Myriam Leroy

C’est le moment de…(re)lire « Ainsi soit-elle »

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

Chaque année c’est la même rengaine : distraite, la grande distribution oublie de lire en entier l’intitulé de la « Journée internationale des droits des femmes » et la confond avec une « fête des femmes » comme il existe une « fête des secrétaires » – soit en quelque sorte l’occasion de mettre à l’honneur une subalterne souvent oubliée.

A l’approche du 8 mars, les toutes-boîtes dégainent leurs pubs invitant « monsieur » à « gâter madame » : fleurs, lingerie, bijoux, boîtes de Mon Chéri… Toute la gamme des invendus de la Saint-Valentin est ici convoquée. S’il vaut mieux en soupirer qu’en pleurer, il est pour le moins rageant de constater que depuis 1977, date d’officialisation de cette journée par l’ONU, ses intentions ne sont toujours pas claires aux yeux d’une grande partie de la population (en particulier celle à laquelle elle s’adresse).

Deux ans plus tôt, la regrettée Benoîte Groult rédigeait Ainsi soit-elle, manifeste féministe important qui devrait figurer dans toute bibliothèque idéale entre, au minimum, Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, et King Kong théorie, de Virginie Despentes. Vindicatif et désopilant, arrosé d’un second degré tout à fait jubilatoire, cet essai propose une histoire des discours oppressifs en forme de catalogue d’arguments bancals, pour ne pas dire grotesques. Surtout, il explique l’inertie à l’oeuvre dans le chef des femmes concernant la défense de leurs droits, et donc les raisons pour lesquelles, plus de quarante ans après la publication de cet ouvrage, elles restent inondées de reconnaissance lorsqu’elles déballent les rouges à lèvres et épilateurs électriques du 8 mars.

« Ce qui opprime les femmes, ce n’est pas seulement le système masculin, c’est la réponse féminine, c’est ce qu’il a réussi à faire de nous. » Les femmes qui, inconsciemment ou non, se rendent « coupables d’intelligence » avec l’oppresseur, Benoîte Groult les appelle les « harkis », référence aux soldats algériens qui ont combattu aux côtés de l’armée française durant la guerre d’Algérie. Elle évoque le concept de « misogynie d’appoint » de l’écrivaine Françoise Parturier : « Comme tous ceux que la servitude a dégradés, les femmes ont fini par se croire faites pour leurs chaînes et sont devenues antiféministes comme tant d’esclaves du Sud furent esclavagistes et combattirent aux côtés de leurs maîtres contre leur propre libération. »

L’auteure démonte les mécanismes à l’oeuvre derrière les dérobades face au nécessaire sursaut collectif. Elle souligne à quel point le combat féministe est indispensable à toute société qui se veut évoluée, citant la résistante Germaine Tillion qui posait ainsi les bases du féminisme intersectionnel : « L’asservissement ne dégrade pas seulement l’être qui en est victime mais celui qui en bénéficie. »

Il est cuisant de constater que les types d’objections qui ont accueilli ses arguments à l’époque sont toujours d’actualité aujourd’hui. Dans des formulations certes un peu moins désuètes, mais toujours calquées sur les mêmes chantages. Chantage à l’amour (les femmes libres deviendraient des femmes seules), chantage à la crise de civilisation (la société s’effondrerait si on ne prenait pas garde à respecter les différences entre les sexes, différences qu’aujourd’hui encore on peine à objectiver)… « Les Noirs ont obtenu l’indépendance. Les prolétaires se sont unis. Les femmes seulement demeurent soumises et désunies, handicapées par le lien très spécial et souvent délicieux qui les unit à leurs  »oppresseurs ». »

Ainsi soit-elle, par Benoîte Groult, Grasset, 1975, 219 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire