Nicolas De Decker

Bart De Wever, une certaine idée du pigeon

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Lorsque le vieux monde se meurt, que le nouveau monde tarde à paraître et que dans ce clair-obscur surgissent les monstres, deux morales s’affrontent jusqu’à ce que la nouvelle dépasse l’ancienne, jusqu’à ce que la culture littéraire marque le pas contre celle des panneaux Facebook et, enfin, qu’une race d’hommes politiques succède à une autre.

A ce jeu d’échecs de l’ancien contre le nouveau, Charles Michel et Bart De Wever ont récemment disputé une partie aux manières de grand renversement moral, où l’ancien, d’ailleurs, prend des airs de moderne tandis que le nouveau se donne des prétentions de classique. Ainsi de cette analogie de la politique comme un grand échiquier. Toute la vie de Charles Michel, comme le joueur d’échecs de Zweig, l’a contraint à une excellence stratégique qui en fait un praticien opiniâtre de coups brillants. Son excellence, bien sûr, le mène parfois à des tentatives à la licéité contestable.

Mais qui ne vise jamais qu’un but régulier : piquer le roi de l’adversaire, fût-ce en déplaçant des pièces en cachette, en tapant sous la table les tibias d’en face, en soudoyant les arbitres ou en simulant un malaise momentané. Lorsque Charles Michel décide, contre toute logique institutionnelle, de roquer, entre gouvernement et Parlement, le lieu de validation du pacte de Marrakech, lorsqu’il annonce, contre toute logique formelle, vouloir y faire un tour à titre personnel, ou lorsqu’il renonce, contre toute logique institutionnelle, à demander la confiance à la Chambre avant d’entamer une nouvelle partie, Charles Michel triche. Mais aucun de ses déplacements, ni les angles dingues de ses cavaliers ni les diagonales voilées de ses fous, ne le dévie d’un but légitime, pensait-il admis par tous les participants : continuer à diriger ce pays comme il le dirigeait depuis quatre ans et demi, en piquant le roi de l’opposition de gauche avec l’appui de la N-VA.

Bart De Wever, ce n’est pas vraiment ce stratège, ni ce législateur, ni ce censeur, ni ce philosophe.

Mais la N-VA n’est pas un participant ordinaire, et son président non plus. Bart De Wever, cet homme dont Theo Francken dit qu’il joue aux échecs avec cinq coups d’avance, ce stratège qui se prétend oint d’une patine d’antique, ce législateur qui fait croire qu’il a lu Burke et que ce sont les autres qui sont contre les Lumières, ce censeur qui s’allie avec des socialistes qu’il avait établis en ennemis absolus, ce philosophe qui jette au contemporain inattentif une érudition qui n’est que tartarinade, cet homme, Bart De Wever, joue en fait aux échecs comme dans une citation pour panneaux Facebook. Car Bart De Wever, ce n’est pas vraiment ce stratège, ni ce législateur, ni ce censeur, ni ce philosophe. Bart De Wever, c’est ce pigeon sur cet échiquier dont l’adversaire cherche à comprendre la tactique, mais qui va renverser toutes les pièces d’un coup de bec arrogant, se percher sur le crâne opposé et y déposer une fiente méprisante. Parce que Bart De Wever, il s’en fout s’il casse tout, s’il perd toutes ses pièces, si le roi est en échec, si l’échiquier se renverse, si son adversaire se met à rigoler et si son partenaire se met à pleurer. Les autres, même les plus fins, même les plus tricheurs, ne s’en foutent pas. Alors, eux, ils perdent à tous les coups et, à la fin, il y a de la fiente qui tache leur beau costume bleu foncé.

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