© Image Globe

Argent des partis : une mine d’or

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Les partis résistent bien à la crise. Ils doivent pour beaucoup leur fortune (88 millions d’euros) à l’argent public, surtout côté flamand. Tancés par le Conseil de l’Europe pour contrôle déficient de leurs comptes, ils n’ont pas l’intention de changer une formule qui gagne.

Les temps sont durs mais les partis politiques qui jouent dans la cour des grands passent entre les gouttes. PS , MR, CDH, Ecolo, FDF, CD&V, SP.A, Open VLD, N-VA, Vlaams Belang, Groen et la Lijst Dedecker (LDD) partis sont assis sur un trésor de guerre de plus de 88 334 747 euros, sur foi des compteurs arrêtés au 31 décembre 2011. Ce joli matelas financier, logé en placements de trésorerie et en liquidités, s’est alourdi de 18 millions en un an. De quoi aborder 2014 et son triple cap électoral (fédéral, régional, européen) avec une relative sérénité sur le plan financier.

Mieux vaut se préparer à amortir le choc. Les partis y veillent : ils ont profité du répit offert en 2011, année sans élections, pour se remplumer. Et faire passer à 24,5 millions d’euros leurs provisions électorales. Mettre de côté n’est pas un luxe, tant la cadence des scrutins est devenue infernale. Neuf élections en quatorze ans : les finances des partis souffrent. Il a ainsi fallu, au printemps 2010 (élections anticipées), sortir en catastrophe 28 085 775,79 euros pour assurer la promo électorale.

Et pourtant, ces mauvaises passes à répétition ne parviennent pas à entamer la santé financière des partis. La tendance lourde est même à l’enrichissement, observe Bart Maddens (KUL) : « Les six partis traditionnels ont vu leurs moyens augmenter de 18 millions d’euros en 1992 à au moins 76 millions en 2007. » Même la crise économico-financière n’a pas franchement brisé l’élan global: en 2008, leur bas de laine global valait 73 406 072,9 euros. Il s’est enflé de 15 millions en quatre ans. Soit 20 % de hausse. Un placement sûr.

Les partis se sont octroyés une coquette assurance-vie, qui les met à l’abri du besoin. Ils se shootent désormais à l’argent public : ils en sont devenus dépendants pour au moins 80% de leur financement. En 2011, les douze formations représentées au Parlement fédéral ont eu droit à une injection de 65 008 934 euros. Cotisations de membres, contributions des mandataires, dons et autres rentrées financières, ne pèsent plus guère dans la balance.

65 millions d’euros : c’est le prix à payer pour ne plus soumettre les partis politiques à la tentation et les délivrer du mal de la corruption. Il a bien fallu mettre le holà, il y a vingt ans d’ici. Sortir des eaux troubles l’argent des partis, l’ôter des mains d’hommes de l’ombre chargés de jouer aux collecteurs de fonds et aux porteurs de valises noires. Centre Paul Hymans, Inusop, Smeerpijp, obus de Jersey, Agusta-Dassault. La Belgique a eu sa dose d’affaires politico-financières au cours des années 1980-1990. La face du financement des partis s’en est trouvée toute bouleversée. Fini, les petits cadeaux d’entreprises qui entretenaient de louches amitiés. Les partis, pour peu que les électeurs les hissent au Parlement, vivront avant tout aux crochets du contribuable-électeur. Ils seront alimentés par de l’argent sain, sorti en toute transparence des caisses du Palais de la nation.

Ce financement public est une affaire qui roule. Même si rien n’est jamais acquis. Un gros revers électoral peut faire office de variable d’ajustement : les Verts n’ont pas été que laminés aux élections de 2003, ils ont aussi été financièrement lessivés.

Mais après une année électorale 2010 qui a pesé sur les bilans, les partis ont renoué avec les bonis en 2011 : 9 043 545,65 euros de bénéfices dégagés. Seul le FDF, qui revole de ses propres ailes, a clôturé en perte de 25 710,50 euros.

Ce confort financier n’est pas le fruit du hasard. L’imagination est au pouvoir : au fil du temps et d’une Belgique qui se fédéralise, les partis ont élargi et dopé leur base de financement public qui est lié au nombre de voix obtenues. « Ils sont créatifs en matière de self-service financier », note Bart Maddens. Et pas trop chiches envers eux-mêmes. Ils ont multiplié les prises d’alimentation : après la Chambre et le Sénat, les parlements régionaux et communautaires ont été mis à contribution. Sans parler de subsides à tous les niveaux de pouvoir, y compris provinciaux.

Ticket gagnant. Il garantit aux partis des rentrées plus que suffisantes pour faire face aux coûts de leurs campagnes électorales. Mauvaise excuse, estime au passage Bart Maddens. « Les partis prétendent qu’ils ont besoin d’une dotation élevée parce que leurs campagnes sont toujours plus chères. C’est faux. Une élection ne leur coûte en moyenne que 2 à 3 millions d’euros. La plupart n’y consacrent que 10 % de leurs dépenses. »

Mais ils ont d’autres besoins à financer : en personnel, en service d’études, en immobilier, en frais de fonctionnement… Aucune source n’est négligée pour maintenir ce niveau de vie. Pas même les dotations explicitement attribuées aux groupes parlementaires. Elles sont parfaitement libres d’être transvasées dans les caisses des partis. Qui ne s’en privent pas. Collaborateurs, bureaux, ordinateurs, photocopieuses : toute la logistique parlementaire est à la disposition des partis. L’osmose est parfaite, les mouvements de fonds sont réglés par voie de règlements adoptés derrière les portes des bureaux d’assemblée. Tous parlements confondus, ce filon représente plus de 20 millions d’euros.

Il faut faire ses preuves pour être admis à la table du festin : franchir le seuil électoral de 5% qui ouvre les portes du Parlement fédéral relève de l’exploit. « Une prime aux puissants, une barrière aux petits », résume Jean Faniel, politologue au CRISP. « Les partis installés abusent de cette arme pour écarter la concurrence et maintenir leur emprise sur le paysage politique », soutient Bart Maddens. Bien installées à la table, les vieilles familles politiques font barrage. Socialistes, libéraux et chrétiens ont été rejoints il y a plus de trente ans par les Verts et le Vlaams Belang. L’un ou l’autre petit nouveau parvient à saisir une chaise : la Lijst Dedecker, aujourd’hui réduite à un seul élu, ne fera plus long feu. La N-VA, entrée par la petite porte, est devenue brutalement encombrante.

Ces privilégiés ne sont pas complètement sourds ni aveugles à l’air du temps. Ils paient eux aussi un tribut à l’austérité : les partis ont consenti à geler le montant de leurs dotations publiques. La disparition du Sénat comme assemblée élue pourrait leur coûter autrement plus cher, en les privant d’une dotation de dix, voire quinze millions d’euros. Ils n’iront pas jusqu’à ce sacrifice. Il ne faudrait pas non plus les pousser à bout.

Le dossier intégral dans le Vif/L’Express de cette semaine, avec la trésorerie de chaque parti décortiquée.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire