Jacqueline Galant © BELGA

Cabinet d’avocats : Jacqueline Galant de plus en plus acculée

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Interrogée en Commission de l’Infrastructure ce mercredi, la ministre de la Mobilité doit s’expliquer et prouver qu’il n’y a pas eu dérapage dans la passation d’un marché public avec le cabinet d’avocats Clifford-Chance. Ce qui ne sera pas simple, au vu des nouveaux éléments révélés par Le Vif/L’Express.

Le diable ne se cache pas que dans les détails. Il se cache aussi dans les procédures. Le moins que l’on puisse écrire, c’est que rien n’est clair dans le contrat qui lie le cabinet Galant au bureau d’avocats Clifford-Chance : à la fin de l’année dernière, celui-ci avait décroché un marché public de services juridiques pour un montant estimé entre 400 000 et 600 000 euros. A ce jour, quelque 150 000 euros « seulement » ont été facturés par ce bureau pour les prestations effectuées entre octobre 2014 et mars 2015. Mais quelque 500 000 euros au total ont été inscrits au budget du service juridique du SPF Mobilité, qui avoisine les 600 000 euros pour toutes les matières gérées par le département.

Ce n’est pas seulement la hauteur de cette somme qui pose question mais également le fait que ce bureau a été choisi sans appel d’offres ni procédure négociée. Un constat confirmé par la porte-parole de la ministre Jacqueline Galant et par la ministre elle-même, par voie de presse.

Une série de questions continuent dès lors à se poser dans ce dossier. Approchée par Le Vif/L’Express, la ministre libérale n’a toutefois pas souhaité y répondre : elle réserve en effet l’exclusivité de ses informations aux membres de la Commission Infrastructure de la Chambre, qui se réunira ce mercredi 28 octobre. Le CDH a explicitement demandé que Laurent Ledoux, président du comité de direction du SPF Mobilité, y soit aussi entendu.

Des informations recueillies par le Vif/L’Express, il n’en ressort pas moins que le cabinet Galant n’a pas respecté la procédure d’attribution de ce marché et ce, sur plusieurs points qui pourraient également susciter l’intérêt des parlementaires.

1. Pourquoi le cabinet n’a-t-il pas demandé l’avis de l’Inspection des Finances avant de confier ce marché au bureau Clifford-Chance, en octobre 2014 ? Tout ministre fédéral est tenu de le faire dès lors que la dépense qu’il souhaite engager dépasse le seuil de 31 000 euros. Or l’Inspection des Finances n’a pas été sollicitée pour donner son avis sur le dossier. En revanche, le 1er octobre dernier, pratiquement un an après la passation du marché, l’Inspection des Finances a reçu du cabinet Galant un « dossier pour engagements provisionnels », d’un montant de 400 000 euros, destiné à couvrir les prestations juridiques du cabinet Clifford-Chance. Ce document était dépourvu de toute pièce justificative. L’Etat étant juridiquement engagé par rapport au bureau Clifford-Chance, les prestations de ce dernier ayant déjà été effectuées et n’étant pas contestées, l’Etat lui est redevable des montants dus. Dans ce cas de figure, l’Inspection des Finances ne peut plus donner d’avis. Placée devant le fait accompli, elle doit se contenter d’avaliser des dépenses pour lesquelles elle n’a pas été consultée au préalable.

2. Pourquoi la passation de ce marché public n’a-t-elle pas été évoquée en Conseil des ministres, comme la loi le prévoit dès lors qu’un montant supérieur à 350 000 euros est en jeu ? Le CDH, qui a épluché toutes les notifications du Conseil des ministres depuis octobre dernier, n’a pas trouvé trace de ce sujet. D’autres sources confirment que le conseil des ministres n’a pas été averti de la conclusion de ce marché. Il se peut certes que le premier contrat confié au cabinet Clifford-Chance (qui n’a pas donné suite à notre demande d’interview) ait porté sur un montant inférieur à 350 000 euros et/ou que le cabinet Galant n’ait pas imaginé que la facture finale dépasserait ce seuil. Mais en cours de route, et par souci de transparence, il eut été de bon ton qu’il prévienne le conseil des ministres de l’importance de cette dépense. Encore eut-il fallu pour cela qu’il dispose à temps des factures du cabinet Clifford-Chance, dont la première n’est tombée qu’en avril, soit six mois après le début des prestations.

3. Pourquoi le cabinet Galant n’a-t-il pas mis plusieurs cabinets d’avocats en concurrence, comme la loi le prévoit, et pourquoi la ministre Galant déclare-t-elle soudain dans La Libre de ce samedi 24 octobre : « C’est mon administration qui m’a dit qu’il n’était pas nécessaire de consulter d’autres cabinets d’avocats avant d’attribuer le dossier » ? Questionnée quelques jours auparavant par Le Vif/L’Express, sa cheffe de cabinet Dominique Offergeld n’a jamais évoqué ce point. Or il eut été facile de le faire d’emblée. L’argumentation avancée par le cabinet pour justifier le choix de Clifford-Chance était au contraire positive : il avait été sélectionné en fonction de ses seules compétences – que d’aucuns contestent, par ailleurs en matière aéronautique.

Interrogé par Le Vif/L’Express, Laurent Ledoux, président du SPF Mobilité, s’est borné à confirmer que, fin octobre 2014, ses services avaient bien indiqué au cabinet Galant que, vu le faible montant attendu et l’urgence et la confidentialité du (premier) dossier à traiter (ndlr : aides aux compagnies aériennes), il pouvait être envisagé de ne pas mettre en concurrence plusieurs cabinets d’avocats. On sait que par la suite, la mission du bureau d’avocats s’est étendue et que sa facture a gonflé d’autant.

Mais, apprend-on de source sûre, début novembre 2014, le cabinet a reçu, de l’administration, un avis contraire et plus détaillé : celui-ci lui indiquait qu’il y avait une procédure légale à suivre pour la passation de ce marché public.

Il en effet clair pour tous les spécialistes que les services juridiques ne sont pas exclus de la loi sur les marchés publics. Un nouveau projet de loi est certes en préparation sur le sujet. Il retirera les services juridiques du champ d’application de la loi sur les marchés publics, mais uniquement en matière de litiges. Mais d’une part, ce nouveau texte de loi n’est pas encore en application. Et d’autre part, il ne modifie en rien la donne par rapport au cabinet Clifford-Chance puisque ce dernier n’est pas chargé des dossiers litigieux liés au survol de Bruxelles.

Il devait donc bien y avoir mise en concurrence avant l’attribution de ce marché, même en optant pour la formule la plus souple, c’est-à-dire la procédure négociée sans publicité. Dans ce cas, « trois cabinets d’avocats au moins doivent être consultés pour permettre au demandeur de faire le meilleur choix en comparant leurs tarifs, leurs méthodes de travail et leur expérience », détaille Marie Vastmans, avocate au bureau Xirius, spécialisée en marchés publics.

Ce n’est pas le choix qu’a posé le cabinet Galant puisque moins d’une semaine plus tard, il demandait au SPF Mobilité de prendre contact avec le seul cabinet Clifford-Chance, comme il l’a indiqué lui-même au Vif/L’Express.

4. Pourquoi le cabinet Galant n’a-t-il pas suivi la recommandation du SPF Mobilité ? Ce second avis s’est-il perdu dans les couloirs du cabinet ? L’équipe Galant souhaitait-elle travailler vite, et avec des avocats déjà connus, au moins de la cheffe de cabinet Dominique Offergeld qui avait précédemment collaboré avec eux ? Ces questions sont pour l’instant sans réponse. S’il se confirme qu’il y a là une faute, le risque est réel que le contrat soit annulé ; que des dommages et intérêts soient dus si un avocat concurrent décidait d’introduire un recours contre la passation de ce marché ; et que des sanctions pénales soient prononcées. Contre la ministre entre autres, le cas échéant.

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