Carl Devos © Hatim Kagat

Carl Devos: « C’est pratiquement le gouvernement Vandenbroucke Ier »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le politologue de l’université de Gand souligne l’importance des frustrations générées par le ministre socialiste flamand de la Santé. « Une bombe à retardement pour la Vivaldi », analyse-t-il.

Carl Devos, politologue à l’université de Gand, analyse pour Le Vif/L’Express la cacophonie actuelle autour de la gestion de l’épidémie de coronavirus et le débat autour du ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A).

Que faut-il penser de la position de Frank Vandenbroucke?

Ce qui est certain, c’est qu’on le soutient au sein de son parti. Sa relation est très bonne avec Conner Rousseau, président du SP.A, et celui-ci l’a défendu de manière très offensive lundi soir à la VRT. Avec lui, les socialistes flamands se retrouvent au centre de la politique pour la première fois depuis longtemps. C’est pratiquement le gouvernement Vandebroucke Ier, tant il domine la gestion de la crise.

Cela suscite pas mal de critiques du côté francophone, surtout au MR et dans une moindre mesure au PS. Mais ce ressenti existe en Flandre aussi. Au sein de la N-VA, mais aussi de l’Open VLD et du CD&V, on considère que Frank Vandenbroucke est un peu trop rigoriste. Il ne faut pas croire que c’est la Wallonie contre la Flandre, ce n’est pas si simple que ça. Il y a aussi des « noëllistes » en Flandre, des gens qui considérent que le ministre néglige les dimensions psychologiques et écologistes et estiment qu’il n’y en a que pour lui.

Alexander De Croo est-il trop faible?

C’est difficile à dire pour l’instant, c’est sans doute trop tôt. Mais il y a un doute, c’est vrai, sur le fait de savoir si le Premier ministre tient vraiment bien tous ses ministres.

Frank Vandenbrouke est quelqu’un qui a pris ses dossiers à bras-le-corps et qui a immédiatement entamé une action forte sur le terrain. Il communique bien et beaucoup.

Je n’ai pas l’impression qu’une question de leadership se pose aujourd’hui, parce que Alexander De Croo et son ministre de la Santé fonctionnent en tandem. Mais à terme, le Premier libéral sera confronté aux mêmes enjeux que Charles Michel quand il était au Seize: il devra composer avec les présidents de partis, qui ont donné naissance à la Vivaldi et qui veulent tous êtres très présents, que ce soit Paul Magnette (PS), Georges-Louis Bouchez (MR) ou Joachim Coens (CD&V).

On parle aujourd’hui d’une « flamandisation » de la gestion de la crise sanitaire, mais ce sera autre chose au début de l’année, quand deux ministres PS, le vice-Premier Pierre-Yves Dermagne et Thomas Dermine, prendront la main sur les aspects socio-économiques. On parlera alors de « wallonisation » ou de « francophonisation » de la relance.

Ces tensions peuvent-elles mettre la majorité en péril?

Pour l’instant, cela reste une question de jalousie ou de positionnement des uns et des autres. Le message général reste que l’on travaille pour l’intérêt général, qu’il s’agit d’une « équipe de onze millions de Belges », même si on sait que ce n’est pas vrai. En toile de fond, il y a toutefois une frustration qui grandit, tant au sein de l’Open VLD que du CD&V, parce que l’impression prédomine que Vandenbroucke décide de tout.

Tout se décide, bien sûr, au sein du Comité de concertation, mais j’ai eu des contacts au sein de ces partis, ainsi qu’au sein de la N-VA: on souligne que Vandenbroucke ne laisse aucun espace, mais aussi qu’il ne donne pas toutes les données aux sources des décisions. C’est intellectuellement peu honnête et le SP.A doit faire attention, car il arrivera un moment où Frank Vandenbroucke aura besoin des autres et on risque de lui faire payer cher.

A terme, cela peut faire vaciller le gouvernement?

Pour l’instant, la crise du coronavirus maintient une forme de climat politique artificiel, mais je me demande ce qu’il adviendra quand la crise sanitaire sera sous contrôle, en 2021. D’autre dossiers très sensibles vont arriver sur la table.

Il y aura la stratégie de la relance et ces 5,5 milliards d’euros en provenance de l’Europe: qui en bénéficiera et pour quoi faire? Je m’attends à des débats tendus entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Il y aura aussi le débat sur l’arrêt ou non des centrales nucléaires, qui risque d’opposer le MR et Ecolo. La réforme des pensions, aussi, pour laquelle la ministre Karine Lalieux a promis une note: c’est un débat au sein duquel on retrouvera Frank vandebroucke, qui avait présidé le comité d’experts sur la question.

A vrai dire, je suis inquiet sur la cohérence, à terme, de cette coalition. Les frustrations qui grandissent aujourd’hui risquent d’exploser plus tard: c’est une bombe à retardement. Or, il n’y a que trois années pleines avant 2024, qui sera à coup sûr la mère de la mère de toutes les élections.

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