Thierry Fiorilli

Aux « moins » intensifs: « aussi que moins il reste de chacun, et plus il reste de tous » (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Son nom est « moins ». Il s’affiche, en caractères hurlants, à tous les coins de rues, sur tous les écrans et par-delà toutes les frontières. « Moins » a colonisé rapidement chaque pli du quotidien: moins de contacts, de déplacement, de rassemblements, …

Cinq lettres. Adverbe. Les termes et les notions employés pour expliquer sa signification ou son usage ressemblent à ces colonnes de prisonniers, encore en treillis militaire mais désarmés, mains jointes derrière la nuque et escortés par ceux qui les ont défaits. Il y a là de l’inférieur, du de valeur moindre, du qui exprime une restriction, de l’en deçà, du soustrait, de la partie retranchée, du négatif, du qui n’a pas le niveau. En français d’ailleurs, on a fait du mot latin qui l’a engendré un substantif très peu glorieux puisque ses synonymes sont « freluquet », « gringalet », « imbécile », « crétin », « idiot », « dégénéré ». Bref, on ne tient pas vraiment là un champion du monde, un sex-symbol ou un esprit de folle envergure.

Une aubaine, inespu0026#xE9;ru0026#xE9;e. Aussi vrai que moins par moins u0026#xE9;gale toujours plus. Et que moins il reste de chacun, et plus il reste de tous.

Mais c’est lui qui est devenu cette année, brutalement, le régisseur de nos existences. Le sauf-conduit pour la victoire. Le passeur vers les terres promises. Et en même temps le type qui fait le guet, dans le mirador, en haut des barbelés dressés tout autour de nos horizons. Son nom est « moins » (du latin minus). Et il s’affiche, en caractères hurlants, à tous les coins de rues, sur tous les écrans et par-delà toutes les frontières. Parce que, pour éviter l’hallali, il faut désormais:

– moins de contacts

– moins de déplacements

– moins de rassemblements

– moins d’école

– moins de proximité

– moins de fêtes

– moins d’étreintes

– moins de magasins

– moins de visites

– moins de besoins

– moins d’ailleurs

– moins de nuit

– moins de places to be

– moins tenter le diable.

On en oublie. Plein. Tellement « moins » a colonisé rapidement chaque pli du quotidien. Qui fonctionnait jusque-là à une cadence totalement inverse (« Plus, plus, plus, plus, encore plus, plus, plus, toujours plus, plus, plus! »). De quoi se persuader, pour beaucoup qui n’arpentaient que le versant ensoleillé de la plusocratie, d’être réduits à rien – et on n’évoque pas les effets financiers de ce retour de flamme. De s’étioler sous régime d’ablation.

A ceux-là, comme aux autres, on doit rappeler, pour ne pas sombrer, que c’est des plus hermétiques impossibilités que naissent les plus beaux possibles. Qu’il y a ici une aubaine, inespérée, de (re)trouver enfin la part de la vie qui importe réellement dans le tourbillon de ce qui en fait ne vaut pas tripette, pauvres billes s’entrechoquant inutilement au fond d’une poche.

Aussi vrai qu’en maths, moins par moins égale toujours plus. Et que, pour paraphraser Romain Gary dans Clair de femme, ode au couple absolument adaptable à une population, « moins il reste de chacun, et plus il reste de tous ». Et il en connaissait un bout, lui, tant en summums qu’en catacombes, en ravissements comme en abysses, en ivresse de l’opulence et en amoncellement de vides. En stratégies pour déjouer la médiocrité des choses, et des gens. Et pour profaner le malheur.

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