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Christian Mormont (ULiège): l’aliénation parentale, « un outil de guerre idéologique et affective »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’accusation d’aliénation parentale falsifie le débat et n’aide en rien à dénouer les situations conflictuelles, estime Christian Mormont, professeur à l’ULiège. A ses yeux, l’avis des experts ne devrait pas peser aussi lourd et devrait pouvoir être soumis à la critique.

Que vous inspire le recours à un syndrome comme celui de l’aliénation parentale?

Les positions scientifiques sont variables sur ce sujet et je crois qu’il y a une espèce d’ intellectualisation qui traduit la réalité des personnes en concepts abstraits, que l’on peut étiqueter et présenter comme des syndromes. Ceux-ci tendent à être pris pour la réalité, alors qu’ils n’en sont que l’abstraction et l’organisation à des fins de catégorisation. Ce qui importe, en fait, ce n’est pas que ce syndrome figure ou non dans le manuel diagnostique des troubles mentaux (DSM, en anglais): c’est que la réalité humaine qu’il dénote soit identifiée et prise en compte. Mais on ne peut ignorer – et regretter – que l’étiquette elle-même devient un outil de guerre idéologique, affective et relationnelle.

Je n’ai plus aucune illusion sur la préoccupation fondamentale des institutions à l’égard du bien-être individuel.

Pour autant, avez-vous déjà croisé des cas d’aliénation parentale?

Ce qu’on décrit, ça existe, incontestablement. C’est clair qu’il y a des enfants qui sont déraisonnablement hostiles à un des parents, souvent sous l’influence de l’autre. Mais parfois, ça vient de l’enfant lui-même, qui vit avec un parent qui souffre de la séparation ou de l’attitude réelle ou imaginée de l’autre. Alors l’enfant prend fait et cause sans nuances pour ce parent… Mais si je suis face à une famille dans laquelle les rapports entre les parents et l’enfant sont mauvais et destructeurs, que ça s’appelle d’une manière ou d’une autre, ça m’est indifférent, je vous l’avoue.

Ce symptôme est-il de plus en plus souvent évoqué?

Avant, on disait que tous les parents à problèmes étaient des pervers narcissiques ; maintenant, ils sont tous dans l’aliénation parentale. Ce sont des mots qui ont un impact redoutable. Je veux bien croire que les SAJ (services d’aide à la jeunesse) et les SPJ (services de protection de la jeunesse) soient vecteurs de ces concepts parce que ce sont des outils qui facilitent le travail. Mais ils font des dégâts. Je n’ai plus aucune illusion sur la préoccupation fondamentale des institutions à l’égard du bien-être individuel. Les SAJ et SPJ prennent parfois des décisions absurdes et en fonction d’éléments qui ne devraient pas être déterminants. J’ai assisté à des mesures de placement complètement aberrantes. Force est de constater que la notion du respect de la personne est assez éloignée des préoccupations de la justice… Si la justice commence à utiliser des mots comme « aliénation parentale », on est pris dans des espèces de jeux verbaux qui déteignent sur la réalité et la remplacent et on n’essaie plus de comprendre ce qui se passe, ce qui est fondé ou pas fondé. J’ai parfois refusé de m’impliquer dans des dossiers de garde parentale parce que je ne voyais qu’une chose à dire aux parents: « Voulez-vous élever vos enfants – vous dites que oui – avec affection et amour, pour leur bien? Quoi que vous pensiez de votre conjoint, le mieux, ce n’est pas d’en priver votre enfant, ni que du mal se dise dans le couple mais que votre enfant ait la meilleure image possible et la meilleure expérience possible de ses parents. Vous vous faites des procès mutuels: pensez-vous que c’est ce qui fait du bien à votre enfant? Non, évidemment. Alors, à quoi sert-il de discuter plus longtemps? » Voilà ce que je leur dirais. L’étiquette installe un système de débat qui est falsifié. Je n’ai rien contre l’expression « aliénation parentale », mais une fois qu’elle est lâchée, c’est fini pour les personnes en cause et pour les institutions: les positions sont fixées. Dans ce contexte, il semble qu’en plus, on accorde parfois trop d’importance à l’avis des experts, sans avoir vérifié la valeur réelle, technique et scientifique, de leurs rapports. Or, certains experts n’ont pas toujours la neutralité, l’objectivité voire la compétence scientifique indispensables, il faut bien l’avouer.

Les décisions qui sont finalement prises, sur foi de ces expertises, ne sont donc pas toujours les plus judicieuses?

C’est ma conviction. Je suis parfois catastrophé de lire certaines expertises qui n’ont aucune valeur. Or, qu’une expertise soit annulée est très rare. On peut discuter du contenu des expertises par rapport à la réalité mais ce qui est écrit peut être fautif ou stupide et il est professionnellement possible de dire si ça tient la route d’un point de vue technique ou pas. Je peux vous dire qu’il y a de très mauvais experts. Certains utilisent des textes préimprimés et les complètent à la va-vite, en laissant, par exemple, le texte au masculin, alors qu’on parle d’une fille. Ça montre qu’il peut advenir que quelque chose n’aille pas dans le processus d’analyse et d’évaluation de la situation. Et il arrive que, pour on ne sait quelles raisons, sinon la facilité, l’avis inadéquat de l’expert soit suivi. C’est très préoccupant.

Etre expert ne doit pas être simple…

Bien sûr, parce qu’on n’a pas toujours toutes les informations, ou elles sont biaisées par celui qui les rapporte et qui est partie prenante. Penser qu’on a des moyens sérieux et radicaux pour comprendre et juger parfaitement, c’est assez illusoire. On peut juste essayer d’éclairer différents aspects du problème. Par ailleurs, la formation et la réflexion continues des experts ne sont pas toujours à l’oeuvre. Le fait d’être passé par l’université n’est pas une garantie de savoir-faire. Les méthodes, les connaissances, les techniques, surtout en sciences humaines, évoluent et l’expert doit se tenir au courant. J’ai demandé qu’on ait le droit d’analyser et critiquer les expertises et que le juge doive en tenir compte. Or, on ne le fait pas ou guère. Même mieux formés, les experts auront toujours des faiblesses, occasionnelles ou systématiques. Il faudrait une instance supérieure qui ait pour mission de juger la qualité de leur travail. Je constate que les experts ont un rôle déterminant, comme les délégués du SPJ, et une position d’autorité. Pourtant, ils sont intouchables. Tant qu’on ne met pas cette autorité en question, on aura toujours les mêmes problèmes. Si, dans un dossier, un expert ou un délégué du SPJ a manifestement une idée fixe ou un a priori positif ou négatif, c’est important de pouvoir analyser son travail. On ne peut pas présumer de la qualité de l’expertise, quelle que soit la qualité de l’expert. Pareil pour les délégués du SPJ, qui sont tout-puissants. Il y a trop peu d’inspecteurs – trois – pour couvrir les pratiques de tous les délégués de la Fédération Wallonie- Bruxelles. Et le médiateur n’a pas les moyens de descendre dans les services pour tout éplucher. Il y a quelque chose de perverti d’emblée dans les procédures. Ce système se protège.

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