Les partis traditionnels s'accommodent bien de cet "entre-soi" et donc du manque de recours juridictionnel pour les candidats aux élections mécontents. © belga image

Article 48 de la Constitution: l’inertie coupable du gouvernement

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Etre candidat aux élections: un droit fondamental. Ah, bon? Pourquoi n’avoir toujours pas révisé la Constitution, alors? La saga de l’article 48.

C’est l’histoire d’une claque sévère qu’on aurait pu éviter. Et cela risque de se répéter. L’Etat belge est-il masochiste à ce point? On pourrait le penser tant il a été prévenu à temps de réviser ce fichu article 48 de la Constitution, désuet et surtout – ce n’est pas rien – contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Vous savez, ce traité qui, depuis septante ans, protège les plus fondamentaux de nos droits et libertés et contribue à ce qu’il fasse bon vivre dans nos démocraties européennes.

Explications. L’article 48 de la Constitution belge est celui qui règle, en une ligne, la procédure de contestation lors des élections législatives fédérales: « Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet. » La même règle figure dans une loi spéciale pour les élections régionales. En clair, les candidats malheureux qui contestent le résultat électoral en arguant d’irrégularités dans le scrutin doivent frapper à la porte d‘une commission de validation du parlement, composée de… nouveaux élus. Cherchez l’erreur!

L’avocat Jean Bourtembourg, qui a défendu un candidat mécontent, décrit l’absurdité de la situation: « Cela revient à demander aux parlementaires qui inaugurent leurs nouveaux sièges de se faire harakiri en considérant que l’un ou quelques-uns d’entre eux ne sont pas à leur place et doivent dégager. A quoi ça rime? » Effectivement. Même si cette procédure de vérification est héritée du droit anglais du XVIIe siècle qui voulait alors faire du Parlement un organe souverain, l’histoire de nos démocraties et de la séparation des pouvoirs a bien évolué depuis lors. Aujourd’hui, la Belgique est un des rares pays du Conseil de l’Europe où la procédure de réclamation électorale se passe devant l’assemblée nouvellement élue, sans la moindre possibilité de recours devant un juge.

C’est davantage une négociation politique qu’un boulot de juge.

Tellement prévisible

Le 10 juillet 2020, ce fut la claque. Tellement prévisible. Dans l’arrêt « Mugemangango contre Belgique », la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné l’Etat belge pour violation de la Convention, lui imposant de revoir sa copie. Le candidat PTB Germain Mugemangango, qui, aux élections de 2014, avait manqué un siège au parlement wallon à quatorze voix près, avait demandé un recomptage qui lui avait été refusé. Il avait alors saisi la CEDH: une première en Belgique pour ce genre de contentieux. Et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a fait mouche, d’autant que même le président du parlement Jean-Claude Marcourt (PS) a été auditionné par la Cour.

Mais il n’est pas le seul à avoir été jusqu’à Strasbourg pour introduire un recours. A Schaerbeek, le grand bug informatique, lors de ces mêmes élections de 2014, avait retardé la validation du scrutin. On se souvient de l’interminable confusion que ce bug avait provoquée, avec des disquettes informatiques illisibles et la perte de centaines de votes. Finalement, sous la pression, la validation a eu lieu. Avec un acolyte de son parti et un DéFI, le candidat MR Georges Verzin, représenté par Me Bourtembourg, avait alors contesté le résultat, mais il n’avait même pas été entendu par le parlement régional. Il s’est alors tourné vers la CEDH. Et il a obtenu gain de cause, bien qu’il n’y ait pas eu condamnation dans ce cas-ci.

En effet, pour éviter un nouveau camouflet, le gouvernement belge s’est résolu, en décembre dernier, à signer une Déclaration unilatérale dans laquelle il reconnaît avoir violé la convention européenne et s’engage à modifier la procédure de validation des élections. Cette procédure particulière, qui intervient généralement après l’échec d’un règlement amiable, permet, si le requérant l’accepte, de clôturer l’affaire, moyennant le versement d’un dommage (en l’occurrence 7 500 euros à chaque candidat plaignant). C’est une bonne petite claque tout de même, que la Belgique aurait pu aussi éviter.

Arrêt Grosaru prémonitoire

L’inertie des gouvernements, en particulier celui de Charles Michel, est incompréhensible. Dans son arrêt de juillet, la Cour de Strasbourg a rappelé l’existence de textes essentiels sur le sujet, datant du début des années 2000 – ceux de la Commission européenne pour la démocratie par le droit et les rapports de l’OSCE, chargée d’observer les élections dans les pays membres du Conseil de l’Europe – prônant tous d’instaurer un recours juridictionnel (devant un juge, donc) pour les litiges électoraux. Surtout, l’arrêt « Grosaru contre Roumanie », en 2010, relevant du même type de contentieux, s’annonçait prémonitoire pour la Belgique. Dans Le Journal des tribunaux, le professeur de droit constitutionnel Marc Verdussen (UCLouvain) écrivait alors que, « par son inertie, l’Etat belge s’attirerait tôt ou tard les foudres des juges européens« . C’était il y a dix ans…

« Nos gouvernants ont été largement prévenus, mais nous sommes plusieurs constitutionnalistes à avoir prêché dans le désert, déplore-t-il. La solution est pourtant simple. On pourrait s’inspirer de la Loi fondamentale allemande, qui réserve au Bundestag le soin de contrôler les élections tout en offrant la possibilité d’un recours devant la Cour constitutionnelle fédérale. » La Cour constitutionnelle belge ferait donc l’affaire. Outre l’article 48 de la Constitution, il faudrait aussi revoir le 142, qui fixe les compétences de cette juridiction. A la fin de la législature Michel, la Chambre et le Sénat avaient d’ailleurs inséré ces deux articles dans leur déclaration de révision, mais pas le gouvernement. Du jamais-vu, ces listes différentes.

Comment expliquer ce ratage? « Je pense que le gouvernement était dans le déni, commente Georges Verzin. L’avocat de l’Etat s’accrochait mordicus à ses positions suite aux recours déposés à Strasbourg. » Les ministres compétents de l’équipe De Croo ont récemment annoncé que le 48 et le 142 seraient bien retenus pour la prochaine législature. Donc, après… les élections de 2024, lors desquelles le même problème de recours risque de se poser, avec de nouvelles plaintes à Strasbourg.

« A moins que l’on vote d’ici là une loi qui modifie la procédure de validation par le seul Parlement pour confier cette mission à la Cour constitutionnelle, indique Me Bourtembourg. Ce serait certes contraire à la Constitution mais conforme à la convention européenne qui lui est logiquement supérieure. Cela s’est déjà vu avec les articles 10 et 11 sur les emplois civils et politiques réservés aux Belges, qui sont contraires au traité de l’UE. » Il reste deux ans pour le faire. Et éviter de confier, une fois de plus, aux assemblées un boulot de juge qui, dans les faits, ressemble davantage à une négociation politique.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire