Charles Michel © Belga

Charles Michel sur l’accord avec la Turquie: l’Europe a commis une grosse erreur

Peter Casteels
Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Un an après les attentats, le premier ministre Charles Michel n’est guère rassurant. « Les politiques qui ne veulent pas voir les problèmes sont dangereux », déclare-t-il à nos confrères de Knack.

Entourée de paras et de personnel de sécurité, la résidence de fonction de Charles Michel (MR) a l’air d’une forteresse. Quelques heures avant l’interview, il a appris qu’il valait mieux maintenir le niveau d’alerte 3. Aussi Charles Michel est-il tout sauf un homme détendu. Outre la situation en Belgique, les relations avec la Turquie l’inquiètent. « La Turquie mène une politique de confrontation avec l’Europe », dit-il. « Le président Recep Tayyip Erdogan se détourne de nos valeurs européennes. Les déclarations qu’il a faites ces derniers jours sont inacceptables. Il est inadmissible de comparer les Pays-Bas et l’Allemagne aux nazis. Nous devons réagir et j’estime que nous devons geler les négociations d’entrée dans l’Union européenne.

Cette mesure l’impressionnera-t-elle? Suite à l’accord sur les réfugiés, nous sommes pieds et poings liés à Erdogan.

Charles Michel: C’est ce qui est si frustrant. Il y a deux ans, l’Europe a commis une grosse erreur lors des négociations sur cet accord. Nous avons accepté d’entamer les négociations sur le thème – la crise des réfugiés -où nous sommes les plus faibles. Sur le plan économique, ce pays dépend lourdement de nous, mais nous n’avons pas joué cette carte.

Personne n’envisage de remettre cet accord en question. Nous sommes surtout contents qu’Erdogan résolve les problèmes.

Ce n’est pas mon rêve de voir les frontières extérieures de l’Europe déléguées à Erdogan. À l’avenir, nous devons faire en sorte de protéger nos propres frontières, et prendre en charge nous-mêmes la sécurité européenne.

Les conséquences des attentats à Zaventem et Maelbeek sont toujours tangibles, et le niveau de menace reste à trois. La Belgique est-elle vraiment plus sûre qu’il y un an ?

L’architecture de sécurité s’est considérablement améliorée, mais le risque zéro n’existe pas. Ce matin, j’ai encore assisté à une réunion avec les chefs des services de sécurité. La situation reste délicate. L’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) maintient le niveau de menace à trois. N’oublions pas que c’est une situation exceptionnelle.

Catherine De Bolle, la commissaire générale de la Police fédérale a tiré la sonnette d’alarme. On se concentre tellement sur le terrorisme, qu’on accorde trop peu d’attention à la criminalité « normale ». Les autres services de police sont en sous-effectifs.

Madame De Bolle a tout à fait raison. Je suis d’accord avec elle.

Donc vous allez lui donner plus d’argent?

Il faudra voir ce qui est possible au sein du budget. Mais n’oubliez pas que pendant ce mandat les services de sécurité ont déjà eu 600 millions d’euros de plus. Aucun autre service de ce pays ne peut en dire autant. Ce ne sera jamais assez. Même si nous investissons des centaines de millions en plus en sécurité, il reste toujours un risque. Nous sommes confrontés à des attaques kamikazes. C’est inédit, et la prévention est très difficile.

Une économie qui pourrait dégager des nouveaux moyens: ne laissez pas les paras dans la rue. Selon certaines estimations, ils coûtent 1,5 million d’euros par mois.

C’est ce que je voudrais faire, mais tant que le niveau de menace est ce qu’il est, les paras sont nécessaires.

L’aéroport de Zaventem était gardé par des paras. Ils n’ont pas pu éviter l’attentat.

Oui, mais cela ne signifie pas que leur présence était superflue. (silence) Je ne vais pas dévoiler de détails sur une enquête qui est toujours en cours, mais il y a de sérieux indices que les terroristes ont tenu compte de la présence des paras. Sans eux, les conséquences de cet attentat auraient probablement été encore plus effroyables.

Le talon d’Achille de nos services de sécurité a surtout été l’échange d’informations déjà disponibles.

Ce problème se pose surtout au niveau international. Traditionnellement, les échanges d’informations ont lieu bilatéralement. Un service de sécurité donnait des informations – complètes ou non – à celui d’un autre pays, ou non. C’était peu systématique, et il n’y avait pas d’échange multilatéral automatique. Les échanges en Belgique non plus n’étaient pas optimaux.

Pouvez-vous citer un exemple?

Des agents du corps de police malinois disposaient peut-être d’informations cruciales sur le refuge de Salah Abdeslam, le Molenbeekois impliqué dans les attentats de Paris. Ce n’est qu’après les attentats que ces informations ont atteint Bruxelles. Vous vous souvenez sûrement de l’affaire Dutroux, quand les informations importantes n’étaient pas transférées à cause d’une guerre entre les différents services. Les erreurs commises à Malines sont dues à autre chose. Pour autant que je sache, il ne s’agissait pas de malveillance ou de mauvaises intentions, tout au plus d’une organisation défaillante.

Il s’agit donc d’incompétence?

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Nos services de sécurité se composent de personnes. Et après coup, c’est toujours facile de dire : « Il aurait fallu s’y prendre autrement. » Je travaille avec les responsables de la sécurité depuis deux ans et j’ai constaté qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour éviter les accidents.

Peu après les attentats, Jambon a prétendu qu’on avait dansé dans certains quartiers bruxellois. Cette affirmation n’a jamais été prouvée.

Au sein du Conseil de sécurité, nous avons Jan Jambon, mais moi aussi, été informés de manifestations de soutien de musulmans aux terroristes. Cela ne vous choque pas ?

S’agissait-il d’un nombre « significatif », comme l’a déclaré le ministre ?

Significatif peut vouloir dire à la fois « beaucoup » et « observable ». C’est une discussion sémantique absurde.

Était-ce une bonne idée de montrer du doigt un groupe de population déjà dans le collimateur?

Pourquoi Jan Jambon devrait-il taire ces faits? Taire la vérité peut être encore plus dangereux.

Beaucoup de moyens ont été investis dans nos services de sécurité. Ne faut-il pas investir au moins autant dans le développement des quartiers défavorisés ?

Je conteste que la pauvreté et le chômage soient les causes du terrorisme. Nous ne savons toujours pas ce qui fait que quelqu’un devient jihadiste. Ils suivent tous un parcours très différent. Il y en a qui étaient d’abord dans la petite criminalité, mais il y en a aussi qui ont fait des études supérieures. Il devient très difficile de trouver la bonne approche contre la radicalisation. Je suis conscient que le problème de radicalisme n’a pas disparu après les attentats. C’est là aussi l’intention des terroristes. D’un côté, ils excitent des musulmans contre ceux qui soi-disant menacent l’islam, et de l’autre, ils dressent d’autres gens contre les musulmans.

Alors, on dirait que les terroristes sont en train de gagner.

C’est notre devoir à tous de l’éviter. Après les attentats, j’ai cherché le ton qui ne me faisait pas tomber dans le piège des terroristes. Je ne ferai jamais de déclarations généralisées sur tous les musulmans.

Après les attentats à Paris en novembre 2015, vous êtes même allé plus loin. « L’islam est une religion pacifique de compassion et de tolérance. L’islam n’a rien à voir avec le terrorisme », avez-vous dit. Répéteriez-vous ces mots aujourd’hui ?

Ces moments sont importants pour un premier ministre. Et évidemment que je défends toujours ces mots aujourd’hui. En Europe nous avons une longue histoire de religions, et aujourd’hui, nous avons atteint un bon équilibre. La loi de Dieu ne sera jamais au-dessus des lois du parlement, mais les croyants et le non-croyants doivent se respecter. C’est nécessaire pour pouvoir vivre ensemble en harmonie. Quelques jours après les attentats de Bruxelles, j’ai organisé une réunion avec les représentants de tous les cultes de notre pays. Nous avons témoigné notre soutien aux victimes, et ils se sont rangés derrière ce modèle démocratique. C’était un signal important.

Beaucoup de Belges trouvent encore toujours que l’islam est une religion qui fait peur. Les comprenez-vous ?

La peur n’est jamais la solution, mais je ne suis pas sourd à ces craintes. Certainement à un moment où des terroristes commettent des attentats en Europe et où la crise des réfugiés démontre que nos frontières sont très mal surveillées, ce dont abuse l’EI d’ailleurs, je comprends cette inquiétude et je ne suis pas naïf. Nous devons rester attentifs. Nous ne devons jamais accepter de compromis au sujet de valeurs fondamentales de notre démocratie telles que l’égalité homme femme et la séparation de l’Église et de l’État.

Défendons-nous suffisamment les valeurs occidentales?

Je les ai toujours défendues, et je n’ai jamais été ambigu sur ce point. Même quand certains intellectuels et journalistes ont cru clôturer le débat en traitant quelqu’un de raciste pour la plus petite remarque, j’ai toujours nommé les problèmes. Mus par des raisons électorales, les politiques d’autres partis ne l’ont pas toujours fait.

Depuis quelque temps, le romantisme européen des débuts a disparu. En témoignent les plaidoyers en faveur d’une Europe à deux vitesses.

Je plaide depuis longtemps pour une Europe à plusieurs vitesses. Il est temps de l’appliquer et de mettre fin à l’immobilisme. Prenez le marché de l’énergie par exemple. C’est un secteur important, mais les différentes régulations dans tous les pays européens freinent ces investissements. Cela nous fait perdre des jobs. C’est un problème que nous devons résoudre au niveau européen, mais il est impossible de conclure un accord avec la Pologne. Eh bien, faisons-le sans eux. C’est la seule façon de donner un nouvel élan à l’Europe. Les Polonais feront toujours partie de l’Europe et pourront participer. Mais s’ils ne veulent pas entreprendre d’autres démarches, ce sera sans eux. La zone euro est l’exemple d’un groupe de pays qui coopèrent plus étroitement.

Dans la zone euro aussi, il y a des politiques et des partis qui entravent l’intégration. La pourriture n’a-t-elle pas atteint le coeur de l’Europe ?

Vous avez raison qu’il y a des sentiments anti-européens et populistes dans des pays comme la France. Je ne peux pas les prédire, mais les résultats des élections françaises auront un impact sur le cap de l’Europe. Tous les démocrates doivent les respecter, tout comme le Brexit est un choix légitime de la population britannique.

Qu’allez-vous dire à Trump quand il viendra en Belgique au mois de mai?

Je voudrais lui parler de certains différends. Le protectionnisme qu’il défend est une voie sans issue. Il n’entraîne que pauvreté et compromet la prospérité, l’histoire l’a prouvé plusieurs fois. Mais je veux aussi lui parler de sécurité. L’époque à laquelle les États-Unis payaient la facture de la sécurité européenne est révolue, nous allons devoir nous y adapter.

Pour finir: le président de la N-VA Bart De Wever est toujours surnommé le premier ministre de l’ombre de ce pays. Vous n’êtes pas d’accord avec cela. Mais ce gouvernement a-t-il déjà pris des décisions avec lesquelles De Wever n’était pas d’accord ?

Quelle question absurde. Ce gouvernement est une coalition de quatre partis qui prennent toutes les décisions ensemble. Cependant, la N-VA a été particulièrement courageuse de laisser tomber toute réforme institutionnelle. Il n’arrive pas souvent que le plus grand parti du pays renonce à son thème principal. Les journalistes aiment bien parler de politique politicienne, mais je m’en moque depuis longtemps. Je continue à voir où va cette équipe. Au cours des vingt dernières années, quel gouvernement a pris autant de décisions en aussi peu de temps ? Et avec autant de résistance ? Ce gouvernement a créé 100 000 emplois, et notre compétitivité s’est considérablement améliorée. Après deux ans, je ne suis pas triomphaliste, mais les résultats peuvent être vus.

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