Thierry Fiorilli

C’est beau comme un roman ou une bouche d’égout qui sourit, par Thierry Fiorilli (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Ne perdez pas votre temps: lisez des romans!

L’autre jour, dans une interview accordée à un quotidien flamand, un président de parti francophone, pas trop à gauche, clamait ne jamais lire de romans, « parce que c’est une perte de temps ». Chacun fait ce qui lui plaît, chacun a le droit de ne pas aimer ce qui est vital à d’autres et il faut respecter les opinions qu’on ne partage pas. Mais cette sentence-là, « la perte de temps », nous a quand même laissé stupéfait. D’une part, parce que le même président de parti avait quelques jours plus tôt fait grand cas du plan de défense de la culture que sa formation a dressé. Probablement pour éviter que la pandémie et les mesures qui en découlent ne mettent trop à mal les secteurs des biographies (de Churchill surtout), des essais (de Formule 1) et des jeux vidéo (de courses auto), le reste, la fiction donc, l’imaginaire, sous forme de littérature, pouvant s’étouffer puisque ne relevant même plus du non-essentiel mais du carrément inutile, de l’oiseux, de l’entrave. D’autre part, parce que ça suppose une existence aux espaces et horizons assez exigus. Entre 280 signes, une to do list et un calcul du diamètre ombilical. En même temps, un autre président de parti francophone, pas trop à droite, lui, a beau être grand lecteur et connaisseur de romans, son cheminement ne semble pas moins guidé par un unique plan de carrière individuel. La littérature ne rend pas forcément les gens plus admirables.

Ne perdez pas votre temps: lisez des romans!

Mais le fait est qu’elle permet de désétriquer et déformater. De s’embarquer pour très loin, très haut et très longtemps, sans passeport, sanitaire ou autre, sans bagages à surveiller ni checkpoint à redouter. Elle ouvre à des impossibles, des impensables, elle éclaire passé et présent, préserve de redditions, pousse à prendre le maquis et aiguise les sens. Là où l’ordinaire, le quotidien, le règlement, le régiment, le comptable et le mode d’emploi ne voient que les faits, les choses, les ordres, les chiffres et les procédures, elle les fait danser. En les récréant. Comme ces visages ou ces silhouettes, ces expressions ou ces histoires qu’on aperçoit dans le ciel ou sur des objets. Le nom sérieux est paréidolie. Concrètement, c’est l’art de relier l’imaginaire et la réalité. Un trou de serrure qui ressemble à un enfant de profil, une tête de chien dans les nuages, un sourire sur une bouche d’égout, un Munch dans une entaille de mur… Il y a là un peu du test de Rorschach mais beaucoup de visas pour l’aventure, quitte à ce qu’elle soit glaçante.

Lisez donc des romans! Ça ne fait pas gagner tous les combats, mais ça permet de mieux résister. Et de ne pas perdre son temps avec ceux qui n’inventent que leur propre histoire. C’est pour ça que c’est si beau.

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