Thierry Fiorilli

C’est beau comme les lumières de Jacques De Decker par Thierry Fiorilli (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Souvent, il faut mourir pour faire l’unanimité. Mais il est ceux dont la disparition ne déclenche qu’éloges sincères. Jacques De Decker en fait partie. Un an après sa sortie de scène, Je vais promener ma truffe, aux éditions Marot, en atteste. Sur 360 pages, le livre dévoile en photos l’univers de cet amoureux éperdu de culture. Un univers de bouquins, de journaux, de tableaux, de brol, d’accessoires de théâtre, de rues à prendre comme le large, de zinc et de soie, de parcs où les arbres content des épopées. Un univers où il courait les émerveillements. Les dénicher et puis les révéler, avec la jubilation de qui craignait ne pas boucler le mois avant de retrouver un billet dans la veste de l’hiver dernier.

Comme l’u0026#xE9;crit Claude Arnaud, il n’y a que les autres pour nous divertir u0026#xE0; long terme de l’angoisse d’u0026#xEA;tre.

Il y a des textes aussi, des poèmes, des dessins, des partitions. De proches, plus ou moins illustres. En plusieurs langues, puisque le journaliste-écrivain-critique-enseignant en parlait tant. Là où Cavanna clamait que pour vraiment saisir un pays, il faut goûter sa cuisine et ses filles, Jacques De Decker prônait de le lire et l’écouter en V.O. Au fil de l’ouvrage , ce n’est pas sa vie qui défile, ce sont ses traces. Ce qu’on lui doit, ce qui le rendait unique, qu’on aurait dû lui dire quand on l’avait là, en face, racontant une histoire, conseillant une lecture, une pièce, une plume, un plat, tout sourire. « Cet orfèvre du collectif, à rebours du culte contemporain de l’ego », décrit Gilles Ledure, le patron de Flagey. « La grande intelligence ne rend pas aisément heureux, embraie Claude Arnaud, écrivain français. Celle de Jacques se mettait d’instinct au service d’autrui, et cela lui réussissait: il n’y a que les autres pour nous divertir à long terme de l’angoisse d’être. » Le dramaturge Jean-Claude Idée se souvient qu' »au bout de la nuit, nous finissions toujours par conclure qu’il faut semer malgré tout, sans se préoccuper de la récolte ». Le romancier Luc Dellisse qu’il a « connu avec lui l’élégance de la vie ». Monique Toussaint, de la librairie Chapitre XII, à Bruxelles, que ce qu’il « avait de merveilleux, c’était sa faculté d’admiration. Il aimait aimer. Ce qu’il n’aimait pas ne l’intéressait pas, il n’y perdait pas son temps. »

Ce qui rend d’autant plus précieux celui, pas si lointain, consacré à ses chroniques dans Le Vif. Toujours relié à l’actuel, il puisait, pour l’éclairer, dans les grands auteurs du passé. Brecht, « esprit généreux mais cynique: plus l’école est injuste, disait-il, mieux elle confronte les futurs adultes à la vérité du monde qui les attend » ; Picabia, selon qui « nous nous distinguons entre ceux qui croient que le jour succède à la nuit et ceux qui pensent l’inverse » ; Yourcenar, qui écrivait qu' »il n’y a pas de destin sans saut dans le vide ». Et lui, après les attentats de Bruxelles, bien avant donc la pandémie et la mise à l’arrêt de tout ce qu’il défendait, incarnait et célébrait: « Les désastres sont d’abord des fatalités, ensuite des rébus, enfin des équations, qui débouchent sur des leçons. »

Cet ouvrage en livre au moins une: les phares ne meurent jamais.

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