Carte blanche

Centres d’archives: « Vous avez dit bonne gouvernance » ?

Le bras de fer entre les ministres Greoli et Flahaut en Fédération Wallonie-Bruxelles met les centres d’archives privées en grandes difficultés.

Bientôt un mois que les centres d’archives privées reconnus par la FWB dénoncent le fait qu’ils n’ont toujours pas reçu la première tranche de leur subvention de fonctionnement 2018, à savoir 85% de celle-ci. En dépit des interpellations parlementaires, auprès de la ministre de la Culture, Alda Greoli, puis du ministre du Budget, André Flahaut, le blocage est à ce jour toujours complet.

À la première interpellation des centres d’archives privées, la ministre de tutelle s’est montrée rassurante : « les arrêtés de subventions 2018 des centres d’archives privées ont été transmis en février dernier ». Elle renvoie la responsabilité à son collègue, ministre du Budget, auquel il appartient de donner l’accord nécessaire et préalable à toute liquidation de subvention. Interpellé à son tour, André Flahaut répond : « La liquidation des subsides aux centres d’archives privées est en attente de vérifications administratives depuis plusieurs mois au sein de l’administration de la Culture ». Comment démêler le vrai du faux ?

Monsieur Flahaut signale qu’il a demandé des éclaircissements à l’administration, mais sans préciser si la question porte sur l’ensemble des centres d’archives privées reconnus. Pas plus qu’il n’explique pourquoi tous les dossiers sont bloqués et pas seulement ceux qui posent problème. Quels sont les motifs qui justifient de ne pas honorer l’engagement de la Communauté française vis-à-vis des centres d’archives avec lesquels elle est liée par des conventions pluriannuelles et dont l’instance d’avis a reconnu le bon fonctionnement ? Par ailleurs, les centres d’archives privées ne s’expliquent pas pourquoi, de février à septembre, personne au sein du Cabinet Greoli n’a pensé à les informer du problème qui se posait. En bref, qu’est-ce qui se joue derrière ce blocage ?

Centres d’archives: vous avez dit bonne gouvernance?

C’est un secret de polichinelle. La lecture des bilans publics fait apparaître qu’un dossier de reconnaissance est en balance : celui du centre d’archives du Parti socialiste, l’Institut Émile Vandervelde. Interpellé le 26 septembre en séance parlementaire, le ministre du Budget donne un début d’explication. Il constate deux anomalies dans les dossiers transmis par la ministre Greoli au mois de février : il manquerait la convention du centre Jean Gol (centre d’archives du MR) et la subvention de l’IEV serait en sursis en attendant la mise en conformité de ce centre sur certains points. Dans l’attente de vérifications demandées à l’administration, le ministre du Budget postpose la libération de l’ensemble des subsides !

Il y a là de quoi bondir. D’abord, le ministre Flahaut semble méconnaître que les 14 centres d’archives privées reconnus par la FWB ne sont pas tous des centres d’archives de partis politiques. Chaque parti (ou presque) a en effet son centre, et c’est essentiel pour la sauvegarde des archives politiques, mais les centres d’archives privées visent, dans leur objet social respectif, à la conservation de patrimoines différents, comme autant de traces de l’histoire de notre société contemporaine : ils peuvent concerner l’histoire politique, bien sûr, mais aussi l’histoire économique et sociale, industrielle, culturelle, associative, architecturale, littéraire ou encore environnementale. Si certains (et c’est le cas des centres d’archives de partis politiques) s’inscrivent au sein d’une structure plus grande susceptible d’avancer les fonds, d’autres (et ils sont les plus nombreux) dépendent en grande partie des subventions qui leur sont octroyées.

Cette précision faite, nous ne pouvons comprendre la manière dont le ministre du Budget ignore les avis formulés par la ministre de la Culture, eux-mêmes fondés sur celui de l’instance d’avis, le Conseil des archives privées, et de l’administration. Les centres d’archives privées partagent une communauté forte de pratiques archivistiques professionnelles, évaluées tous les cinq ans en vue de leur reconnaissance ou du renouvellement de celle-ci. Le décret de 2004 qui définit les conditions d’octroi de cet agrément est certes bancal, mais cette carence ne justifie en rien de passer outre les évaluations et les délais prescrits ni d’inventer de nouveaux critères. Est-ce au ministre du Budget de juger le dossier de l’IEV, en évoquant, par exemple, que « leurs publications attestent… la direction scrupuleuse du centre » (séance parlementaire du 26/09) ?

Enfin, le ministre du Budget invoque l’importance d’une « égalité de traitement entre tous les centres ». Mais comment envisager cette égalité de traitement, quand on sait que l’enveloppe (environ un million d’euros) a été historiquement partagée, sans critères d’objectivation ? Et qu’aujourd’hui, chaque centre bénéficie d’un subside différent (non revu, non indexé) qui le contraint aux mêmes exigences que ses pairs ? Et que d’autres centres d’archives, qui répondent pourtant aux conditions du décret, n’ont pas accès à la reconnaissance, faute de budget ?

Assurément, la pomme de discorde entre la ministre Greoli et le ministre Flahaut est un dossier politique. Il n’a finalement peut-être pas grand-chose à voir avec des enjeux de préservation et de valorisation du patrimoine, ceux-là mêmes qui nous préoccupent aujourd’hui, car ils sont empêchés (en l’absence de moyens), voire menacés (par l’inconscience de nos politiques). Il y a toutefois un élément sur lequel se rejoignent les deux ministres : « faites appel au Fonds Écureuil pour résoudre votre problème ! » clament-ils en écho. Le fonds Écureuil est l’instrument de régulation budgétaire de la FWB qui permet de solliciter pour l’année suivante le versement d’une avance sur la subvention attendue… Ce n’est pas le cache-misère de querelles intestines ! Il est anormal que des opérateurs bénéficiant d’une reconnaissance de la FWB soient obligés de fonctionner pendant plus des trois quarts de l’année sur leur seule trésorerie, qui plus est, sans en avoir été préalablement avertis, ce qui les empêche de mettre en place des stratégies adaptées.

Par ailleurs, comment les centres auraient-ils pu anticiper ce blocage surréaliste ? Aujourd’hui, il est trop tard pour faire appel au Fonds Écureuil pour l’année 2018. Si le blocage perdure, il obligera des centres à emprunter pour payer les frais de personnel (au total, près de 60 ETP !) et de fonctionnement de leur structure. Obliger les centres à contracter des emprunts, n’est-ce pas potentiellement les amener à devoir retourner une partie des subventions publiques (déjà insuffisantes) à des organismes financiers privés ?

À l’heure où la ministre de la Culture planche sur un avant-projet de réforme des instances d’avis, au centre duquel elle place comme objectif la bonne gouvernance, et à ce titre, la « dépolitisation des opérateurs culturels », le blocage politique auquel sont confrontés les centres d’archives privées prend une résonance toute particulière. Qui, des opérateurs culturels ou des pouvoirs subsidiants, contribuent vraiment à politiser la culture ?

Et pourtant, la bonne gouvernance est au coeur du métier des archivistes : « Sources d’informations fiables pour une gouvernance responsable et transparente, les archives jouent un rôle essentiel dans le développement des sociétés en contribuant à la constitution et à la sauvegarde de la mémoire individuelle et collective » (Unesco, Déclaration universelle sur les archives, 2011). Aujourd’hui, cette affaire témoigne surtout du manque de considération dont pâtit l’ensemble d’un secteur sous-financé, qui attend depuis des lustres un nouveau décret avec arrêtés d’application, et cela malgré son rôle essentiel en matière de démocratie.

Signataires (ordre alphabétique)

Paul Bertrand, Professeur, UCLouvain

Ludo Bettens, Directeur de l’IHOES

Assunta Bianchi, archiviste à l’UMONS

Quentin Bilquez, administrateur de l’AAFB

Christoph Brüll, Assistant Professor, Université du Luxembourg

Jonas Campion, historien, UCLouvain/U. Lille

Amandine Chagniot, administratrice de l’AAFB

Marie-Thérèse Coenen, historienne, vice-présidente du CARHOP

Luc Courtois, Professeur, UCLouvain

Maurice Culot, Président d’Archives d’Architecture Moderne

José Daras, Président d’Etopia

Emmanuel Debruyne, historien, Professeur, UCLouvain

Florian Delabie, administrateur de l’AAFB

Nicolas Delpierre, administrateur de l’AAFB

Claude Depauw, historien-archiviste

Marie-Laurence Dubois, Présidente de l’AAFB

Charlotte Dubray, Directrice du Mundaneum

Jacqueline Dulière, Docteur en Sciences économiques appliquées, membre du Conseil d’administration du SAICOM

Nicolas Dupont, Ingénieur des mines, chercheur à l’UMONS

Aurore François, Professeure, UCLouvain

Jean-Pascal Gay, Professeur, UCLouvain

Éric Geerkens, Professeur à l’ULiège, vice-président de l’IHOES

Vincent Genin, assistant, ULiège

Geoffrey Geuens, chargé de cours au département des Arts et des Sciences de la Communication, ULiège

Isabelle Gillard, Directrice, Fédération pluraliste des Centres d’Expression et de Créativité – FPCEC

Jacques Gillen, archiviste au Mundaneum

Florence Gillet, archiviste

Annette Hendrick, archiviste indépendante, ex-membre du Conseil des archives et vice-présidente du Comité de pilotage des centres d’archives privées, administratrice de l’AAFB

Jean-Jacques Heirwegh, Professeur de l’Université (ULB)

Madeleine Jacquemin, Archives générales du Royaume

Pieter Lagrou, Professeur, ULB

Gilles Lecuppre, Professeur d’histoire du Moyen Âge et des Temps Modernes à l’UCLouvain

Christine Machiels, Directrice du CARHOP, administratrice de l’AAFB

Anne Morelli, Professeure honoraire à l’ULB

Silvia Mostaccio, Professeure, UClouvain

Jean-Pierre Nossent, Inspecteur honoraire pour la Culture de la Communauté française

Valérie Piette, Professeure d’histoire, ULB

Jules Pirlot, Président du CArCoB

Jean Puissant, Professeur émérite de l’ULB et Président du Conseil d’administration du SAICOM

Anne Roekens, Professeure d’histoire contemporaine, UNamur

Xavier Rousseaux, Directeur de recherche FRS-FNRS, UCLouvain

Luc Roussel, historien, Président du CARHOP

Matteo Segers, Directeur de l’Association des Centres culturels (ACC)

Isabelle Sirjacobs, responsable scientifique au Bois-du-Luc Musée de la Mine et du Développement Durable

Pierre-Alain Tallier, archiviste aux Archives de l’Etat & titulaire du cours d’archivistique à l’ULB

Camille Vanbersy, Directrice du SAICOM

Baudouin Van den Abeele, Professeur, UCL

Cécile Vanderpelen, Professeure à l’ULB et coprésidente du CARHIF

Marie Van Eeckenrode, administratrice de l’AAFB

Freddy Van Hove, archiviste de la FWB

Laurence van Ypersele, Professeure à l’UCLouvain

Karel Velle, Archiviste général du Royaume & prof. droit d’archives (UGent)

Nicolas Verschueren, Professeur d’histoire contemporaine, ULB

Geneviève Warland, chargée de cours, UCLouvain

Aurore Wuyts, administratrice de l’AAFB

Paul Wynants, Professeur ordinaire d’Histoire à l’Université de Namur

Micheline Zanatta, historienne, Présidente de l’IHOES

Szymon Zareba, archiviste d’Etopia

Benedikte Zitouni, Professeure à Saint-Louis

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