Le 13 août, Egbert Lachaert (Open VLD), Georges-Louis Bouchez (MR), Meyrem Almaci (Groen), Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet (Ecolo) publiaient un communiqué commun, au nom des familles écologiste et libérale. Le 18 août, Egbert Lachaert était nommé par le roi. © BELGAIMAGE/ PHOTONEWS

Axe bleu-jaune, axe vert-rouge, axe bleu-vert: dans quel axe se trouve la Belgique de 2020?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

De l’axe MR-N-VA de Charles Michel au communiqué commun bleu-vert du jeudi 13 août, presque tous les partis ont changé, en un an et demi, de partenaire privilégié. Toujours avec la N-VA comme aimant ou comme repoussoir.

Dans le 1984 de George Orwell, les trois grandes puissances mondiales, l’Estasia, l’Eurasia et l’Oceania, se livrent une guerre éternelle. Elles changent périodiquement d’alliance, et les employés du Ministère de la Vérité, dit Miniver, sont chargés de récrire un journal unique, mais actualisé en permanence, pour laisser croire que l’alliance du moment a toujours existé.

Ici, ce n’est pas 1984, parce qu’il n’y a pas de Miniver.C’est la Belgique de 2020. Il y a bien, sur les réseaux sociaux, des militants qui effacent dès que possible leurs publications passées, gênantes parce qu’en contradiction avec la ligne actuelle de leur parti. Mais il y a aussi des journalistes, payés pour extirper les morceaux de vérité que submergeraient, sinon, les vagues incessantes des novlangues partisanes. A cet égard, ces dernières semaines auront vu monter et descendre si vite tant de marées que les contempler sans entraînement ferait risquer l’épilepsie à l’observateur mal entraîné.

Voici comment, en un an et demi, les tempêtes ont fait bouger des axes entre plusieurs impuissances.

L’axe bleu-jaune a fondu

Charles Michel avait engagé, à l’été 2014, son parti à s’associer aux nationalistes flamands de Bart De Wever. Malgré le départ de ceux-ci en décembre 2018, forçant Charles Michel à la démission, les libéraux francophones ont, avant et après les élections de mai 2019, toujours affiché leur préférence pour cette collaboration.

Cette question aura même été, dans la campagne qui opposa Denis Ducarme à Georges-Louis Bouchez pour succéder à Charles Michel à la tête du MR, la seule véritable différence stratégique entre les deux concurrents. Denis Ducarme voulait installer le MR à « équidistance » de tous les autres partis, N-VA comprise, Georges-Louis Bouchez voulait donner la priorité à l’ancien allié nationaliste.

Et de fait, une fois élu président, Georges-Louis Bouchez employa à plusieurs reprises toute son influence pour faire revenir la N-VA dans le jeu fédéral, entre novembre 2018, lorsqu’il empêcha Paul Magnette d’avancer plus loin vers son arc-en-ciel, et juillet 2019, lorsque son coup de bluff de « l’Arizona », avec la N-VA mais sans PS, enterra l’idée de Paul Magnette et Conner Rousseau (SP.A) d’un gouvernement minoritaire rassemblant les trois familles traditionnelles.

Bart De Wever, bien serré le long de cet axe, avait au printemps 2019 émis deux veto ciblant simultanément écologistes et socialistes francophones, qui formaient du reste eux-mêmes un axe aux apparences d’éternité. Il s’est depuis montré « disponible » pour entamer des discussions avec les socialistes, encouragé en ce sens par les libéraux francophones et flamands. Les discussions à peine entamées, Bart De Wever remercia dès le 31 juillet ses partenaires privilégiés libéraux en proclamant un veto à l’endroit du MR.

Le nouveau président de l ‘Open VLD, Egbert Lachaert avait mené, et gagné, la campagne présidentielle de son parti en affichant sa prédilection pour un gouvernement fédéral avec les nationalistes flamands. Comme les socialistes semblaient conditionner une éventuelle alliance avec la N-VA à la relégation de l’Open VLD dans l’opposition, Egbert Lachaert s’attela à consolider le lien avec le MR, croyant l’axe MR-N-VA éternel. Le 31 juillet, Bart De Wever proclama que non. Il en fut humilié.

L’axe bleu-jaune avait fondu.

L’axe vert-rouge est tordu

Elio Di Rupo avait annoncé, en novembre 2017, la conversion de son parti à l’écosocialisme. Son successeur Paul Magnette était réputé encore bien plus écologiste. A Charleroi même, où ils n’étaient pas nécessaires arithmétiquement, les verts étaient montés au collège, à l’initiative du bourgmestre. Tout le long des négociations wallonnes, Paul Magnette, pas encore président, et Jean-Marc Nollet, déjà coprésident, tentèrent d’éviter de devoir compléter leur tricot rouge-vert d’une laine bleue. Ils demandèrent au CDH, qui alors choisit l’opposition. Ils demandèrent au PTB, qui alors choisit l’opposition. Ils demandèrent à « la société civile », qui n’avait rien à voir là-dedans. Ils durent donc accepter de demander au MR, qui lui-même dut accepter des écologistes qui, arithmétiquement, n’étaient pas nécessaires dans cette configuration.

Depuis, les verts ont suivi les rouges sur le terrain fédéral. Ils tenaient le même cap dès lors que les deux avaient proclamé la même exclusive, celle de ne pas vouloir de la N-VA au gouvernement fédéral. L’axe souffrit d’une première torsade en mars, lorsque Paul Magnette tenta tout de même de nouer avec Bart De Wever un accord pour un gouvernement d’urgence. Jean-Marc Nollet, avec d’autres, l’en empêcha.

Cet été, toutefois, Paul Magnette a retenté le coup. Il a voulu mettre les verts dedans. Mais ils avaient émis un veto et ils l’ont gardé. Bart De Wever, lui, avait émis deux veto, il les a reniés. Paul Magnette, lui, avait émis un veto, il l’a renié.

L’axe rouge-vert désormais est tout tordu.

L’axe bleu-vert impromptu

Egbert Lachaert, Georges-Louis Bouchez, Jean-Marc Nollet, Rajae Maouane et Meyrem Almaci ont publié, jeudi 13 août, un communiqué commun au nom des familles écologiste et libérale. Ils étaient ennemis, surtout côté francophone. Ils sont désormais alliés parce que les ennemis de leurs ennemis sont leurs amis, que l’ancien ami des libéraux, la N-VA, ne l’est plus, que l’ancien ami des écologistes, le PS, ne l’est plus, et que ces anciens ennemis semblent désormais amis. Le compromis que les amis de l’été, PS et N-VA, disaient avoir noué, échangeait quelques bouchées sociales contre des becquées institutionnelles. Il était objectivement impossible à nouer, puisqu’il leur fallait pour ça une majorité impossible à trouver. Mais en retour ils ont rapproché libéraux et écologistes.

A quelle solidité peut prétendre cette nouvelle alliance, dont le rejet de la N-VA aura été le moule, et l’opposition à des régionalisations à tous crins le minerai ? Faible, sans doute. Egbert Lachaert hésite. L’axe sera fragile tant verts et bleus ont peu en commun. Mais il pourrait être suffisamment raide pour durer le temps de trouver une majorité. Beaucoup dépendra de la trajectoire du CD&V qui, depuis un an et demi, est le seul parti à n’avoir pas encore changé d’alliance privilégiée, et dont l’ultime mouvement sera décisif.

Et si c’était lui, Big Brother ?

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