Myriam Leroy

C’est le moment de…(re)voir « Vacances »

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

Selon la doxa politique dominante, le travail serait une valeur. Il serait vertueux en lui-même et s’en exclure ferait la preuve d’un refus de collaborer au bien collectif. Or, il n’y a plus de travail pour tout le monde et encore moins de travail salarié pour chacun.

Un modèle qui apparaît appartenir à « l’ancien monde », celui qu’on tente de maintenir sous assistance respiratoire tandis qu’organe après organe, il lâche.

Or, la souffrance au travail est une réalité que la génération qui y a érodé ses idéaux durant – seulement – cinq ou dix ans refuse d’encaisser davantage, accumulant les burn-out, bore-out (usure par l’ennui) et brown-out (perte de sens). Quant aux jeunes qui débarquent sur le marché de l’emploi, ils jaugent la température de l’eau après l’immersion d’un seul orteil dans la piscine : elle est froide, et ils n’ont pas l’intention de se les geler sans rien dire.

Mais n’en déplaise à ceux qui ont décidé que la vraie vie était ailleurs, la tendance n’est pas de leur côté. A l’heure où on examine l’allongement du temps de travail, penchons-nous sur les congés payés et la révolution du temps libre à travers un DVD de la Cinematek intitulé Vacances, compilant une série de petits films au charme vintage des utopies décrépites. Depuis 1936, tous les travailleurs ont droit à des vacances. Portée par la gauche et la droite, cette autorisation à  » profiter de la vie  » réconcilie l’exaltation à l’épanouissement des  » petites gens  » et l’idéal productiviste qui veut qu’un ouvrier en forme est un ouvrier performant.

La réduction du temps de travail a ses détracteurs, qui estiment que les masses laborieuses n’ont rien de mieux à faire que de boire ou jouer leur salaire. Il s’agit donc de leur expliquer comment elles doivent dépenser leur temps libre. Vacances. Les congés payés en Belgique, égrène donc les recommandations : ainsi, un petit film du Mouvement ouvrier chrétien de 1965, dans une esthétique rappelant Playtime de Tati, appelle à fuir la cadence infernale des machines et à se réfugier dans la nature dans un plaidoyer pour la simplicité mêlant mysticisme pastoral, bières fraîches, et  » livres lus sans hâte « .

Henri Storck, dans un court-métrage ostendais commandé par l’office belgo-luxembourgeois du tourisme en 1936, filme des jeunes gens qui font de l’exercice sur la bondée  » souriante reine des plages « , et espère par là en attirer d’autres. Mais la perle de ce DVD, c’est la fiction Vers d’autres horizons (1939) de Jan Vanderheyden (cinéaste populaire en Flandre dans les années 1930). Qui s’invite dans le petit déjeuner sans joie d’une famille lambda. La mère est irritée : son mari et sa progéniture se lèvent tous les jours trop tard. Lui :  » C’est dur de gagner sa croûte aujourd’hui. Et puis qu’attendre de la vie maintenant ? De la maison à la fabrique et de la fabrique à la maison. Toujours la même chose, sans espoir d’en sortir jamais.  » La prescription d’un agent de voyage :  » Partez dans un gentil petit patelin, installez-vous dans une bonne petite pension et de là vous pourrez rayonner et faire de fort jolies promenades.  »

La suite de l’histoire : une semaine idyllique à Westerloo ( ! ), une joie de vivre rempaillée par les saines activités au grand air, et au retour, une foi galvanisée dans le travail à l’usine. Un film daté, involontairement très drôle, qui rappelle étrangement… l’actualité.

Vacances. Les congés payés en Belgique, 1 DVD, Cinematek, 2016.

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