François-Xavier Druet

Autonomie des écoles ? Leurre ou impuissance rédhibitoire ?

François-Xavier Druet Docteur en Philosophie et Lettres

Après une période d’accalmie, on reparle beaucoup du Pacte d’excellence. Pourquoi le Pacte d’excellence s’embourbe, tel est le titre d’un article paru aujourd’hui dans La Libre Belgique.

Il relève des causes possibles : le nombre des acteurs, une compréhension insuffisante des équilibres, le flou de la réforme, le profond ras-le-bol du secteur, le rythme trop accéléré de l’opération par rapport au « temps de l’école ». Mais peut-être une raison fondamentale chapeaute-t-elle, en quelque sorte, toutes les autres ? L’extrême difficulté, pour le monde de l’enseignement, de croire que cette réforme-là se réaliserait dans un esprit de participation et de respect des libertés, alors que, depuis des (dizaines d’) années, le caporalisme est plutôt la règle.

Comment espérer retrouver, à tous les niveaux, l’autonomie d’action qui conditionne tout enseignement ? Comment croire que les actes suivront les déclarations d’intentions ? Car le Pacte d’excellence ne le nie pas : l’autonomie des écoles et de ses acteurs est une clef vers l’excellence. Dans bien des pays, dont la Finlande, auréolée de ses succès aux enquêtes PISA, et le Canada, réputé pour ses recherches en pédagogie, la qualité de l’enseignement est mise en corrélation étroite avec l’autonomie des chefs d’écoles.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, quel sera le poids de cette donnée quand le Pacte entreprendra d' »améliorer l’efficacité de la gouvernance » ? Comment s’y prendra-t-il ? Écoutons-le : « En améliorant et modernisant le pilotage pédagogique de l’enseignement par l’administration et les établissements et en déployant la culture de l’évaluation ; en optimalisant, simplifiant et modernisant l’organisation de l’enseignement et des établissements, en renforçant les partenariats, l’efficacité de la gestion des écoles, la diminution de leurs coûts de fonctionnement, en densifiant la formation, l’accompagnement, le soutien au management, l’autonomie et la responsabilisation des responsables d’établissements » (sic).

Vous le constatez : cette tortueuse définition de moyens englue l’autonomie dans un magma d’autres considérations. Faut-il en déduire que l’autonomie reste un détail dans le projet des « gouvernants » ? C’est à craindre, si l’on regarde comment sont traités, sur le terrain, les chefs d’établissements appelés à l’autonomie. Il suffit d’observer.

Un décret nouveau, appliqué au 1er septembre 2016, redéfinit les titres requis et suffisants pour enseigner les différentes branches. Les directeurs sont-ils suspects de vouloir abuser de la situation ? Pour engager un professeur au titre suffisant, le directeur doit produire un « procès-verbal de carence », prouvant qu’aucun professeur avec le titre requis n’est disponible. Le temps de navigation sur un site web qui connaît ses ratés de jeunesse, il le consacrait auparavant à recruter des enseignants en résonance avec le projet de son école. Recul de l’autonomie. Et retard dans les engagements, qui laisse les élèves en stabulation libre, les « privant » de milliers d’heures de cours.

S’agit-il d’exclure un élève ? Les « gouvernants » se croient tenus d' »encadrer ». Comme si une école excluait un élève à la légère plutôt que par nécessité absolue et en désespoir de cause. Tout en disant ne pas pointer du doigt les écoles et les directions, la Ministre veut assurer « un réel travail éducatif » avant toute exclusion. Comme si ce n’était pas le cas très majoritairement. Comme si un décret allait pouvoir instaurer la souplesse et l’inventivité indispensables pour aborder des cas forcément très particuliers. Et voilà que ressurgit l’idée de « chambre de recours externe ». Dans le genre de celle qui examine les recours contre les décisions des conseils de classe ? Pour quel gain d’autonomie ? Et pour quel bien pédagogique ?

Deux travers récurrents de la « gouvernance » transparaissent ici.

Face à (quelques) abus, on pénalise l’ensemble des acteurs par un système de contrôle, au lieu de cibler les abuseurs. Ainsi réforma-t-on les congés de maladie des enseignants, plutôt que de détecter et de contrer les fausses déclarations. En oubliant que les fraudeurs nés sont les premiers à détricoter tous les filets de protection et à contourner tous les systèmes.

Seconde tendance néfaste et ennemie mortelle de l’autonomie : la suspicion érigée en méthode. Sa conséquence inéluctable ? La volonté irrépressible de tout contrôler. Celle-ci contribue largement au stress qui s’est emparé de bon nombre d’enseignants et aggrave l’absentéisme, en particulier des plus âgés. Savez-vous que deux inspecteurs peuvent passer une semaine de leur temps dans une école secondaire pour vérifier comment sont organisées les activités complémentaires – deux heures par semaine au premier degré ? Le jeu en vaut-il la dépense ? Ne peut-on « optimaliser » les coûts de fonctionnement en période de vaches maigres, en misant sur l’autonomie responsable ?

La question se pose donc. En faisant miroiter l’autonomie la « gouvernance » cherche-t-elle malignement à leurrer le monde de l’enseignement ? Ou est-elle sincère, mais aveugle sur son impuissance récurrente à faire confiance ?

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