Christine Laurent

Borgen de toi

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Elle ne se cache pas derrière son petit doigt, Birgitte Nyborg. Entraînée dans les turpitudes de la vie politique, la Première ministre du Danemark fait front. Franche du collier, elle assume, tranche, décide et tient ses engagements.

Même si, en grimpant le grand escalier du pouvoir, elle perd, lentement mais sûrement, sa virginité idéaliste au profit de la realpolitik. Nécessité fait loi. Elle ne vire pas serial politique flingueuse pour autant, certes. Mais elle sait montrer les crocs quand la menace gronde. A sa manière, tout en finesse et en subtilités. A l’opposé d’un Sarkozy qui, à force de balader les Français, les avait épuisés et empêché de penser. L’écume des jours et les problèmes de fond, la médiocrité, la bassesse des passions, le cynisme des comportements, Nyborg traverse tout avec panache.

A l’audimat, Borgen cartonne. Plébiscitée par le grand public, la série fait un tabac aussi auprès de nos élus. Tous fans. On aurait pu imaginer, pourtant, que lassés de s’asticoter à longueur de journées, ils s’abandonneraient à d’autres plaisirs en privé. Faux. Tirer quotidiennement le char de l’Etat ne les affecte pas au point de dédaigner les petits et grands rebondissements du théâtre politique au pays d’Hamlet. Fascinés par ce miroir que leur tend la télé, ils en redemandent. Ecolos, socialistes, libéraux, humanistes, ils sont accros. L’effet Borgen de toi.

Etrange tout de même, quand on sait les sacrifices consentis. La politique est un métier si âpre, si violent, un véritable sacerdoce. Avec pour dommage collatéral, très souvent, le chamboulement de la vie privée. Nyborg perdra d’ailleurs son mari dans l’aventure. « Au fil des épisodes, elle maigrit, elle a les traits de plus en plus tirés. C’est exactement ça. Regardez Laurette Onkelinx avant et après son passage à la Communauté française : elle s’est pris dix ans dans les dents […]. La politique, ça use et ça isole. Personne n’y échappe. A part Elio », affirme dans Le Vif/L’Express de cette semaine le député socialiste wallon Hugues Bayet.

Mais que dire, alors, de l’engouement du grand public ? On prétend que les Belges sont déçus par leurs élites. La confiance ne régnerait plus. C’est le désamour. Face à l’incapacité de nos responsables à trouver des recettes miracles pour sortir de la crise et aux sacrifices infligés, le peuple se rebiffe. Et surtout il peine à y croire encore. Tant de dérapages, tant de querelles stériles. C’est l’overdose. Or, être élu, c’est être cru. Un revirement cinglant qui ne décourage pas les spin doctors des partis. Kasper, celui de Borgen, est redoutable. Toujours à l’affût d’une entourloupe susceptible de semer le trouble et de déstabiliser le jeu au profit de Nyborg. Ceux qui sévissent en Belgique ne le sont pas moins. N’ont-ils pas réussi à convaincre leurs patrons que, désormais, la parole et l’apparence primaient sur les actes ? Pour preuve, cette confidence de la députée fédérale Caroline Gennez, ex-présidente du SP.A, à notre magazine : « Je constate que les hommes et les femmes politiques les plus populaires, ce sont ceux qui jouent un rôle, pas ceux qui ont de vraies convictions. » Terrible aveu d’une personne qui a exercé le pouvoir au plus haut niveau. Et qui en dit long.

CHRISTINE LAURENT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire