Les Assises de l’interculturalité ont rendu lundi leurs conclusions, après des tables rondes et débats organisés de septembre 2009 à juin 2010. Parmi les 68 recommandations, figure l’interdiction du port des signes convictionnels, et donc le voile islamique, dans l’enseignement jusqu’à la troisième année secondaire. Les réactions des partis francophones ne se sont pas fait attendre.
La ministre de l’Egalité des chances, Joëlle Milquet, a plaidé en faveur d’une politique d’intégration des nouveaux arrivants inspirée du modèle flamand d »’inburgering » à Bruxelles et en Wallonie.
Cette politique passera notamment par l’apprentissage, dès l’arrivée d’une personne étrangère en Belgique, de la langue de la région et des modes d’organisation sociale et institutionnelle du pays.
Cette mesure est l’un des points de la stratégie que la ministre veut mettre en oeuvre pour favoriser l’interculturalité en Belgique. Elle souhaite également élaborer un plan d’accès à l’emploi dans tous les milieux professionnels, un programme radical de lutte contre les discriminations dans tous les secteurs (emploi, logement, enseignement, police, etc.), reconnaître de nouvelles fonctions, comme celles de médiateurs interculturels. Elle veut également mettre sur pied un Conseil interfédéral de la diversité.
« L’interculturalité, ce n’est pas le communautarisme », a clamé Mme Milquet lors de la présentation des conclusions des Assises de l’interculturalité.
Selon elle, cette interculturalité qui implique le partage de normes et de valeurs communes, c’est « l’ADN de la Belgique ». Et de plaider pour un nouveau pacte entre les Belges, non seulement entre néerlandophones et francophones mais aussi entre Belges de souche ou non, et entre les Belges et les personnes de nationalité différente.
La ministre s’est aussi voulue rassurante sur les « accommodements raisonnables », aménagements quotidiens et pratiques permettant à certains groupes de vivre selon leurs convictions: il ne s’agira pas de renoncer aux principes constitutionnels, à la mixité dans les écoles ou revoir le contenu scientifique de certains cours.
Simonet rappelle la nécessité d’un texte en Communauté française
L’adoption d’un décret sur les signes convictionnels reste nécessaire, a souligné la ministre de l’Enseignement de la Communauté française, Marie-Dominique Simonet (cdH). « Ces conclusions sont de nature à faire avancer le débat. Il reste nécessaire d’adopter un décret au niveau de la Communauté française », a déclaré son porte-parole.
La Communauté française s’était saisie de la question avec la Région wallonne et la Commission communautaire française à Bruxelles avant que les élections ne relèguent le problème au second plan.
Dans ce cadre, Mme Simonet avait formulé une proposition, qui n’a pas reçu l’aval du gouvernement jusqu’à présent mais qui se rapproche d’une recommandation des Assises: autoriser le port de signes convictionnels à partir de la quatrième année secondaire si l’école elle-même décide de l’autoriser.
Les parlements des trois entités francophones avaient également mis sur pied une Commission conjointe sur la question, qui n’a pas encore rendu son rapport.
La promotion de la vision communautariste du cdH, déplore le MR
Le MR voit dans les conclusions des Assises de l’interculturalité la promotion de la vision communautariste du cdH, a expliqué le chef de groupe à la Chambre, Daniel Bacquelaine. « Manifestement, c’est bien un travail commandé par la vice-première ministre
cdH. Je ne suis pas étonné: tout va dans le sens de la vision communautariste prônée par le cdH. C’est une vision qui divise la société plutôt que de favoriser le vivre ensemble », a-t-il expliqué.
Le MR juge ainsi inapplicable la recommandation relative aux signes convictionnels dans les écoles. Il n’est pas mieux disposé à l’égard de l’autorisation du port de signes convictionnels dans la fonction publique à l’exception des agents investis d’une fonction d’autorité. « Ce rapport conteste l’impartialité du service public. Cela va tout à fait à l’encontre de ce que nous proposons », a souligné M. Bacquelaine.
Le MR ne veut pas non plus entendre parler des accommodements raisonnables, évoqués dans les conclusions, pourtant très prudentes puisqu’elles recommandent in fine de réaliser une étude sur le sujet.
« C’est tout à fait scandaleux. Cela en revient à introduire des inégalités entre les citoyens », juge M. Bacquelaine.
La recommandation sur les jours de congé est jugée « fantaisiste ». « C’est de la plus haute fantaisie. Les jours de congé ont actuellement une valeur culturelle et ne comportent plus de référence religieuse forte. Ici on la réintroduit, en créant en plus un système tout à fait inapplicable, c’est stupide et risible », a dit le chef de groupe.
Pour le MR, il n’est pas question de supprimer la référence au génocide commis par les nazis dans la loi réprimant le négationnisme. Les Réformateurs ne s’opposent pas à l’extension à d’autres génocides de la loi réprimant le négationnisme mais il demande que ceux-ci soient nommés.
Le comité de pilotage s’insurge contre les critiques du MR
Le comité de pilotage des Assises de l’interculturalité s’est insurgé contre les critiques du MR à l’égard de ses conclusions. Il s’est défendu de toute dérive communautariste.
« Le comité de pilotage est formel. Aucun de ses membres n’a subi ou même ressenti la moindre pression du cabinet de Mme Milquet au cours de ses travaux. Le comité n’est pas non plus preneur du communautarisme. Au contraire, dans le rapport, nous mettons même clairement en garde contre les dangers du communautarisme. Notre modèle, c’est l’interculturalité qui n’a rien à voir avec le communautarisme », a déclaré Marie-Claire Flobets, co-présidente du comité.
« Une attaque frontale », selon le PP
Les conclusions des assises de l’interculturalité constituent « une attaque frontale contre nos valeurs et notre histoire communes » et un « forcing pour imposer les valeurs multiculturelles et interculturelles », a critiqué le Parti populaire, qui n’y voit que quelques points positifs mineurs.
Le président du PP, Mischaël Modrikamen, pointe du doigt un rapport selon lui trop influencé par des « revendications de la communauté musulmane ».
Pour le parti de droite radicale, intégrer davantage des pans d’histoire et des points de vue d’autres cultures dans l’enseignement relève d’une volonté « inacceptable » de relativisme historique.
Pas question dès lors d’accepter que l’apprentissage « des langues des communautés marocaine ou turque » soit « mis sur un pied d’égalité » avec les langues étrangères internationales comme l’anglais, selon le PP.
M. Modrikamen s’oppose aussi à l’autorisation du port de signes religieux pour les fonctionnaires qui ne sont pas investis d’une fonction d’autorité, ainsi qu’aux arrangements raisonnables, qui constitueraient une rupture par rapport au principe d’égalité.
Il dénonce la complexité organisationnelle d’autoriser des jours fériés différenciés et une atteinte à la liberté du travail dans l’imposition de quotas d’embauche pour les travailleurs issus de minorités.
Seuls points positifs, mais « mineurs » selon le PP: l’extension de la notion de génocide à d’autres que la Shoah et le « renforcement de la lutte contre le racisme ».
Le Vif.be, avec Belga
Retrouvez le rapport complet des Assises de l’interculturalité :