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Au zinc des prophètes: nous avons « réuni » Jésus, Marx, Freud et Friedman dans un café bruxellois

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Jésus-Christ, Karl Marx, Sigmund Freud et Milton Friedman assis dans un café bruxellois en train de boire des verres et de discuter du monde comme il va. Cela n’est jamais arrivé et, pourtant, Le Vif/L’Express a fait comme si ça se passait vraiment.

L’idée était venue de Marx. Il avait gardé de bons souvenirs de Bruxelles, et était l’organisateur de la bande, fonction à laquelle il s’adonnait avec son impérieux entrain de germanique en exil. Il avait habité à quelques dizaines de mètres de là, de l’autre côté des anciennes fortifications, à la rue de l’Alliance, à Saint-Josse-ten-Noode, et cette place de la Liberté lui plaisait, avec sa statue de Charles Rogier au milieu, ses noyers du Caucase, ses petits caberdouches aux vitres propres et les quatre rues qui y convergeaient, nommées en hommage aux libertés constitutionnelles (les Cultes, la Presse, l’Enseignement et l’Association).

Marx avait lancé l’invitation dans leur groupe WhatsApp commun, et il avait choisi de leur donner rendez-vous chez Marina, sur le coin de la rue des Cultes. Marina plaçait des posters du Sporting d’Anderlecht sur les murs, toutes les fois où ils étaient champions. La DH du jour était toujours sur le comptoir, et son mélange de cacahouètes semblait avoir été conçu pour sublimer les propriétés nutritionnelles de la Jupiler, servie dans des verres à 33 cl si parfaits qu’ils ne collaient même pas aux doigts les plus rétifs au gel hydroalcoolique. Tous les quatre, ils s’entendaient bien depuis longtemps.

J’ai entendu dire qu’en Belgique le chef du gouvernement était asexué. C’est donc bien le cas de Sophie Wilmès aussi.

Ils aimaient se boire quelques coups ensemble, ils trouvaient toujours des trucs à se dire, et puis, comme ils étaient tous déjà morts, ils n’avaient pas grand-chose à craindre du coronavirus.

Freud avait été le dernier à répondre à l’invitation. C’était le plus sombre des quatre, et celui qui avait eu le plus à souffrir des conséquences d’une épidémie. En 1920, la grippe espagnole avait emporté sa fille de 25 ans, Sophie, enceinte d’un troisième enfant.  » Nous n’avons pas surmonté cette monstruosité que des enfants puissent mourir avant leurs enfants « , avait-il écrit plus tard à son ami Binswanger, et toute sa vie ce souvenir amer l’avait accompagné. Mais il avait tout de même fini par accepter. Il avait besoin de se distraire et le riesling que servait Marina était, disait-on, des plus recevables.

Enfin donc ils s’y étaient retrouvés tous les quatre, chez Marina, ce vendredi-là en début de soirée, devant une télé- vision qui annonçait bientôt une conférence de presse de Sophie Wilmès. Karl Marx, Milton Friedman, Sigmund Freud et Jésus-Christ étaient assis autour d’une table carrée. Et comme Marina venait leur servir une énième tournée déjà, Marx finissait de sa voix forte une de ses prétentieuses tirades. Il était très content de la série sur la Belgique, qu’il avait fait paraître dans sa Nouvelle Gazette rhénane en 1848.  » Un Etat constitutionnel modèle « , il disait, en regardant la statue de Rogier, dont l’exécutif ne fut qu’un  » ministère de capitalistes, de banquiers, un ministère de la haute bourgeoisie « .

Au zinc des prophètes: nous avons
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La pauvreté nationale

 » Je l’écrivais dans La Nouvelle Gazette rhénane du 22 octobre 1848, d’ailleurs, dit-il : « Le ministère libéral traite avec la même tendre sollicitude les intérêts des seigneurs terriens, des barons de la finance et des laquais de cour. Rien d’étonnant à ce que sous sa main habile, ces soi-disant partis fondent avec la même avidité sur la richesse nationale ou plutôt, en Belgique, sur la pauvreté nationale, et qu’à cette occasion ils en viennent parfois aux mains, ni à ce que maintenant, tous réconciliés dans une embrassade générale, ils ne forment plus qu’un seul grand parti, le parti national » et vous allez voir que cette Première ministre libérale soutenue par tous les partis, dont la télévision nous dit qu’elle est en train de fignoler son PowerPoint, va annoncer des mesures qui feront honneur à son « comité chargé de gérer les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière », comme je l’écrivais je ne sais plus où, et qu’elle présentera comme servant l’intérêt général, oh, merci Marina « , dit Marx en tournant sa Jupiler 33 toute fraîche comme s’il voulait la visser dans son sous-bock.

–  » Je n’y crois pas, à tous tes trucs, Karl, dit Jésus, qui s’animait toujours plus à chaque demie San Pellegrino plate engorgée. En vérité je vous le dis, et je le disais déjà dans Matthieu, 19, un riche entrera difficilement au royaume des Cieux. Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. Donc inutile de te tracasser : le royaume est promis aux plus pauvres « , et il prit une poignée de cacahouètes et de grosses goulées de Sanpé, parce que sa parabole lui avait donné faim et soif.

–  » Je suis d’accord avec votre but, les amis, mais pas avec vos moyens « , dit Milton Friedman en mâchant l’olive énoyautée que Marina mettait toujours dans son Martini.  » Et à cet égard il me semble que ce gouvernement prépare de bien funestes initiatives.  »

–  » Moi je l’aime bien Sophie Wilmès, elle est chouke, je lui fais confiance « , dit Marina depuis le bar où elle notait sur son petit carnet l’énième tournée des quatre prophètes, c’est comme ça que Marx avait baptisé leur groupe WhatsApp.

Freud, qui revenait en serrant les mâchoires des toilettes du fond, entendit Marina, se rassit et dit que c’était tout de même curieux comme la Belgique francophone, en ces temps de crise émotionnelle, semblât verser dans la sublimation d’une figure féminine, alors que c’était généralement vers une figure paternelle que, comme dans la horde primitive, se réfugiaient les aspirations à l’autorité. Aspirations du reste contradictoires car elles poussaient inévitablement à vouloir le tuer, le père, parfois pour de vrai mais le plus souvent symboliquement.

L’objet sexuel

–  » A ce titre je ne serais pas étonné que votre confiance laissât d’ici peu place à la haine, chère Marina « , dit-il en commençant par réflexe à tourner sur sa chaise, comme s’il avait lu ce sondage du Standaard dans lequel la confiance à Sophie Wilmès était, en Flandre, passée, sur le temps du mois d’avril, de 53 à 30 %.  » Mais je vous accorde que cette puissance totémique conférée à Sophie Wilmès, une femme, a de quoi surprendre. Car comme je l’écrivais dans Psychologies des foules et analyse du moi,  » le père originaire est l’idéal de la foule qui domine le moi à la place de l’idéal du moi « …

Chez nous, c’est de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins.

–  » Et pourquoi pas le mois de l’idéal ?  » lui demanda Marx, qui aimait les chiasmes et à qui les réflexions toujours très crues de Freud sur l’inconscient, au fond, faisaient peur.

–  » J’ai entendu dire qu’en Belgique le chef du gouvernement était asexué. C’est donc bien le cas de Sophie Wilmès aussi. D’ailleurs, je l’écris un peu plus loin dans Psychologie des foules et analyse du moi, dans une foule, dans une société de masse hiérarchisée, dans une Eglise ou dans une armée, il n’y a pas de place pour la femme comme objet sexuel « , répondit Freud, plutôt à lui-même qu’à son compagnon.

–  » Et voilà qu’il repart dans le glauque… T’as pas fini de raconter ces saletés devant une dame ?  » lui cria Marx en montrant Marina, qui en avait entendu d’autres.

Freud, vexé, se tourna fermement sur sa chaise, comme il faisait quand il était énervé et qu’il faisait croire qu’il voulait écouter ce qu’on disait. Par la grâce d’une de ces associations d’idées dont il avait le secret, il décida de compléter sa grande gorgée de riesling frais d’une bouffée de cet Exquisito cubain qu’il sentait gonfler la poche intérieure de sa redingote. Il l’alluma dans un grand pouf-pouf, et Marina ne dit rien, peut-être parce que Marina les laisserait tous fumer exceptionnellement, même Marx avec ses petits cigarillos puants, mais peut-être aussi parce que tout cela n’est pas vraiment arrivé.

Friedman, qui avait fini son Martini, fit un petit signe à Marina, qu’elle reçut d’un trait de crayon sur son carnet. Il n’avait pas trop écouté ses copains, là : au contraire de Marx, les hypothèses de Freud l’intéressaient peu, et les paraboles de Jésus l’indifféraient. Et puis il était très attentif à ce que Sophie Wilmès avait commencé à dire à la télévision.

Les médecins sans diplôme

–  » Je suis bien sûr d’accord avec les objectifs de cette madame Wilmès, mais pas du tout avec les moyens qu’elle emploie pour y arriver, dit-il en pointant l’écran de télévision du doigt. Cette crise sanitaire est un prétexte à une intervention massive de l’Etat dans l’économie. Le marché du travail est gravement distordu par les coups de boutoir d’un endettement public délirant. La création monétaire, par laquelle des dizaines de milliers de chômeurs sont payés à ne rien faire, entrave le libre jeu de la concurrence. On est reparti sur le chemin de la servitude. Et comme dirait mon ami Hayek …  »

–  » … La servitude du chemin, oui !  » l’interrompit Karl Marx.  » Tu ne vois donc pas que cet argent n’est distribué que pour maintenir l’appareil de production capitaliste intact ? Que cette aumône n’est que provisoire ?  »

–  » There is nothing so permanent as a temporary government program, my dear Karl « , dit-il avant de re- plonger son nez dans son Martini.

–  » Tout le surplus dégagé par l’ensemble des producteurs entre directement dans les poches des détenteurs du capital. Et toutes les allocations étatiques y retournent, puisque les grandes familles propriétaires des grands moyens d’échange et des supermarchés ont augmenté leurs prix et les cadences d’un personnel qui plus n’a rien d’autre à perdre que ses chaînes, comme je disais avec Engels à l’époque « , s’emporta- t-il en laissant tomber les cendres de son mauvais cigare sur le mauvais velours de son pantalon.

– Ca c’est vrai, chouke, dit Marina, à qui les courses au Colruyt, toujours les mêmes (un peu de fromage, du café, quelques fruits, un pain complet et du filet américain), coûtaient de plus en plus cher depuis quelques semaines.

–  » Et l’Etat, reprit Marx, il gâte tellement les travailleurs qu’il n’a rien trouvé de mieux que la coercition pour les faire travailler : ils ont envoyé l’armée dans les hospices, et ils voulaient réquisitionner le personnel médical !  »

–  » Mais, Karl, je suis d’accord avec ces objectifs de disposer d’assez de capital humain pour soigner les malades, mais pas avec ces moyens. C’est encore parce que l’Etat se mêle de tout qu’il y a des pénuries, y compris dans le monde médical. Comme je l’explique dans Capitalisme et liberté, c’est parce que l’Etat impose aux médecins l’obtention d’un diplôme reconnu par les autorités pour pouvoir prester qu’il y en a si peu, et qu’on les paie si cher…  »

–  » Des médecins sans diplôme ?  » demanda Freud en se retournant.  » J’ai certes mis huit ans plutôt que cinq à obtenir mon doctorat en médecine de l’université de Vienne, et j’ai moi-même plaidé, dans La Question de l’analyse profane, pour que la pratique de la psychanalyse soit ouverte aux non-médecins. Mais il s’agissait de traiter par ces méthodes les névroses et les psychoses, pas de soigner une inflammation pulmonaire, ni de contenir une épidémie, mon cher Milton…  »

Le sourd de Décapole

–  » Un diplôme ?  » Jésus, qui commençait à avoir les yeux mi-clos comme quand il a bu trop d’eau, tapa le fond de son verre sur la table en criant.  » Milton a raison ! Est-ce que j’ai eu besoin d’un diplôme, moi, pour Lazare ? Ou pour le possédé de Capharnaüm, qui est dans Luc 4, 31-37 ? Ou pour le sourd de Décapole qui est dans Marc 7, 31-37 ? Hein ? Alors ? J’avais un diplôme ? Hein ? Hein ?  »

Freud faillit lui dire que non, qu’il n’avait pas de diplôme de médecine mais qu’il avait reçu un sacré piston de son père pour exercer, mais il se retint. Il savait combien, avec Jésus, la question de l’OEdipe était compliquée à gérer, et se méfiait du retour de son refoulé. Surtout quand il en était à sa troisième bouteille de Sanpé. Alors il se tut. Il avait d’autant moins besoin de parler que Marina avait sorti une nouvelle quille de riesling du frigo.

–  » Mais ça aussi, Sigmund, je le dis dans Capitalisme et liberté « , répondit Friedman, qui savait aussi qu’il valait mieux ne pas entrer dans ce genre de débats avec Jésus quand il avait bu autant de San Pellegrino.  » On peut soutenir que si le médecin soigne mal son malade, il peut déchaîner une épidémie qui nuira à des tierces parties qui ne sont pas impliquées dans la transaction immédiate. En pareil cas, il est convenable que chacun, y compris le médecin potentiel et son client, puisse être prêt à admettre la restriction à des gens « compétents » de la pratique de la médecine, afin d’empêcher que ne surviennent de telles épidémies « , comme je l’écrivais, et je suis bien sûr d’accord avec ces fins. Beaucoup moins avec vos moyens. Car il n’empêche que la situation sanitaire actuelle de la Belgique ne démontre en rien la supériorité d’une pratique de la médecine sous patentes. En Belgique, médecins et soignants coûtent cher à la collectivité, sont trop peu nombreux, et puis, que je sache, aucun d’eux n’est encore venu à bout de l’épidémie. Ce sont les entreprises privées qui trouveront un vaccin, pas les laboratoires d’Etat. Et si j’ai bien lu, le marché a été beaucoup plus efficace pour approvisionner la population en masques que l’Etat belge et ses nombreux ministres en charge…  »

Au zinc des prophètes: nous avons
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–  » L’Etat belge et sa charge de nombreux ministres « , dit Marx, dont la Jupiler de Marina démultipliait la puissance chiasmatique.  » Voilà donc le responsable de l’épidémie de coronavirus selon monsieur Milton Friedman : l’Etat constitutionnel modèle, libéral à tendance collectiviste…  »

Et c’était vrai que Milton Friedman avait cette marotte de toujours dire que si quelque chose allait mal, c’était parce que l’Etat s’en occupait.

Ça rappela une vieille histoire à Jésus, qui commanda une tournée à Marina.

L’aveugle de naissance

–  » Milton a peut-être raison, les frangins. L’Etat va trop loin, et c’est la population qui le paie. Rappelez-vous Samuel, 2 : c’est parce que David s’est mis en tête de recenser les habitants d’Israël et de Juda que le Père lui a envoyé une épidémie de peste. 70 000 morts en trois jours. « C’est moi seul qui ai péché, c’est moi le berger qui ai commis une faute. Mais ce pauvre troupeau, qu’a-t-il fait de mal ? Hou Hou Hou » « , fit-il en imitant les pleurnicheries de son aïeul David telles que racontées dans Samuel, 2 17.  » Ah ! Il avait la main leste, le père, dans sa jeunesse « , dit encore Jésus, et ses yeux mi-clos se mirent à ciller drôlement.

Freud se retourna et l’interrompit.

–  » C’est intéressant, ça. Parle-moi un peu…  »

–  » De mon Père ?  » demanda Jésus avec une lumière très blanche et très pure qui lui sortait des yeux.

–  » Ah non, surtout pas !  » crièrent les trois autres en même temps, même Marx et Friedman, qui avaient failli recracher ce qu’ils s’étaient remis à boire, parce qu’ils savaient qu’il ne fallait pas lancer Jésus sur ces complexes histoires de père et de mère. Surtout pas. Jamais.

–  » Non, non, dit Freud. Parle-moi un peu de ceux qui tombent malade. Tu crois que c’est une mesure de justice divine, alors ?  »

–  » Nos voies sont impénétrables, au Père et à moi « , dit-il en se resservant un godet de San Pellegrino.  » Mais ce n’est ni la faute des victimes, ni de leurs parents « , posa Jésus.  » Rappelez- vous Jean, 9, au moment où je guéris l’aveugle de naissance. Mes disciples me demandent si c’est lui ou ses parents qui ont péché, pour qu’il soit né aveugle, je leur dis que « ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché, mais c’est afin que les oeuvres de Dieu soient révélées en lui ». Et puis, ptiou ! je crache un coup par terre, je touille un peu, je lui mets la boue sur les yeux et clac ! C’est un miracle, il voit.  »

En racontant son histoire il faisait de grands gestes pour imiter les disciples et l’aveugle, et il avait même craché par terre, ce qui fit se rapprocher Marina. Il était tard et elle voyait que ses quatre clients commençaient à devenir comme ils étaient toujours à la fin de leurs soirées : querelleurs, bruyants et sales.

–  » Pferk  » fit Marx, en jetant son cigare de dégoût, ce qui eut pour effet d’énerver Jésus, qui n’aimait pas qu’on n’aime pas ses histoires, et Marina, qui n’aimait pas qu’on salisse son carrelage, surtout quand il commençait à être tard.

–  » Quoi pferk ?  » fit Jésus en fronçant les sourcils.

–  » Hydrophobie !  » dit Freud en se reversant un verre de riesling, mais la bouteille était vide.

–  » Quoi hydrophobie ?  » fit Marx, qui n’avait plus de bout de cigare à jeter sur le carrelage mais qui était de plus en plus énervé.

–  » Ta réaction à l’évocation de la salive de Jésus est semblable à la série associative que j’ai bien connue chez Anna O., que l’évocation de la salive rappelait à son traumatisme primitif. Heureusement, toi tu n’es pas saisi d’un énigmatique dégoût dès que se présente l’idée même de boire, hein, Karl « , dit Freud, qui ne pouvait pas s’empêcher de lancer des piques embarrassantes quand il avait bu beaucoup de riesling et qu’il n’y en avait plus.

–  » Hin Hin Hin « , ricana Friedman, qui aimait bien se moquer de Marx, surtout après une quinzaine de Martini.

–  » Les choukes, il va falloir y aller maintenant, dit Marina, qui voyait venir la bagarre. Marx se calma.

–  » Levons-nous, et partons d’ici, comme je dis dans Jean, 14 31 « , dit Jésus, qui avait son compte.

–  » Voilà. A propos de compte, comment vous vous arrangez, les choukes ?  » demanda Marina en posant le compte sur la table.  » C’est pour toi, Milton ?  »

–  » Je suis d’accord avec vos fins : il faut payer. Mais pas avec mes moyens « , lui répondit Friedman.

–  » Ah ne commencez pas avec vos citations à la con « , cria Marina, de plus en plus énervée.  » Allez Karl, c’est toi qui les as invités, tes prophètes. Tu paies.  »

–  » Mais Marina, comme tu sais, chez nous, c’est de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins. Et Engels ne m’a pas encore fait son virement habituel…  »

–  » J’ai dit d’arrêter avec vos citations ! Sigmund ? Tu as de l’argent, chouke ?  »

Le caractère anal

Freud se tassa sur sa chaise, il se racla la mâchoire et ses yeux se plissèrent. A ce pli les autres comprirent qu’il fallait vraiment s’en aller. Parce que quand Marina s’énervait il fallait vraiment s’en aller, et que quand Freud plissait ses yeux, c’était qu’il allait dire quelque chose de vraiment énervant.

–  » Voyez vous, ma chère Marina, le problème, c’est que vous êtes une anale.  »

–  » Levons-nous et partons d’ici, je vous dis « , répéta Jésus, à qui la colère de Marina rappelait celles de son père, mais en plus terribles, et les autres se levèrent. Marina serrait sa lavette dans sa main.

–  » Anale ?  » demanda-t-elle.

–  » Oui  » dit Freud en mettant sa redingote.  » Je l’ai écrit dans Malaise dans la civilisation. « Le plus remarquable exemple de ce phénomène, nous l’avons trouvé à propos de l’érotisme anal de l’être humain jeune. L’intérêt qu’il portait à l’origine aux fonctions excrémentielles, à leurs organes et à leurs produits, se transforme au cours de la croissance en un groupe de traits de caractère qui nous sont connus sous la forme du goût de l’économie, de l’ordre et de la propreté, traits par eux-mêmes appréciables et bienvenus, qui peuvent s’accentuer jusqu’à être singulièrement prédominants et donner alors ce qu’on appelle le caractère anal. » Vous n’avez pas lu Malaise dans la civilisation, chère Marina ?  »

–  » Allez, foutez-moi le camp maintenant « , hurla Marina.

Les autres étaient déjà dehors, et Freud les suivit.

Marina, elle, pouffait. Oui, en fait, ils la faisaient rire.

Elle n’était plus énervée.

Elle ne les avait pas tapés.

Ils avaient bu comme des malades. Et pourtant ils n’avaient rien payé.

C’était vraiment que tout cela n’était pas vraiment arrivé.

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