texte apporte des balises qui ne sont pas là pour l’instant: le statu quo signifierait qu’une ministre décide tout sans jamais se référer au parlement. Cette loi prévoit une plus grande transparence, des experts plus diversifiés, un rapportage régulier du gouvernement vers le parlement, notamment au niveau des droits fondamentaux…

Cela permettra un meilleur contrôle parlementaire?

Effectivement, il y a des contraintes qui seront là quand cette loi sera en vigueur. Mais je le répète, je comprends que l’on considère cette loi trop inspirée de la situation actuelle. Je ne dis pas le contraire. C’est pour cela que nous, écologistes, comptons bien avoir recours à une disposition inscrite dans le projet de loi prévoyant que trois mois après la fin de la pandémie, le gouvernement devra faire un rapport d’évaluation de son action, notamment au regard des droits fondamentaux et de l’impact sur les personnes les plus vulnérables. A ce moment-là; il est expressément prévu que la loi pourra être modifiée, complétée, voire abrogée. C’était important de ne pas traîner d’avoir un cadre adapté, tout en se donnant la possibilité, avec le recul, de faire le bilan de ce que l’on a fait et de voir comment on peut améliorer le choses.

Pour vous, cela reste une loi provisoire?

Je ne dirais pas « provisoire », parce qu’elle a quand même été prévue pour pouvoir régler l’entrée en situation d’urgence épidémique. Mais pour nous, il y a une clause de rendez-vous dont nous voulons nous saisir pour faire le bilan.

Y’a-t-il des choses qui vous inquiètent? Dans un entretien au Vif, le constitutionnaliste Marc Verdussen évoquait des risques au cas où une majorité populiste prenait le pouvoir en Belgique…

Je comprends les réserves qui peuvent subister, nous en avons nous-mêmes aussi. Ce texte n’est pas la loi idéale des écologistes, mais c’est bien normal dans une coalition. Mais même s’il reste des lacunes, ce projet est bien meilleur que la situation actuelle. De toute façon, c’est plus protecteur, suffisamment pour que l’on puisse apporter notre soutien sans se pincer le nez.

Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas des regrets. Personnellement, j’aurais espéré que la loi soit un peu moins « classique », qu’elle soit moins similaire à l’approche adoptée: cela aurait pu être une loi envisageant un vrai tournant dans la façon dont on apporte une réponse à la crise. L’approche pourrait moins répressive: assortir le non-respect des mesures sanitaires de sanctions pénales qui peuvent être assez lourdes, cela me pose vraiment question parce que cela ne suscite pas la confiance. Nous avons toutefois obtenu des avancées: les peines minimales sont vraiment plus basses qu’actuellement. On aurait pu espérer une approche plus novatrice, qui mise sur des principes de terrain comme la santé communautaire. Le choix a été fait de restreindre le champ de cette loi aux mesures de police administratives.

Mais cette loi ne nous dispense pas de faire d’autres choses, tant pour cette fois-ci que pour la prochaine pandémie. On pourrait agir sur les déterminants de la santé avec davantage de prévention pour éviter que cela ne se reproduire, miser davantage sur la participation citoyenne dans le processus de décision…

Qu’avez-vous envie de dire aux gens qui sont las de ces restrictions des libertés fondamentales?

Ce texte-ci nous met en ordre légalement et améliore la prise en considération d’autres préoccupations que les seuls intérêts sanitaires. Des experts en matière de santé mentale ou de droits fondamentaux seront entendus. On demande expressément que l’impact des mesures sur les groupes les plus vulnérables soit limité. Cela réflète des expériences vécues sur le terrain. Je comprends les réserves affirmant que cette loi vient autoriser ce qui était illégal. Je reçois énormément de courriers de citoyens qui vont dans ce sens-là. Dans une certaine mesure, ce sont des gens estimant qu’il ne fallait pas du tout de mesures sanitaires, ils ne retrouveront pas leur compte dans ce texte. Ce ne sont pas les écologistes qui diront qu’il ne fallait pas de mesures, mais elles doivent être suffisamment pesées, elle doivent durer le temps strictement nécessaire et il est essentiel que l’on ne s’y habitue pas. Ce texte, en réalité, trace une ligne entre ce qui est normal et ce qui est exceptionnel.

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