Thierry Fiorilli

C’est beau comme le vélo pas volé, par Thierry Fiorilli (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Brisez une chaîne, il s’en libère toujours un peu de philosophie.

C’est un bon vélo. Pas flambant neuf mais solide. Noir, pour garçon, de ville mais ça peut aller dans les sentiers, ni trop bombés ni trop boueux. Il est attaché au poteau d’un panneau de signalisation, sur le trottoir de gauche quand on prend la rue depuis l’école. Même qu’on pensait qu’il était à un élève ou un prof. Bon, comme il était là aussi la nuit, on se demandait un peu quoi. Et puis, les vacances sont arrivées et le vélo n’est pas parti. Tout juillet est passé. Et presque tout août. Il s’est pris la pluie, la poussière des travaux, les quelques chaleurs et les feuilles de la haie juste à côté du panneau, qui a été taillée alors qu’il aurait fallu le faire il y a six mois. Il a vu passer les promeneurs, les chiens, les amoureux, les poussettes, les athlètes, les ambulances, les déménageurs, le hérisson, les auto-écoles, le ferrailleur, il est resté accroché à son poteau. Au point qu’un des pneus était tout raplapla.

Brisez une chau0026#xEE;ne, il s’en libu0026#xE8;re toujours un peu de philosophie.

Alors, un peu avant la rentrée, la madame qui aurait dû tailler sa haie beaucoup plus tôt a dit à son grand fils – il est bon quinquagénaire -, qui, normalement, vient une fois par semaine mais là ça s’était pas mal espacé, la madame donc lui a dit: « ça m’embête ce vélo qui est là depuis des mois. » Pas que ça l’inquiétait tant que ça mais entre la haie pas taillée, qui débordait jusqu’au milieu du trottoir, par-dessus le mur d’enceinte, et ce vélo, c’était difficile de passer. Et une fois la haie taillée, bien proprement, ça faisait désordre. Elle n’a pas dit dépotoir, ou décharge, mais elle l’a pensé.

Bref, ni une ni deux, le grand fils – il est impulsif – décide de sectionner et balancer le cadenas. Et pose le vélo contre le mur. « Comme ça, si quelqu’un veut le prendre, facile. »

Bien. Le lendemain, le vélo est toujours là. Et la madame à la haie désormais impeccable entend deux gamins, depuis le trottoir, à hauteur du panneau. « Merde, ils m’ont piqué le cadenas mais pas la bécane. » Du coup, il l’a rentrée, parce qu’on n’a pas tous les jours de la chance. Chez la dame, il y eut des discussions, avec ses filles cette fois, parce qu’elle voulait rapporter aux gamins le cadavre du cadenas – elles s’y opposaient farouchement, un peu parce que « et qu’est-ce tu vas leur dire? , et qu’est-ce qu’y va en faire maintenant qu’il est foutu? », un peu parce que la famille des gamins, qui habite le trottoir de droite, juste en face, c’est quelque chose: ça tire à la carabine à plomb depuis le toit, il y a huit chiens, plein de fois la police débarque pour une histoire, les voisins disent qu’il y a des rats, ça gueule, tout ça. Les filles ont eu le dernier mot.

L’ école a recommencé. Et puis, on a vu, au même endroit, attaché au panneau, mais seulement en journée, un autre vélo. Avec un siège pour enfant et des pneus bien gonflés. Le gamin n’a toujours pas ressorti le sien. Il est dans le jardin, sans doute. Avec les rats (les chiens sont à l’intérieur). Mais il doit encore penser que, pour certains, l’important, c’est pas la bécane, c’est le cadenas.

Brisez une chaîne, il s’en libère toujours un peu de philosophie.

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