Carte blanche

Ce que la crise du coronavirus nous dit sur le travail…

« L’histoire ne se répète pas. Elle rime » disait Marc Twain. Si cette crise est inédite dans son ampleur et ses conséquences en raison de l’interdépendance de nos économies, elle n’échappe pas, en revanche, à cette antique croyance qu’à tout malheur, il y a forcément un coupable.

Et donc, comme bien souvent en temps de crise, les populistes en profitent pour faire… du populisme ! Alors, la myriade de boucs émissaires habituels est mobilisée : mondialisation, néo-libéralisme, croissance, grandes entreprises, gouvernement,… Reconnaissons-leur une certaine forme de constance. Ne les imitons pas et essayons d’être plus créatifs : réinventons le capitalisme, réinventons la mondialisation, réinventons le travail et réinventons-nous.

S’il est quelque chose de primordial dans une démocratie, c’est la liberté d’expression et d’opinion chère aux libéraux. Mais depuis quelques temps, on voit une certaine intelligentsia exercer son diktat idéologique : celui qui parle d’économie aujourd’hui, qui ose vanter les bienfaits du libre-échange et de l’importance du rôle du secteur privé se rend presque coupable d’un « crime de lèse-humanisme ».

Pourtant, ne pas anticiper les conséquences économiques de cette crise serait une irresponsabilité collective. Comment pourrait-on dissocier les différents facteurs en présence: humain, social, écologique et économique? Il faut évidemment trouver un équilibre entre eux afin de répondre aux défis qui nous attendent.

Je crois, comme André Comte Sponville, que « ceux qui croient que tout va rester pareil se trompent ». Et que « ceux qui croient que tout va changer se trompent aussi ». Il faudra donc, dès aujourd’hui, et encore plus quand la tempête sera passée, penser le monde de demain : y intégrer plus de télétravail, organiser un cadre pour l’enseignement à distance, relocaliser la production de biens essentiels, développer davantage les circuits courts… En d’autres mots, développer un capitalisme plus conscient, plus stable, plus durable. Pas renverser complètement le système, comme les populistes voudront le faire en profitant des failles d’un système qui nous a tant apporté pour jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais améliorer notre modèle pour transformer les risques en opportunités. On ne fera pas l’économie de cette réflexion et il s’agira d’être créatifs.

Sous couvert de l’humain et de la solidarité, certains tentent de nous faire croire aujourd’hui qu’on peut aller vers un système fait de repli sur soi tout en prônant plus de gratuité, des prestations sociales à la hausse, des dépenses accrues dans un Etat-providence qui doit tout assumer, renforcer ses fonctions régaliennes et distribuer sans compter.

Mais, il y a une chose que l’on n’entend pas dans cette crise et qui est pourtant mise en lumière de façon criante ces dernières semaines: c’est l’importance et le caractère structurant du travail, qu’il soit rémunéré ou bénévole, dans l’essor de nos sociétés.

Au fond, c’est notre conception du travail qui va devoir être repensée. Nous aurons dans les mois qui viennent à faire face à un nouveau défi : travailler mieux mais aussi, osons-le dire, travailler plus.

Permettez-nous dès lors de nous livrer à quelques réflexions sur le travail en l’analysant sous trois angles différents : le travail comme activité productive, comme agent socialisant et comme moteur de solidarité.

Ce que nul ne peut remettre en question, c’est que vu par le prisme du confinement, cette crise pénalise au premier chef les travailleurs. Beaucoup sont forcés au chômage temporaire et perdent une partie de leurs revenus. Quant aux indépendants, ils sont nombreux à ne plus pouvoir travailler et se retrouvent avec un droit-passerelle qui ne couvre pas leurs charges. Si cette crise devait nous rappeler une réalité, c’est à quel point le travail est un élément fondamental de notre société et, en même temps, à quel point il constitue le socle de nos Etats-providences.

Comme libérale, je veux réaffirmer l’importance du sérieux budgétaire en temps de paix, car c’est lui qui nous permet de faire les dépenses nécessaires en temps de guerre ou de crise. Le sérieux budgétaire, c’est le gage absolu de notre indépendance et, in fine, de notre liberté. Pour preuve, le Danemark et l’Allemagne qui, en Europe, avaient des niveaux de dette publique/PIB le plus bas avant la crise ont été en mesure de mettre sur pied des plans de soutien et de relance plus importants. Or, le mécanisme est clair : les revenus de l’Etat viennent de la contribution de chacun. Sans travail, pas de revenu pour l’Etat et pas de prestations sociales. Certains ont voulu nous faire croire ces dernières années qu’il fallait généraliser la gratuité : dans les transports en commun, dans les soins de santé, dans les universités, sans préciser que cela avait un coût. Il est évident aujourd’hui que nous avons besoin de nos travailleurs, de nos indépendants, de nos entrepreneurs, de ceux qui par leur activité productive, participent au bien-être de tous. Remettons donc au centre le travail qui, avec la prise de risque et d’initiative, la création d’entreprise, sont les seuls capables de créer de la richesse à distribuer. Ces théories qui veulent vous faire croire que l’on peut travailler moins et obtenir toujours plus de l’Etat sont celles de pompiers pyromanes.

Le travail est aussi un agent socialisant. Si le fait de passer plus de temps à la maison et en famille est pour beaucoup un plaisir retrouvé, on se rend compte que cette situation n’est pas tenable. Travailler impose un rythme, renforce la socialisation des individus, de par les simples échanges que nous entretenons entre collègues, et alimente le sentiment d’utilité envers la société. Travailler permet également de lutter contre l’exclusion sociale. Beaucoup de nos compatriotes sont aujourd’hui seuls. Beaucoup de Belges ont, pour toutes ces raisons, hâte de retrouver le chemin du travail. Et c’est une bonne nouvelle. Si cette crise met à nouveau en lumière une évidence, c’est que sans travail, il ne pourrait y avoir de société structurée.

Enfin, c’est en temps de crise que la nature de chacun se révèle. Souvent j’ai entendu : « nos sociétés contemporaines sont-elles en train de se désolidariser ? ». J’ai lu quelque part que nous sommes passés d’une crise de la solidarité a une solidarité de crise. Quelle belle formule. Tant de personnes (chômeurs, travailleurs ayant plus de temps, pensionnés, étudiants) se sont spontanément portées bénévoles dans cette crise pour venir en aide à ceux qui étaient dans le besoin, dans la précarité, aux abois. Les initiatives se sont multipliées, chacun contribuant à sa manière à la communauté. Les uns se sont portés volontaires pour aider le personnel des maisons de repos, les autres ont fait des courses pour des voisins âgés ou ont cousu des blouses pour le personnel soignant.

Au fond, je crois qu’il n’y a jamais eu de crise de la solidarité et qu’elle n’a jamais autant été prégnante qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Pourquoi ne pas généraliser ces pratiques dès la sortie de crise ? Dès lors que la relance doit passer par un mouvement collectif, essayons de redonner vie aux propos de JFK : « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ».

Mobilisons notre force de proposition : la relance passera par des initiatives créatives et une réflexion « out of the box ». Elle passera par un regain d’humanisme et un retour vers l’autre. Je formule ici trois exemples concrets du type de civisme qu’il nous faudrait conserver :

  • Un service à la collectivité organisé et volontaire, que ce soit pour les pensionnés, pour celles et ceux qui sont au chômage ou pour ceux qui ont du temps. Ce service devrait être valorisé d’une façon ou d’une autre.
  • Une formation plus rapide des jeunes dans les métiers en pénurie. Aujourd’hui, dans l’enseignement technique et professionnel, seules 4 des 15 options les plus fréquentées semblent mener à des métiers en demande alors que les options menant au top 15 des fonctions critiques semblent sous-fréquentées. Il y a tant de métiers intéressants dits en pénurie et tant de façons de pouvoir contribuer activement à l’économie et donc au bien-être des citoyens. De développeur IT à constructeur de grue ou responsable de production en passant par chef de service paramédical ou opticien: ces vocations ne demandent qu’à s’épanouir. Peut-être avons-nous plus que jamais besoin de nos jeunes pensionnés pour transmettre ces valeurs et vocations et faire découvrir ces métiers trop peu connus.
  • Il faudra plus de mobilité dans le travail: que ce soit au sein de l’administration où certains services risquent de tourner plus fort ou même émerger dans les mois qui viennent (par exemple pour tracer les individus qui ont été en contact avec des malades du Covid) tandis que d’autres risquent de devoir se réinventer en partie. Les fonctionnaires devront pouvoir passer d’un service à un autre. Essayons de moderniser la machine étatique et allons vers plus de flexibilité. Souvent sous le feu des critiques injustifiées, aujourd’hui, nous comptons sur eux plus que jamais pour servir l’Etat. Il en va de même pour la mobilité entre le secteur privé et le secteur public et le passage d’une activité sous un certain statut vers une activité sous un autre statut (salarié, indépendant, autre). Le travail ne se laisse pas réduire à un statut particulier qui ne provient dans nos sociétés que d’une évolution historique singulière.

Cette crise aura eu le mérite de mettre en lumière le travail de certains: ceux qui sont en première ligne: les soignants, le personnel des supermarchés, les agents de Bruxelles-propreté et tant d’autres, en ce compris ceux qui dans nos administrations et nos cabinets ministériels ont travaillé sans compter et sans relâche pour le bien de tous. Elle aura aussi par l’absurde, pointé le drame de ceux qui ne peuvent plus travailler.

Les mois à venir vont nous mettre à rude épreuve. Il faudra relancer notre économie alors que beaucoup d’entre nous rêvent de vacances après cette période morose et angoissante à tant d’égards. La solution viendra du travail et de l’injection, par ceux ont des revenus, de liquidités dans l’économie réelle pour que chaque maillon de la chaîne puisse en bénéficier. Pour ceux que cette crise aura privé de leur travail, ne perdez ni espoir ni le goût de l’activité. Notre société a besoin de chacun!

Rendons au travail ses lettres de noblesse et rappelons son rôle clé comme activité productive, agent socialisant et comme principal moteur d’émancipation et de solidarité!

Alexia Bertrand – Députée bruxelloise et cheffe de groupe du MR au parlement bruxellois

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