Rosanne Mathot

Baby-Boom on the rocks

Rosanne Mathot Journaliste

Le Café Geyser : un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d’observation. Et un tiers de réalité. Où il est question d’un vampire, d’eau salée, d’Elon Musk et du crépuscule bleu martien.

Bien sûr qu’il y avait de la vie, sur Mars, puisqu’on l’avait inventée. Mais sous le feu nourri de la réalité, il y a près d’un an, la vie extraterrestre s’est écroulée dans une flaque de boue toxique. Livrée aux bûchers dévorants des images de la Nasa, la 4e planète de notre système solaire ne devait jamais rencontrer de 3e type. Faut croire que deux suffisaient. A l’acmé de l’automne terrestre dernier, donc, c’est avec une trépidation toute primesautière que les Américains nous ont livré un baril d’eau chlorée. C’était sinistre. Ils ont trouvé ça glorieux. Sur le comptoir du café, ils ont posé leur barrique spatiale et se sont mis à distribuer de l’eau martienne à la cantonade, dans des tout petits verres pleins d’étoiles. Très vite, tout le monde s’est retrouvé aux urgences. Ce n’est pas rien, une intoxication au perchlorate de sodium. Depuis, le baril américain est banni de la carte. De temps à autre, le café fait une exception et sert prudemment un godet d’eau de Mars à la mémoire de Georges Moustaki, le seul homme au monde qui fut capable d’en boire tout en chaloupant du gosier sur un air de bossa.

Alors que les Bruxellois faisaient gémir tripes et boyaux dans tous les hôpitaux de la capitale belge, sur Mars, c’était carrément l’hécatombe. La Bérézina, Waterloo et le génocide arménien tous réunis par un jour de grand vent, un jour triste de sirocco polaire : des civilisations entières, issues de 150 ans de littérature d’anticipation, étaient englouties dans une flaque d’eau empoisonnée, précipitées dans une agonie aussi éphémère qu’invisible. Finalement, peu de choses laissent suinter autant de tragique et d’exterminante vulgarité qu’une goutte d’eau martienne.

Dès l’annonce de la Nasa, le capitaine John Carter a plongé dans un canal, respectant à la lettre le folklore local. Le spectre d’Orson Welles s’est agité à la radio. Les hominidés à la peau verte ont pelé de dépit sur le champ. Celui de Mars. Pas de Paris. Flash Gordon et David Vincent sont allés se rhabiller. Quant à la sculpturale Dejah Thoris, elle nous a fait la grâce de rester en petite tenue, dans le crépuscule bleuté du ciel martien. Ça lui va bien.

Depuis un an, Mars a continué à étirer ses inquiétantes étendues stériles râpées en rafale par des vents poussiéreux. La planète rouge a offert à l’indiscrétion du rover américain l’échancrure indécente de ses paysages si désolés qu’ils ont forcément quelque chose à se reprocher. Les eaux martiennes ont gardé la pose, dans une atmosphère aussi dioxinée que l’haleine de nos poulets de batterie. Le sel a continué à tendre sa toxique blancheur vers un dieu hypothétique, pour lui demander les grands secrets de la vie. Peine perdue. C’est vers Elon Musk qu’il aurait évidemment dû se tourner.

Grâce au ciel, dès la fin de ce mois-ci, le génie du voyage interplanétaire devrait éblouir le monde, en expliquant comment il compte repeupler Mars avec l’Homme du XXIe siècle. Werner Herzog et son Nosferatu de cauchemar devraient être de la partie, celle qui devra amener l’humain à faire hoqueter massivement des poussettes sur les flancs rêches des montagnes extraterrestres.

On voit mal comment ces deux-là pourraient être d’une quelconque utilité dans le baby-boom martien. Car s’il existe au monde un comble de la tristesse, ce serait de voir une caméra filmer des fesses de nourrissons emmaillotées dans de grands et vieux langes de satin rouge et noir.

Mais c’est pas tout ça. L’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait quand même pas de louper le film qui va démarrer à 20 h 15 sur la Une !

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