Bianca Debaets

Briser les carcans et les stéréotypes pour que Bruxelles devienne moins macho

Bianca Debaets Députée bruxelloise

Oui, les hommes accaparent l’espace public, et ce dès l’école, c’est une évidence. Est-ce pour autant une fatalité ou un paradigme absolu duquel on ne peut pas ou on ne veut pas sortir ? Bien sûr que non.

Les propos et conclusions du géographe Yves Raibaud dans Le Vif du 28 juin dernier (« La ville, territoire mâle ») ont sans doute laissé très peu de monde indifférent. Oui, les hommes accaparent l’espace public, et ce dès l’école, c’est une évidence. Est-ce pour autant une fatalité ou un paradigme absolu duquel on ne peut pas ou on ne veut pas sortir ? Bien sûr que non.

Au niveau de la Région bruxelloise, cela fait déjà plusieurs années qu’on a ouvert les yeux et, qu’au niveau du Parlement, il a été décidé de légiférer en la matière. Car, seule, la bonne volonté ne suffit plus. Des enquêtes scientifiques nous ont montré à quel point il était devenu urgent d’agir. Rien que pour les violences physiques, les agressions sexuelles ou encore le harcèlement en rue, les résultats d’une étude très récente de l’Université de Gand se traduisent par des chiffres effarants : 49% de femmes bruxelloises disent avoir déjà été victimes de violences physiques et 14% d’une agression sexuelle d’un non-partenaire ; 86% ont déjà été intimidées sexuellement au moins une fois dans leur vie, 34% en souffrent encore aujourd’hui et 22% ont préféré n’en parler à personne.

Mesurer c’est savoir, dit-on généralement. C’est la raison pour laquelle, en tant que Secrétaire d’État, j’avais commandé cette étude. Disposer de chiffres plus précis, c’est fondamental même si en qui concerne notre capitale, on se doutait déjà fortement du degré élevé d’inégalités hommes-femmes. Mais on y travaille donc. Grâce à un texte que j’ai moi-même proposé au Gouvernement bruxellois et qui a été voté au Parlement, le gender budgeting est à présent un mécanisme incontournable dans la gestion de nos deniers publics.

En logement, en emploi, en mobilité, en aménagement du territoire, etc. toutes les décisions gouvernementales, avec les budgets y afférant, sont finement analysées précisément pour vérifier si elles n’accentuent pas davantage ces inégalités. L’objectif au contraire est dorénavant de les réduire au maximum, dans un sens ou un autre d’ailleurs. Savoir qu’un bon éclairage public favorise la sécurité des femmes ou comprendre que la nature de la ventilation des subsides accordés à des associations sportives peut contribuer à un meilleur équilibre, c’est plus qu’une évidence car il est aujourd’hui interdit d’en faire abstraction.

L’ultra-domination masculine dans le milieu urbain est malheureusement une évidence. Elle peut se mesurer au nombre de rues, de stations de métro ou de statues qui portent le nom d’une femme. La façon dont l’espace public est organisé contribue sans aucun doute à la transmission des stéréotypes existants à la génération suivante. Or il est certainement possible de briser ces stéréotypes à travers une transformation de notre planification urbaine.

Paradoxalement, à l’instar d’autres grandes métropoles, Bruxelles est par nature plus féminine que masculine. Les femmes sont numériquement plus importantes (plus de 52% de la population) et elles constituent une majorité également à terminer leurs études supérieures dans ce qui constitue la plus grande ville estudiantine du pays. Dans ce contexte, il est révoltant de savoir que beaucoup d’entre elles ne se déplacent pas à leur guise : certaines contournent des quartiers précis, d’autres évitent de prendre seules le bus ou le tram après une certaine heure, et d’autres encore ne font plus d’activité sportive pour les mêmes raisons. Outre notre combat pour des aménagements urbains ou, plus généralement, des décisions politiques plus égalitaires, c’est aussi cette guerre-là qui doit être menée et gagnée !

Certes, cela prendra du temps et cela passe inévitablement aussi par l’éducation des jeunes. Mais il n’empêche, notre rôle c’est de sensibiliser au maximum via nos multiples campagnes et aussi de donner à ces ‘victimes’ des atouts pour se défendre au mieux : leur rappeler que porter plainte pour harcèlement ce n’est pas vain, d’autant que les policiers sont de mieux en mieux formés à cet effet ; leur proposer aussi des outils précieux comme par exemple l’app « touche pas à ma pote » qui peut leur amener du soutien immédiat pour faire face à une menace réelle ou potentielle.

Hélas, en la matière, c’est une véritable montagne qui se trouve encore devant nous, une sorte de monstre à plusieurs facettes. Et, en fin de compte, le meilleur moyen de le vaincre, c’est sans doute d’oser davantage. Que les femmes bruxelloises, progressivement, se réapproprient l’espace public : nos rues, nos boulevards, nos places, nos espaces récréatifs, etc. Il faut oser sortir des carcans, de certains modèles parfois inculqués en effet dès le plus jeune âge. Plus il y en aura qui oseront une vie sans peur ou frein psychologique, plus vite le monstre sera vaincu. Le nombre créera de l’émulation et le Bruxelles de demain n’aura plus le même visage. Nous avons bien sûr l’obligation, avec les communes, d’utiliser les moyens publics pour mettre en place les aménagements et conditions propices à ce changement. Mais c’est aussi avec les principales intéressées que nous y arriverons.

Bianca Debaets est Secrétaire d’État bruxelloise en charge de l’Égalité des chances.

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